Vulgarisation scientifique
Pharmacogénétique : vers une médecine personnalisée
Depuis des siècles, les scientifiques travaillent à créer des traitements plus efficaces pour soigner diverses pathologies. Cependant, plusieurs essais-erreurs s’avèrent souvent nécessaires avant de trouver le bon traitement, et les effets secondaires peuvent être tantôt désagréables, tantôt mortels. Et si la clé de traitements plus efficaces se situait en fait à l’intérieur de vous, au plus profond des noyaux de vos cellules, là où se cache votre ADN, ce code qui vous est unique? C’est ce à quoi s’intéressent les chercheurs en pharmacogénétique, dont la mission est de comprendre les variations des gènes composant un génome, de même que leur impact sur l’efficacité thérapeutique de différentes molécules.
La génétique est un univers complexe, parsemé de routes encore inexplorées à ce jour. Si la découverte de l’ADN remonte à aussi loin que 1953, l’aventure des chercheurs en génétique est bien loin d’être terminée, vu la multitude de variations qu’il peut offrir. La professeure-chercheure Karine Tremblay a décidé de prendre part à cette grande aventure génétique, forte de sa vivacité d’esprit et de sa curiosité scientifique.
« Depuis le séquençage complet du génome humain au début des années 2000, on voit de plus en plus de chercheurs et de chercheuses s’intéresser à la pharmacogénétique, même si on connait l’ADN depuis beaucoup plus longtemps. Pour le moment, les avancées en pharmacogénétique sont plus concrètes dans le domaine de l’oncologie, mais plusieurs autres domaines thérapeutiques bénéficient ou pourraient bénéficier des applications de cette discipline! », affirme la Pre Tremblay.
Mais qu’est-ce donc que cette discipline exactement? Et quel serait l’apport d’une médecine sur mesure tenant compte de nos particularités génétiques? Pour bien comprendre la pharmacogénétique, il est important de d’abord en saisir certaines bases.
Génétique 101
Excluant le cas particulier des jumeaux identiques, chaque personne est dotée d’un ADN unique, avec des variations génétiques qui lui sont propres. Bien sûr, on peut retrouver ces mêmes variations individuellement chez d’autres individus, mais la façon dont sont placés les morceaux du casse-tête de l’ADN est toujours unique.
« Le génome d’une personne pourrait se comparer à un genre de code à barres qui représenterait son identité génétique, l’ensemble des variations génétiques qui font de cette personne ce qu’elle est et qui détermine, entre autres choses, de quelle manière elle est susceptible de répondre à différents traitement médicaux », explique la Pre Karine Tremblay.
La molécule d’ADN ressemble quelque peu à un escalier en colimaçon, dont les marches seraient les gènes. Le gène est donc une portion de la molécule d’ADN qui porte le code d’une information spécifique permettant aux cellules de produire diverses composantes de notre corps et de son intégrité. Dans certains cas, un seul gène dont le code est modifié par une variation génétique suffit à développer un trait ou une pathologie, puis dans d’autres, c’est la combinaison de plusieurs gènes et leurs variations qui permet la création d’un trait ou d’une pathologie.
La molécule d’ADN est la version « déroulée » d’un chromosome. Chaque cellule humaine contient 23 paires de chromosomes, dont 22 sont communs aux deux sexes. Une seule paire détermine le sexe, soit les chromosomes sexuels (X pour féminin et Y pour masculin). Chaque paire de chromosomes, située au cœur du noyau cellulaire, contient de l’information génétique très dense, qu’on pourrait comparer à la forme d’une pelote de laine. C’est en « tirant sur le bout du fil » qu’on déroule une très longue suite de gènes à la forme d’escaliers, tel qu’illustré plus haut. L’ADN représente donc des milliers d’informations génétiques disposées les unes à la suite des autres, le génome humain étant composé d’un total d’environ 20 000 gènes.
« À l’heure actuelle et grâce aux technologies de séquençage, nous connaissons beaucoup de variations génétiques, mais la grande majorité de leur effet reste encore à expliquer. Pour pouvoir comprendre une variation génétique, nous devons la repérer d’abord sur l’ADN, analyser ses effets sur des groupes de personnes qui portent ces variations, puis l’étudier en laboratoire pour comprendre les mécanismes liés à ses effets. Ce processus de recherche est donc très long », souligne la chercheuse Karine Tremblay.
En réalité, la pharmacogénomique et la pharmacogénétique, c’est la recherche de variations contenues dans les gènes afin de déterminer leurs répercussions sur l’efficacité d’un traitement.
Un traitement qui va comme un gant
La professeure-chercheure Karine Tremblay profite de l’écosystème avantageux de son site au Saguenay pour partager ses connaissances dans le monde concret. En effet, son laboratoire est localisé au CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean, ce qui permet à son équipe de travailler en collaboration interdisciplinaire avec les chercheurs et cliniciens sur des projets de recherche en épidémiologie génétique qui interpelle la recherche fondamentale, mais également la recherche clinique et translationnelle.
« Les médecins travaillent directement avec les patients et apportent une aide précieuse pour orienter nos recherches. Par exemple, il arrive que les médecins observent qu’une certaine proportion de leurs patients ne semblent pas répondre à un traitement donné. De notre côté, on peut étudier la réponse des patients aux traitements en question, ce qui nous permet d’identifier quelles variations génétiques pourraient être en cause. Une telle information pharmacogénétique pourra être utile pour comprendre pourquoi l’efficacité thérapeutique est compromise chez des personnes qui répondent moins bien aux traitements, mais aussi à déterminer d’autres alternatives thérapeutiques pour les patients d’après leurs profils de variations génétiques aux diverses molécules thérapeutiques », explique la chercheuse.
La pharmacogénétique est une science bidirectionnelle en soi : d’un côté, elle cherche à comprendre l’influence de la génétique sur les médicaments, et de l’autre, elle cherche à rendre ces informations pharmacogénétiques utiles aux médecins qui prescrivent les médicaments pour lesquels des variations pharmacogénétiques sont connues et bien documentées. Le but ultime de la pharmacogénétique est d’identifier les profils génétiques des individus qui présentent un risque particulier d’inefficacité ou de toxicité vis-à-vis de certains médicaments pour créer une médecine personnalisée à chaque personne. En fait, de tels profils qu’on pourrait imager comme des « codes-barres » permettraient un dépistage des personnes présentant ces susceptibilités, ce qui permettrait d’améliorer leur plan de traitement pharmacologique. En d’autres mots, un tel code barre pourrait un jour aider les médecins à mieux prédire qui répondra le mieux à un traitement X et à éviter des effets secondaires pour certains d’entre eux.
La génétique: des opinions mitigés
Le domaine de la génétique soulève parfois de la méfiance au sein de la population. Il a d’ailleurs été possible de l’observer avec l’avènement récent de la technologie par ARN messagers pour certains vaccins. L’idée d’être réduits à un code-barres, ou qu’on modifie la génétique peut donner un vertige digne d’un bon film de science-fiction. En outre, les questions éthiques font également partie de l’équation.
Toutefois, il faut savoir que les chercheurs en pharmacogénétique travaillent en tant qu’observateurs de ce qui existe déjà, sans modifier le code génétique de votre ADN. La mission de cette discipline est d’éviter à des patients ou des patientes de traverser inutilement de longues périodes d’effets secondaires, une toxicité inattendue ou une inefficacité thérapeutique ralentissant leur traitement. Cependant, avec au moins 20 000 gènes dans notre génome et une infinité de combinaisons de variations génétiques possibles, il est fort à parier que le travail des chercheurs en pharmacogénétique en sera un de longue haleine.