Projet Alliance du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie
Le savoir inuit au profit de l’étude des changements climatiques en Arctique
Les changements climatiques qui modifient le couvert de neige et la végétation dans l’archipel Arctique canadien affectent différentes espèces animales, dont le caribou de Peary et le bœuf musqué. Avec une dizaine de communautés inuites de l’Arctique, l’équipe de recherche du professeur Alexandre Langlois étudie les effets de ces changements sur le comportement et la survie des animaux.
Le projet de 1,8 M$, financé par le programme Alliance du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), vise à améliorer les capacités actuelles de collectes de données grâce à des outils de modélisation et de télédétection qui seront développés dans l’archipel Arctique canadien. L’objectif : mieux documenter les changements qui s’opèrent à une vitesse bouleversante sur le couvert nival, la glace de mer et le pergélisol. Pour y arriver, le savoir traditionnel des communautés inuites est essentiel.
Le caribou de Peary et le bœuf musqué sont deux espèces essentielles de l’alimentation des communautés inuites. Or, déjà en 2016, on déplorait une diminution drastique de 70 % sur trois générations de leur population. Pour les communautés inuites, c’est un constat alarmant.
L’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que les autres régions du monde. Pour une espèce, s’adapter à des changements qui arrivent sur 20 ou 30 ans, c’est impossible.
Professeur Alexandre Langlois
Mourir de faim en présence de nourriture
Ce qui motive particulièrement les travaux du professeur Langlois, ce sont les corrélations très évidentes entre des événements extrêmes comme la pluie sur la neige, la glace ou la végétation qui se transforme, et la mortalité alarmante des espèces comme le caribou et le bœuf musqué. Les animaux meurent de faim alors que la nourriture est paradoxalement bien présente. De là tout l’intérêt de comprendre les changements environnementaux et les comportements des animaux.
On dit que l’Arctique se réchauffe et qu’il va donc y avoir plus de lichen pour l’alimentation de ces espèces. Mais on possède peu d’information sur le type de lichen qui reverdit le Nord, et si ce lichen est comestible pour le caribou...
Autre effet des changements climatiques sur la nourriture des animaux : la glace qui se forme à la suite d’un épisode de pluie rend la nourriture difficile d’accès. Pour les caribous qui creusent avec leurs pattes pour dégager du lichen, la glace peut même être impossible à traverser. Quant aux bœufs musqués, qui débusquent le lichen directement avec leur bouche, ils s’y cassent les dents.
Ajoutons à ces mortalités les blessures aux pattes de caribous qui peinent à se déplacer sur un territoire transformé en patinoire.
« Si on veut avoir de bonnes connaissances pour protéger les espèces de manière intelligente, il faut comprendre comment se comportent ces variables dans l’espace et dans le temps », soutient le professeur Langlois.
Le savoir traditionnel inuit à l’avant-plan
Est-ce que ces événements varient avec les années? Les comportements changent-ils dans une tentative d’adaptation? Ce sont les entrevues faites sur place avec les chasseurs et trappeurs inuits qui vont permettre d’y répondre.
Débuté en pleine pandémie, le projet de recherche sur le caribou de Peary et le bœuf musqué a dû se concentrer jusqu’à présent sur la télédétection, la modélisation et la caractérisation de la neige et de la végétation par les chercheurs et chercheuses. Les rencontres avec les communautés autochtones débuteront sous peu pour intégrer le savoir traditionnel à cette collecte de données.
Ce n’est pas d’hier qu’Alexandre Langlois travaille avec les communautés autochtones. Échantillonnage et mesure d’épaisseur de neige et d’eau, maintenance de stations météo, guidage sur place, les Inuits font partie de la culture de recherche du professeur depuis ses études au doctorat. Mais cette fois, la collaboration est d’envergure, puisque les communautés font partie intégrante du projet, au point que les données qu'elles récoltent leur appartiennent en propre.
« Dans un contexte de changements climatiques, il faut remettre en question les voyages en avion pour aller prendre des mesures alors qu’il y a des gens sur place qui sont amplement compétents pour le faire. En plus, on bénéficie d’un savoir traditionnel. J’ai appris assez rapidement la richesse de ce savoir phénoménal. C’est une culture de recherche qui change. »
Une alliance qui doit durer
Si les scientifiques documentent les phénomènes en Arctique, la suite ne leur appartient pas, nous explique Alexandre Langlois. Pour lui, ce sont les décideurs qui utiliseront les conclusions de ce projet. Mais le lien avec les communautés inuites, lui, doit être maintenu. « Il faut qu’elles soient présentes par la suite, puisque ce sont elles qui ont les connaissances et qui dépendent le plus de ces phénomènes. Il faut les inclure dans la prise de décision.»
D’ailleurs, avec les gens du Service d’appui à la recherche, à l’innovation et à la création (SARIC) de l’UdeS, l’équipe de recherche a travaillé sur la propriété intellectuelle du savoir traditionnel, ce qui était nouveau pour tout le monde.
C’est bien qu’on soit rendus là. Les Inuits veulent participer à la prise de décision, à la gouvernance, aux priorités du projet scientifique. Ce ne sont plus juste des témoins de passage et des techniciens de terrain. Ils veulent participer à l’élaboration des objectifs de la science, à l’analyse qu’on fait de leurs données, et ils veulent avoir leur mot à dire sur les décisions qui seront prises ensuite.
Et en 2100, où en serons-nous?
Ce n’est pas l’humain qui va régler le problème des changements climatiques, tranche Alexandre Langlois. Maintenant que les changements sont là, la science doit travailler sur des méthodes d’investigation et de protection.
On le voit dans tous les rapports du GIEC, il faut réduire, mais on ne réduit pas. Tant que la gouvernance ne changera pas, on va continuer à réchauffer la planète. Donc il faut trouver des stratégies d’adaptation et arrêter de se demander si c’est la faute de Mère nature ou de l’humain. On doit travailler en aval. Qu’est-ce qu’on peut faire pour améliorer les choses à moyen terme?
La recherche Les caribous de Peary, les bœufs musqués et leurs prédateurs : la valeur du savoir traditionnel inuit pour informer sur la sauvegarde des espèces est dirigée par le professeur Alexandre Langlois du Département de géomatique appliquée de l’Université de Sherbrooke avec qui collaborent la docteure Cheryl Ann Johnson du ministère de l’Environnement et des Changements climatiques du Canada, le professeur Murray Humphries de l’Université McGill et le professeur George Arhonditsis de l’Université de Toronto. Cinq partenaires y prennent part, notamment un regroupement de 10 communautés de l’Arctique, l’Inuit Tapiriir Kanatami (ITK), le Wildlife Management Advisory Council, Environnement et Changements climatiques Canada, le Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, et Parcs Canada.