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Défis et enjeux pour un meilleur Vivre ensemble

La diversité culturelle interpelle aujourd’hui chacun ou chacune dans sa vie personnelle et professionnelle. Déjà, en 1996, un rapport produit par l’UNESCO reconnaissait que des tensions sous-jacentes au changement entre « le local et le global, entre l’universel et le singulier, entre la tradition et la modernité, entre le court terme et le long terme, entre le développement des connaissances et la capacité d’assimilation et entre le matériel et le spirituel » étaient le résultat de la diversification des sociétés civiles (Delors et al. 1996).

Plus récemment, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2007) a entériné le respect de la diversité culturelle considérée comme une caractéristique inhérente à l’humanité et un patrimoine commun devant être célébré et préservé au profit de toutes et tous. Parallèlement, les sociétés civiles, confrontées aux enjeux contemporains de la diversité culturelle et de la globalisation, s’engagent dans un processus de recherche, sinon de protection identitaire.

Les gouvernements cherchent à résoudre les tensions entre l'individu et le collectif en balisant, chacun à leur façon, l’intégration et la cohésion sociales, que ce soit par les procédures de sélection des immigrants, l’accueil et les services aux nouveaux arrivants, l’encadrement des accommodements interculturels ou encore l’éducation à la citoyenneté. Le monde des entreprises et celui des grandes organisations internationales sont également interpellés par la diversification culturelle, religieuse et linguistique liée aux processus d’échanges et de circulation des biens et des personnes.

Toutes ces tensions complexifient le vivre ensemble et interpellent les pratiques professionnelles où les acteurs sont amenés à prendre des décisions en faisant appel à des processus de médiation interculturelle. Mais ces processus sont multiples et un des premiers défis est de saisir la place des contextes sociaux et politiques qui orientent la création et la définition de médiations interculturelles.

Les médiations interculturelles : un processus multiforme et contextualisé

Que faut-il entendre par médiations interculturelles? Dans le champ des médiations, plusieurs domaines ont déjà été circonscrits, notamment celui des médiations interculturelles qui, en Europe, a donné lieu à une professionnalisation de
médiateurs culturels dont la tâche consiste à transmettre une interprétation et une information culturellement sensible entre des individus et des institutions sociales.

Les médiations familiales systématisées dans un cadre juridique comme c’est le cas au Québec, ou les médiations sociales en lien avec diverses dimensions de l’action collective ont également été développées. Bien que les contextes nationaux et les rapports sociétaux à la diversité et aux questions culturelles exercent une influence à la fois sur le développement du champ des médiations interculturelles et sur les perspectives épistémologiques et méthodologiques privilégiées (Vatz Laaroussi et Tadlaoui, 2013), les penseurs et praticiens de la médiation insistent sur le fait que celle-ci dépasse le seul domaine de la résolution de conflits.

La médiation est également un état d’esprit qui renvoie à l’harmonie entre les individus. En effet, s’il peut être défini comme un conciliateur et un négociateur en mesure de faire ressortir les avantages d’une solution mutuellement acceptable et qui incite à la décision en situation de conflit interpersonnel, le médiateur peut avoir aussi pour tâche de faire de la médiation un outil de transformation de la société dans laquelle elle s’inscrit. À commencer par l’individu qui, confronté à lui-même dans le processus de médiation, est susceptible de trouver un sens à sa vie, voire une paix intérieure ainsi que dans ses rapports avec les autres. D’ailleurs, des partisans de la médiation la promeuvent comme un droit de l’homme par sa contribution potentielle à la justice sociale et à la paix dans le monde.

Les enjeux des médiations interculturelles au Québec : posture critique et créativité

Au Québec, la profession et la formation de médiateurs interculturels se sont développées plus tardivement qu’en Europe. Bien que des praticiens médiateurs se disaient déjà spécialisés en interculturel il y a une dizaine d’années, ce n’est qu’à partir de 2008 que cette désignation professionnelle s’est précisée dans le sillon de l’instauration du programme de maîtrise en médiation interculturelle à l’Université de Sherbrooke. Ce nouveau programme venait d’ailleurs donner suite indirectement à l’une des recommandations du rapport Bouchard-Taylor concernant la nécessité de former au Québec des personnes compétentes dans le champ de l’interculturel (Bouchard et Taylor, 2008 : 252).

On a commencé à définir le profil professionnel du médiateur interculturel qui inclut des compétences, des connaissances, des attitudes ainsi qu’une éthique. Ces savoirs s’opérationnalisent au travers d’un processus générique d’analyse et d’action qui s’accompagne d’une dynamique de réflexivité et d’une posture critique. De même, contrairement à l’approche plus informative privilégiée en Europe, le programme d’études mise sur la dimension interculturelle comme fondement épistémologique de la formation, avec comme assises des dimensions communes aux rapports interculturels ainsi qu’aux processus de médiation.

Médiations et interculturel sont articulés dans une nouvelle façon de regarder les rapports sociaux et les relations interpersonnelles avec une finalité professionnelle, celle de construire de ponts entre des personnes, des groupes et des institutions qui s’ignorent, entretiennent des préjugés ou de l’incompréhension, voire des conflits. Les dimensions suivantes sont constitutives de l’approche en médiation interculturelle.

La reconnaissance de rapports interculturels entre personnes et entre groupes constitue l’assise de cette perspective

Les médiateurs interculturels doivent aider à construire ces ponts dans les différents milieux où leur expertise est requise,
et ce, à partir toujours d’une lecture complexe et multidimensionnelle des situations d’interculturalité. Ils doivent agir
comme des tiers, des intermédiaires, voire des vecteurs qui facilitent les rapprochements et la meilleure compréhension.

De même, dans les situations où les rapports de force prédominent, les médiateurs doivent se montrer sensibles aux jeux de pouvoir et de domination afin de rééquilibrer les échanges si nécessaire. Leur rôle consiste également à donner et à accompagner autant la parole que le silence et le non verbal, et permettre le dialogue et le cheminement.

Dans une perspective de reconnaissance mutuelle, ils peuvent se situer dans des actions visant :

  • la sensibilisation à la différence et à l’altérité,
  • la prévention des conflits, des replis et des malaises identitaires,
  • la promotion du Vivre ensemble, de la paix et de la cohésion sociale dans une perspective pluraliste,
  • la résolution des conflits interculturels entre individus, entre groupes, au sein des communautés, des institutions et des organisations,
  • la lutte contre le racisme et les discriminations ainsi que la défense des droits des minorités.

Pour cela, ils doivent utiliser toutes sortes de médias et d’outils

Ces médias et outils vont de l’article dans le journal à la vidéo de sensibilisation en passant par la rédaction de politiques d’embauche, par l’animation de rencontres, d’activités spécifiques, de projets intercommunautaires et par l’entrevue de médiation en situation de conflit. Avec un esprit créatif, ils doivent constamment développer et actualiser ces techniques et outils dans des contextes diversifiés allant de l’informel au formel, du social au culturel, du relationnel au juridique. Et plus encore, ils doivent mener sans cesse une analyse réflexive de leur pratique qui va permettre de l’ajuster à la société et de participer aux transformations de cette société. (Vatz Laaroussi et Tadlaoui, 2013).

Le processus de médiation entre l’éthique, l’analyse et l’action

À partir de ces fondements et à la suite d’une enquête menée auprès d’une quinzaine d’enseignants de différentes disciplines qui participent au programme d’études, nous avons retenu plusieurs termes et concepts qui définissent le processus des médiations interculturelles et ses contenus.

Des définitions multiples mais orientées sur le rapprochement ont été abordées

Par exemple on a parlé en termes de « conciliation », « compromis raisonnable », « dialogue », « points négociables qui permettent un accord ici et maintenant », « négociation », « gestion de la diversité dans une société ». Les médiations interculturelles sont ainsi présentées au travers de leur utilité sociale pour favoriser le vivre ensemble et la cohésion sociale dans des sociétés plurielles et on en pose le cadre et les limites. Les termes de « pardon » et de « don » sont aussi apparus pour dessiner les extensions possibles du champ des médiations interculturelles, par exemple dans le domaine de l’éducation à la paix ou dans les situations de conflits intercommunautaires voire dans une intervention de médiation après un génocide.

Pour définir les processus professionnels de ces médiations

Il a été question d’« intervention », de « prise de décisions », de « co-construction », de « délibération éthique », de « communication interculturelle », de la « création de normes partagées », de « décisions partagées », de « jugement critique et éthique » et d’« échanges ». Visiblement ici, les notions de partage, de compassion, de non-jugement et d’échanges sont considérées comme essentielles.

Plus encore il a été question de savoir être et de posture professionnelle

Nos répondants, dont plusieurs agissent également comme professionnels dans le domaine des médiations, ont souligné les attitudes, le savoir- être, le savoir-faire et les compétences spécifiques que les étudiants en médiations interculturelles devaient développer, à savoir le respect, la patience, l’ouverture, le souci de soi et de l’autre, le souci social, la pratique de reconnaissance et l’engagement dans l’action de médiation. À leurs yeux, les futurs médiateurs doivent être en mesure d’apprendre à communiquer, à interagir, à écouter, à comprendre, à s'ouvrir et à mener une réflexion éthique.

La formation aux médiations interculturelles : neutralité ou engagement?

Pour y parvenir, les enseignants ont identifié les conditions gagnantes à mettre en oeuvre pour former ces médiateurs, en insistant sur la nécessité de créer, de délimiter et d’investir des espaces et des lieux de médiations. En premier lieu, le temps a été identifié comme un élément déterminant du processus : le temps de l’analyse, de la réflexion et de la connaissance, le temps pour cheminer et le temps pour reconnaître et avancer ensemble.

La liberté d’expression des médiateurs comme celle des parties est apparue à son tour comme une condition importante pour l’émergence d’un réel dialogue, tout comme l’importance de se documenter, d’observer et de mener une analyse multidimensionnelle et exhaustive en vue d’encadrer adéquatement le dialogue. En ce sens, la neutralité du tiers médiateur ne doit pas être vue comme une qualité incontournable; ce sont plutôt son engagement dans le rapprochement et sa capacité sur le plan de la réflexivité éthique qui deviennent les conditions essentielles. Tout comme ce ne sont pas tant les outils et les recettes préconçues, voire une technique spécifique, qui doivent être au coeur de la formation, mais les éléments qui permettent à chacun de constituer sa propre boîte à outils.

Un fragile équilibre entre les valeurs et les compétences

À partir de ce paradigme des médiations interculturelles, nous avons identifié trois dimensions du processus de médiation interculturelle :

  1. l’analyse-évaluation renvoie à la perspective multidimensionnelle et au jugement professionnel,
  2. la relation-coopération recouvre les types de relations à construire tant dans la formation que dans la pratique de médiation interculturelle,
  3. l’action-intervention décrit une pratique située, engagée, construite conjointement avec les divers acteurs et qui repose sur la réflexivité et la délibération éthique.

Ces dimensions s’accompagnent de valeurs transversales qui fondent la formation et la profession, à savoir la reconnaissance du pluralisme, la recherche de l’équité et la croyance dans le « vivre ensemble ». Pour actualiser ces
valeurs dans le processus d’analyse-action tout en reconnaissant ses propres limites, le médiateur interculturel doit travailler dans et avec le respect de la dignité des personnes, de leur intégrité, de leur singularité tout comme de
leurs droits individuels et collectifs.

Or, dans ce processus, le médiateur interculturel se trouve dans une posture instable et dynamique, car tel un « équilibriste sur le fil de ses convictions dans le pluralisme, l’interculturalisme et le rapprochement, il gère professionnellement, mais aussi au coup par coup les affres des tensions qui l’habitent. Pour n’en citer que quelques-unes, il se situe, soit dans sa propre posture soit dans son processus de médiation, entre le thérapeute et le diplomate, entre le militant et le tiers neutre, entre le sociologue et le travailleur social, entre le gestionnaire et l’élu, entre le patron et le syndicaliste et encore, entre le visionnaire et le technicien. Ce qui le définit le mieux, c’est sans aucun doute cette position assumée et revendiquée, de celui qui est ‘entre’ et qui, de ce fait, intègre l’altérité dans un espace dialogique et critique » (Vatz Laaroussi et Tadlaoui, 2013).

C’est justement cet espace que les médiateurs interculturels québécois sont présentement à définir et à créer, dans un contexte où le rapport à la différence et la reconnaissance du pluralisme sont au coeur des débats sociaux et politiques.

Des défis sans cesse renouvelés

En somme, pour agir comme médiateur interculturel, on doit disposer d’un ensemble de compétences suffisamment large pour parvenir à poser un jugement éclairé, à définir une planification adéquate et à mener une intervention
constructive face à différentes situations où des enjeux interculturels sont présents. Compte tenu de la diversité des situations dans lesquelles le médiateur interculturel peut être appelé à intervenir et étant donné la multiplication contemporaine de ces contextes potentiels de médiation, son action n’est pas normative, mais repose plutôt sur une approche pragmatique et sur des savoirs qui émanent de la praxis, de même que sur une capacité d’appréhender une situation dans une perspective qui va du macrosocial au microsocial, voire à l’individuel. Là est tout le défi! Mais
là est aussi tout l’intérêt de ces nouveaux professionnels dont la mission est de construire des ponts au sein de la société québécoise plutôt approchée actuellement au travers de ses fractures.

Un texte de Michèle Vatz-Laaroussi, Jamal-Eddine Tadlaoui et Claude Gélinas, enseignants à la maîtrise en médiation interculturelle

Diffusé au préalable par le Centre d'études ethniques des universités montréalaises

Bouchard, G. et Taylor, C. (2008). Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation, Rapport de Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Québec.

Cohen-Émerique, M. (1997). « La négociation médiation, phase essentielle dans l’intégration des migrants, Hommes et migrations, 1208 : 9-23.

Cohen-Emerique, M. et Fayman, S. (2005). « Médiateurs interculturels, passerelles d'identités », Connexions, 83 : 169-190.

Delors, J. et al. (1996). L’éducation : un trésor est caché dedans. Rapport à l’UNESCO de la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt et unième siècle, Paris, UNESCO.

Morineau, J. (2010). L’esprit de la médiation, Trajets, Érès, Toulouse, 173p.

Vatz Laaroussi, M. et Tadlaoui, J.-E. (2013). « Les médiations interculturelles dans la société pluraliste du Québec : espaces de tension, espaces de créativité », dans La médiation (inter)culturelle : représentations, mises en oeuvre et
développement des compétences
, sous la direction de Pia Stadler et Annick Tonti, Éditions des archives contemporaines, Genève, Peter Lang.