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Une nouvelle arme potentielle contre la COVID-19

N-0385, une molécule qui bloque l’entrée du virus

Photo : UdeS - Mathieu Lanthier

Deux ans plus tard, la pandémie causée par le virus de la COVID-19 perdure. Avec sa mutation rapide et imprévisible, plusieurs chercheuses et chercheurs situés partout sur la planète en sont venus à se poser cette question : est-il possible de vivre avec ce virus, et, si oui, comment?

Plusieurs réponses à cette question ont vu le jour jusqu’à maintenant. Et, bien que la communauté scientifique se soit mobilisée pour développer des armes telles que des vaccins et des antiviraux contre le SRAS-CoV-2, le taux d’efficacité de ces médicaments varie. Devant ces incertitudes, les groupes experts misent plutôt sur des stratégies de protection et de prévention aussi vastes que possible pour protéger adéquatement la population et limiter la transmission.

C’est avec cet objectif en tête qu’une équipe multidisciplinaire de recherche, incluant Richard Leduc et Pierre-Luc Boudreault, deux professeurs de la Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS) de l’Université de Sherbrooke (UdeS) et membres de l’Institut de pharmacologie de Sherbrooke (IPS), a pu démontrer qu’il est possible de bloquer l’entrée du SRAS-CoV-2 avant que celui-ci puisse infecter les cellules. Cette découverte majeure, qui vient d’être publiée dans la prestigieuse revue Nature, est envisagée comme une nouvelle façon de se protéger contre la COVID-19.

Une initiative de l’Université de Sherbrooke menant vers une collaboration interuniversitaire

Les professeurs Richard Leduc et Pierre-Luc Boudreault
Les professeurs Richard Leduc et Pierre-Luc Boudreault
Photo : UdeS - Mathieu Lanthier

Dès 2013, les professeurs Richard Leduc et Éric Marsault se sont intéressés aux rôles de certaines enzymes humaines dans l’infection par l’influenza. En 2020, ils ont émis l’hypothèse que certains mécanismes étaient similaires pour l’infection par le SRAS-CoV-2 qui venait tout juste de faire son apparition. Ainsi, le professeur Leduc et son équipe ont approfondi leurs connaissances sur le SRAS-CoV-2, grâce à un financement des Instituts de recherche en Santé du Canada (IRSC) pour un projet de recherche visant à démontrer qu’il est possible d’empêcher le virus d’entrer dans les cellules en ciblant les enzymes humaines. Pour y arriver, plusieurs laboratoires ont uni leurs expertises. Le professeur Leduc a fait appel à deux experts du domaine de la virologie : le professeur François Jean, du Département de microbiologie et immunologie de l’Université de Colombie-Britannique, et le professeur Hector C. Aguilar, de l'Université Cornell, expert en expérimentation en laboratoire de confinement de niveau 3, nécessaire pour l’étude du SRAS-CoV-2.

Leur association a permis un partage d’expertises effervescent et a créé un terreau fertile pour la création d’idées. Plusieurs chercheurs ont pu mettre en contact leurs idées et être confrontés à des points de vue différents selon les disciplines.

Le niveau de confinement 3 (NC3) permet la manipulation sécuritaire d’agents du groupe de risque 3, soit des microorganismes causant des maladies graves, telles que la tuberculose, la COVID-19 ou le SRAS, capables de se propager par voie aérienne, mais contre lesquels il existe des traitements.

N-0385, au cœur de la découverte

Le point central de leur projet est la conception d'une molécule, nommée N-0385, ayant la capacité de bloquer l’entrée du virus avant que celui-ci puisse entrer dans la cellule. Au total, près de 500 tests ont été nécessaires pour créer la molécule qui s’est montrée très efficace.

Photo : Illustration - Josée Dumas Goulet

Nous pouvons comparer l’étape d’interaction entre la N-0385 et l’enzyme impliquée dans l’infection nommée TMPRSS2 à une clé et une serrure. Imaginez que la serrure représente la cible thérapeutique, TMPRSS2, et que la clé représente la molécule N-0385. Si vous n’avez pas la bonne clé, vous ne pourrez pas déverrouiller la serrure. Des ajustements sont nécessaires pour arriver à produire la clé dont vous aurez besoin. Cette clé, c’est grâce à l’expertise du professeur Boudreault qu’elle a pu être créée.

Richard Leduc, coauteur de l’article, professeur à la FMSS et membre de l’IPS

Comment agit-elle?

Rappelons d’abord les étapes de l’infection à la COVID-19 :

  1. Une personne infectée projette par la bouche des gouttelettes sur lesquelles se trouve le virus.
  2. Ces gouttelettes circulent dans l’air, puis sont respirées dans les cavités nasales.
  3. Une fois que les gouttelettes sont en contact avec les cellules humaines du nez, elles s'y lient par l’entremise d’une protéine nommée ACE2, le récepteur du SRAS-CoV.
  4. Le virus est attaché aux cellules, mais pour se répliquer en millions de copies, il doit absolument pénétrer à l’intérieur de la cellule.
  5. Les cellules qui recouvrent l’intérieur de la cavité nasale expriment à leur surface non seulement le récepteur ACE2, mais aussi TMPRSS2, une enzyme que le virus exploite pour entrer dans les cellules. Les millions de copies virales se propagent des cavités nasales jusqu’aux poumons ainsi qu’aux autres organes, et c’est alors que les patientes et les patients peuvent développer des symptômes plus sévères.
  6. Quel est le rôle de l’enzyme TMPRSS2 dans l’infection? La protéine appelée spicule, située à la surface du virus, doit être coupée par TMPRSS2, localisée à la surface de la cellule hôte (les cellules humaines), afin que le virus puisse pénétrer dans la cellule et se multiplier. La coupure du spicule par TMPRSS2 expose alors une protéine nommée peptide de fusion.
  7. Le peptide de fusion se trouvant exposé, il permet au virus de pénétrer à l’intérieur de la cellule pour se répliquer.

Ainsi, en bloquant l’activité de l’enzyme TMPRSS2, celle-ci ne coupe plus le spicule, qui ne peut plus exposer son peptide de fusion. Le virus ne pouvant pas entrer dans la cellule, la N-0385 agit comme un antiviral en bloquant l’entrée cellulaire.

Absence de toxicité de N-0385 et efficacité contre Omicron

Les effets secondaires ou indésirables des médicaments peuvent être considérés comme une forme de toxicité. C’est ce que les chercheurs tentent d’éviter. La molécule N-0385, conçue par l’équipe de chercheurs de l’IPS, est très intéressante, car elle cible surtout TMPRSS2 et non d’autres enzymes dont l’interaction avec le N-0385 pourrait mener à des effets secondaires non souhaités.

N-0385 a un index thérapeutique élevé, ce qui signifie que cette molécule est très sécuritaire, car il faudrait prendre plusieurs milliers de fois la dose recommandée pour ressentir des effets secondaires non désirables.

Pierre-Luc Boudreault, coauteur de l’article, professeur à la FMSS et membre de l’IPS

Puisque ce composé vise une enzyme humaine et non pas une cible virale, la molécule semble efficace sur plusieurs types de variants. Récemment, des résultats préliminaires ont révélé que le N-0385 est aussi efficace contre le variant Omicron, qui se comporte différemment des autres variants rencontrés, tels que le variant Delta.

La différence avec d’autres antiviraux, tels que le Paxlovid qui cible une protéase virale, c'est que le N-0385 va empêcher l’action de TMPRSS2 chez l’humain, ce qui est très rare pour un médicament de ce type. La grande majorité des médicaments s’attaque directement au virus, et le virus est reconnu pour muter très rapidement. Étant donné que le génome humain mute très peu, ce médicament serait toujours efficace.

Richard Leduc, coauteur de l’article, professeur à la FMSS et membre de l’IPS

Un mode d’administration avantageux

La molécule N-0385
La molécule N-0385
Photo : UdeS - Mathieu Lanthier

En plus de ne pas provoquer d’effets secondaires, un autre avantage de ce composé serait son administration avantageuse sous forme de vaporisateur nasal. Le fait de l’administrer dans les voies nasales permettrait d’éviter l’infection initiale, qui se passe en très grande majorité par l’entrée virale dans les cavités nasales. De plus, ce type d’administration du médicament limiterait beaucoup l’exposition du reste des cellules du corps au virus.

« Lorsqu’on est vacciné, nous pouvons être infectés, mais notre système immunitaire a été averti de l'entrée d'un virus, et nous avons déjà des anticorps produits contre celui-ci, mentionne Richard Leduc. Ainsi, l’immunisation prévient l'apparition de symptômes très sévères, voire mortels. La différence avec cette molécule est qu’elle empêche l’infection. Le médicament pourrait donc être administré chez des individus ne pouvant pas être vaccinés ou chez des personnes immunodéprimées. Il agirait en sorte comme un bouclier contre l’entrée du virus ».

Un projet riche pour la relève étudiante

Ce projet de recherche permet à une relève de chercheuses et de chercheurs de participer à un projet des plus complets et des plus représentatifs des différentes étapes de la conception de médicaments.

Il s’agit d’un des projets de recherche les plus complets présentement. Les étudiantes et étudiants touchent à tous les aspects et ils ont la chance de discuter chaque semaine avec des expertes et experts en virologie, en protéases, en pharmacologie et en chimie médicinale. Il s’agit donc d’une formation multidisciplinaire. Ils sont amenés à pratiquement vivre ce qu’ils vont vivre en terminant leurs études.

Pierre-Luc Boudreault, coauteur de l’article, professeur à la FMSS et membre de l’IPS

Une collaboration qui se poursuit

Cette collaboration est loin d’être terminée. Ce virus étant avec nous pour encore très longtemps, les chercheurs ont déjà plusieurs idées en tête. Ils ne peuvent prédire le développement éventuel avec les compagnies pharmaceutiques, mais ils travaillent en ce moment avec Ebvia, une compagnie de biotechnologie de Californie, afin de développer davantage le N-0385 comme médicament contre la COVID-19 et l’influenza.

À propos du Pr Richard Leduc
Professeur au Département de pharmacologie-physiologie (FMSS)
Membre de l’Institut de pharmacologie de Sherbrooke (IPS)
Chercheur au Centre de recherche du CHUS (CRCHUS)

À propos du Pr Pierre-Luc Boudreault
Professeur au Département de pharmacologie-physiologie (FMSS)
Membre de l’Institut de pharmacologie de Sherbrooke (IPS)


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