Portrait de la professeure Nathalie Roy, du Département de génie civil
Génie parasismique : prévoir le pire pour créer des structures qui résistent aux charges extrêmes
Le 24 avril, le bulletin d’informations à la radio fait état d’un séisme d’une magnitude de 6,6 qui vient de secouer le nord de l’île de Vancouver. «La secousse forte mais brève […] n’a fait ni victime ni dommages matériels», annonce la présentatrice. Par un curieux hasard, la table est mise pour un entretien déjà prévu avec Nathalie Roy, professeure de génie civil qui mène des recherches en génie parasismique. Sa spécialité : concevoir et mettre à l’épreuve des structures qui résistent aux charges extrêmes, ce qui inclut les tremblements de terre mais également des chocs comme la collision de camions, d’amas de glace ou de navires avec la structure d’un pont.
Plus tôt dans son parcours, Nathalie Roy a également étudié les méthodes de réhabilitation d’ouvrages existants. «Les anciens ouvrages étaient souvent conçus pour offrir une très grande résistance, grâce à des structures qui demeurent très solides, à condition que l’entretien soit bien fait. Aujourd’hui, la conception des ouvrages est basée sur une autre approche : les structures exposées à des charges extrêmes peuvent subir des modifications – par exemple se déformer après un impact – mais l’objectif est d’éviter l’effondrement», explique-t-elle.
Pour créer des ponts qui offrent une certaine capacité de déformation sans rupture fragile, les ingénieurs recourent notamment à des matériaux de nouvelle génération comme de nouveaux bétons et des polymères renforcés de fibres, des spécialités déjà présentes à la Faculté de génie. Mais la contribution originale de Nathalie Roy est de mieux comprendre les structures, grâce à des méthodes novatrices.
Essais pseudo-dynamiques
Au cours de ses études de doctorat il y a quelques années, Nathalie Roy a développé et mis à l’épreuve une méthode d’essais qui permettait de prévoir le comportement structurel des ponts en procédant à des tests de charge sur une partie ciblée d’un ouvrage, puis en complétant l’analyse par des simulations numériques.
«Cette approche dite d’essais pseudo-dynamiques par sous-structures était réalisée pour la 1re fois au Canada, dit la professeure. Dans mes travaux actuels, je continue de mener des recherches avec des méthodes comme celle-là. En résumé, on teste une partie d’ouvrage qu’on veut endommager (tout en prévenant l’effondrement) et on combine la réponse au tremblement de terre du reste de l’ouvrage avec des modèles numériques. On concentre notre attention sur l’élément qui doit protéger la structure et qui dissipe l’énergie. En général, il s’agit des piles de ponts.»
Souvent, cette approche combinée permet d’obtenir des prédictions plus précises que celles d’autres méthodes. «Si on veut tester une structure au complet, avec un modèle réduit, on sait que des effets d’échelle peuvent fausser les résultats, dit Nathalie Roy. Les modèles numériques permettent de mieux prévoir les comportements à grande échelle. On écrit ensuite des modèles que les ingénieurs de la pratique pourront appliquer ensuite.»
Pour créer ces structures, les ingénieurs ont également recours à des nouveaux types de matériaux comme les bétons renforcés par des armatures d’acier ou de matériaux composites – par exemple des fibres de carbone. Une autre approche est de confiner le béton dans des enveloppes de polymères.
«Le développement de nouveaux matériaux est la spécialité de plusieurs de mes collègues de la faculté, qui réalisent des percées très prometteuses, dit la chercheuse. Je collabore avec certains d’entre eux pour vérifier comment ces nouveaux matériaux améliorent la réponse dynamique des ponts.»
Prévoir les risques
Si le séisme ressenti sur la côte ouest n’a pas fait de dommages, c’est assurément parce que depuis quelques décennies, les risques sismiques sont mieux connus et mieux documentés. «Il y a eu plusieurs avancées techniques et scientifiques à la suite les grands séismes qui ont secoué la Californie depuis 1971, dit Nathalie Roy. Les normes canadiennes et québécoises en génie civil sont très avancées dans ce domaine.»
Elle explique que, selon les géologues, la côte ouest présente un risque sismique plus important mais différent de celui qui prévaut au Québec. «Le risque sismique est établi en combinant d’une part l’aléa sismique – soit la probabilité d’un séisme et sa magnitude potentielle – et d’autre part la densité de population et de structures sur un territoire donné. Ceci dit, Vancouver est la ville où le risque sismique est le plus grand au Canada, mais Montréal se classe au 2e rang. Ces données sont prises en compte lors de l’évaluation et de la construction des ouvrages d’art.»
Et au-delà des tremblements de terre, d’autres événements font partie des risques élevés de charges extrêmes. «Le ministère des Transports du Québec cible les effets des crues et des inondations, ainsi que les accidents routiers parmi les risques élevés d’endommager des structures, dit la professeure Roy. Avec mon collègue Charles-Philippe Lamarche, nous menons une recherche sur les risques potentiels de ces charges d’impacts sur les piles et les superstructures. Nous travaillons sur des risques associés à des charges extrêmes, liés à des événements très rares, qui surviennent occasionnellement aux quatre coins du monde. D’ailleurs, le Québec ne se trouve pas dans une situation pire que celle d’autres pays. Il faut seulement être conscient que le risque zéro n’existe pas, et que les ouvrages sont construits par des humains. Notre travail est de raffiner la connaissance afin de rendre les ouvrages d’art encore plus sûrs», conclut-elle.
Pédagogie et agrément des programmes
Seule femme parmi le corps professoral du Département de génie civil, Nathalie Roy ne se consacre pas qu’à la recherche. Elle a à cœur le développement pédagogique et participe activement à un vaste chantier qui vise à faire reconduire l’agrément des six programmes de baccalauréat auprès du Bureau canadien d’agrément des programmes en génie (BCAPG). «Déjà, nos programmes sont bien reconnus notamment grâce à l’alternance stage-études, et aux parcours de professionnalisation que nous avons mis en place ces dernières années, dit-elle. Désormais, le BCAPG demande aux institutions de démontrer que les finissants ont non seulement accumulé des unités d’enseignement, mais qu’ils ont développé 12 qualités professionnelles, dont entre autres, l’éthique, l’impact sur la société et l’environnement, la communication orale et écrite, ou le professionnalisme. Avec l’ensemble du corps professoral, nous développons des méthodes d’analyse et d’évaluation dans ce sens, et nous devrons les soumettre au BCAPG. C’est un défi important qui à terme devrait permettre de mettre davantage nos programmes en valeur.» Cet agrément doit être octroyé à la suite d’un processus d’audit par les pairs de l’industrie et des professeurs d’autres institutions.