Aller au contenu

Prêtres en mission… dangereuse

Le professeur Maurice Demers s'intéresse aux actions des missionnaires canadiens-français.
Le professeur Maurice Demers s'intéresse aux actions des missionnaires canadiens-français.
Photo : Michel Caron

Le mot «mission» a pris une connotation plus sociale que religieuse pour les missionnaires canadiens-français en Amérique latine durant la Guerre froide; parfois au péril de leur vie. Si leur souvenir s’efface au Québec, l’Amérique latine n’a pas oublié le sacrifice de ces missionnaires du Nord.

À partir du milieu des années 60, l’Amérique latine connaît une vague de dictatures. «Dans cette période extrêmement répressive, les missionnaires sont actifs dans la défense des droits plus que dans l’évangélisation», indique Maurice Demers, professeur au Département d’histoire de la Faculté des lettres et sciences humaines. Pour garder leur mémoire bien vivante, le chercheur examine ces actions missionnaires de la fin des années 1950 aux années 1990 et leur couverture médiatique.

À cette époque de violence extrême, les prêtres ont donné jusqu’à leur vie pour protéger la population. «Ces gens qui avaient d’abord un rôle religieux en viennent à être des témoins de l’oppression de la population. Ils jouent donc leur rôle de religieux, de bon samaritain, en assistant leur prochain, souligne Maurice Demers. Des gestes comme organiser des soupes populaires, héberger des familles ou dénoncer des abus, leur valait d’être identifiés comme des "subversifs" aux yeux de la dictature, donc des gens qui remettaient en cause l’ordre établi. C’était une raison suffisante, selon les tyrans, pour les éliminer». Le missionnaire québécois Claude Lacaille se trouvait au Chili durant la dictature de Pinochet. «Il a vu plusieurs de ses collaborateurs se faire assassiner. Il a lui-même été menacé. Ces gens risquaient leur peau pour leur prise de position», donne comme exemple Maurice Demers.

D’autres missionnaires canadiens-français y ont laissé leur vie : Maurice Lefebvre en Bolivie et Raoul Léger au Guatemala. «Pour eux, c’était leur mission. Si tu risques ta vie, tu reconnais avoir un rôle à jouer en tant que religieux; celui d’être solidaire envers son prochain, qu’il soit le plus pauvre, opprimé ou marginalisé», spécifie Maurice Demers.

La nourriture avant l’évangélisation

Un court retour en arrière – au début des années 60 – explique cette volonté des prêtres à se rapprocher de la population. L’Église et les grandes puissances commencent à se conscientiser sur les problèmes de développement des pays du Sud. «Beaucoup de religieux en Amérique latine se disaient : "À quoi bon évangéliser les gens s’ils n’ont rien à manger? C’est un non-sens. Il faut d’abord les aider et ensuite leur parler d’évangile"», indique le professeur Demers.

Les prêtres entament alors une réflexion sur les bases fondamentales de la pauvreté. Ils voient la charité comme une solution temporaire, loin de régler le problème à la source. Influencés par ce qu’on appelle la «théologie de la libération», certains prêtres blâment les inégalités sociales. «Les plus riches accaparent les richesses, donc ils se disent qu’il faut casser le système si on veut véritablement libérer les pauvres. De plus en plus d’attaques contre le système économique capitaliste sont articulées», relate le professeur. Cette réflexion polarise beaucoup l’Église, car les prêtres qui dénoncent le système sont taxés de socialistes.

«Avec la masse de pauvres qui pouvait se rebeller, les États en Amérique latine en viennent à réprimer fortement leur population. Des dictateurs ont pris le pouvoir, animés par cette idéologie de la sécurité nationale. Il fallait s’assurer que le communisme ne s’infiltrait pas, et la meilleure manière de s’en assurer était de réprimer les mouvements sociaux», explique Maurice Demers.

Dans ce contexte de dictatures sanglantes, le sacrifice des missionnaires canadiens-français n’aura pas été vain. «C’est clair que des vies ont été sauvées par leurs actions. Les gens au Sud gardent souvent un très bon souvenir de ces missionnaires-là», affirme-t-il.