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Un poisson dans votre caméra

Djemel Ziou, professeur au Département d'informatique de l'UdeS.
Djemel Ziou, professeur au Département d'informatique de l'UdeS.

Photo : Michel Caron

Et si la nature produisait de meilleurs procédés que n’importe quelle démarche scientifique? Si l’on pouvait se fier aux adaptations naturelles des animaux dans la nature pour tenter de recréer les circonstances optimales en milieu expérimental? Et si l’évolution amenait les meilleures performances? C’est à partir de ces interrogations que le professeur Djemel Ziou et son équipe du laboratoire de recherche Modélisation en imagerie, vision et réseaux de neurones (MOIVRE), du Département d’informatique de l’Université de Sherbrooke, sont arrivés à la conclusion que les filtres de couleur pouvant offrir la meilleure qualité d’image possible dans les appareils photo seraient inspirés… de la rétine d’un poisson africain!

L’équipe, composée du professeur Ziou, de Julien Couillaud, étudiant à la maîtrise, et d’Alain Horé, doctorant, vient d’ailleurs de publier ses travaux dans le Journal of the Optical Society of America A.

Une mosaïque colorée

«Nous voulions savoir si la régularité dans l’organisation des cellules photosensibles présentes sur la rétine du poisson pouvait être reproduite expérimentalement. La régularité est facile à reproduire», affirme le professeur Ziou. L’équipe a donc tenté de reproduire l’organisation des cellules de couleur que l’on retrouve sur la rétine du poisson afin de l’appliquer aux filtres de couleur utilisés dans les appareils photo.

Tous les types de caméras auxquels on peut penser doivent comporter ces cellules de couleur pour arriver à reproduire des images en couleurs. L’œil humain n’y échappe pas : la rétine agit comme un filtre.

La différence entre la rétine humaine et celle du poisson africain Astatotilapia burtoni est l’organisation des cellules. Souvent composée de trois cellules de base, la disposition cellulaire – ou mosaïque – est tout à fait aléatoire chez l’humain. Il n’y a pas d’organisation, et chaque humain détient sa propre mosaïque.

Chez notre poisson africain de référence, tout est régulier : les cellules suivent un schème bien défini. La particularité de ce filtre inspiré de la nature réside donc dans l’organisation des cellules qui y sont attachées.

Organisation des cellules

Les cellules de la rétine du poisson Astatotilapia burtoni  suivent un schème bien défini.
Les cellules de la rétine du poisson Astatotilapia burtoni  suivent un schème bien défini.

Les petites cellules sont colorées et sensibles à la lumière. On trouve trois types de cellules, de trois couleurs différentes : vert, rouge et bleu. Avec ces trois couleurs de base, la rétine – ou le filtre – arrive à reproduire une multitude de couleurs. Plus la qualité des cellules est significative, plus la qualité d’image sera intéressante.

Au fil des années, les chercheurs ont tenté d’arriver à la meilleure organisation cellulaire possible, celle qui reproduisait le plus fidèlement les couleurs, celle qui offrait la meilleure qualité de photo. Pour ce faire, on a défini ce qu’était une belle photo, on a jonglé avec différentes formules pour en arriver à une règle de placement optimale selon la définition.

«Les chercheurs se sont interrogés à savoir quelle mosaïque était la meilleure, explique le professeur Ziou. On a fait des expériences avec cinq couleurs de base au lieu de trois, mais on perd au niveau de la fabrication de couleurs, trop approximative. Avec trois couleurs, on a essayé plusieurs mosaïques agencées de façon différente. Certaines sont meilleures dans tel contexte, d’autres dans tel autre contexte.»

Une organisation de cellules a été retenue pour les filtres des appareils photo (Bayer Mosaic) et une autre pour les écrans (Vertical Stripes TV Mosaic), lesquelles ont ainsi fait l’objet d’une industrialisation.

La force de la nature

À gauche, la mosaïque utilisée dans les appareils de télévision (Vertical Stripes TV Mosaic) et à droite, celle inspirée de l'oeil du poisson (Burtoni Mosaic). Cette dernière optimise la reproduction des couleurs.
À gauche, la mosaïque utilisée dans les appareils de télévision (Vertical Stripes TV Mosaic) et à droite, celle inspirée de l'oeil du poisson (Burtoni Mosaic). Cette dernière optimise la reproduction des couleurs.

Le filtre de couleur inspiré de la rétine du poisson (Burtoni Mosaic) permet non seulement la reproduction de la meilleure qualité d’images dans tous les contextes, mais il affiche aussi une nette supériorité dans les milieux aquatiques offrant différentes textures… comme le milieu de vie du poisson!

«Il était meilleur que la mosaïque optimale sur laquelle les chercheurs s’entendaient jusqu’à ce jour, composée de cinq couleurs de base, explique le professeur de la Faculté des sciences. Cette mosaïque n’a pas été industrialisée, l’industrie n’évoluant pas au même rythme que la recherche. Donc, on peut dire que le poisson voit mieux les couleurs que tout appareil photo, dans toutes les situations, surtout dans l’eau!»

Et l’industrie?

On procède actuellement par simulation. Il n’existe qu’une seule entreprise belge qui pourrait imprimer cette mosaïque sur un filtre. Les coûts évalués : près de 100 000 €, soit l’équivalent d’environ 126 000 $… La conversion coûte très cher.

Les règles de placement expérimentales ont été acceptées, et l’industrie doit composer avec ces règles. «Une version préliminaire de cette recherche a été présentée lors d’une conférence, et elle a suscité beaucoup d’intérêt et de discussion. Le Virtual Journal for biomedical Optics a sélectionné cet article et l’a également publié», conclut le professeur Ziou.