La Faculté de génie se mobilise pour Haïti
Former pour mieux reconstruire
Au lendemain du tremblement de terre qui a secoué violemment Haïti, le professeur Patrick Paultre, du Département de génie civil de l’Université de Sherbrooke, a proposé un partenariat avec l’Université d’État d’Haïti pour mettre en place un projet de codéveloppement au bénéfice des institutions haïtiennes afin de former des ingénieurs et professeurs en génie parasismique. «Le conseil exécutif de l’Université d’État d’Haïti vous remercie pour ce geste de solidarité active en ce moment difficile pour notre peuple», a souligné avec enthousiasme le recteur de cette université, Jean Vernet Henry, dans une missive envoyée en mars 2010 à Gérard Lachiver, doyen de la Faculté de génie de l’UdeS. «Au-delà de l’urgence, nous sommes persuadés que la coopération universitaire représente l'un des meilleurs moyens de contribuer à la reconstruction à moyen terme d’Haïti et au renforcement des liens entre nos deux peuples.»
Le directeur du Centre de recherche en génie parasismique et en dynamique des structures de l’Université de Sherbrooke, Patrick Paultre, n’avait pas mis les pieds à Haïti depuis 36 ans. Il y est retourné quelques semaines après le tremblement de terre pour évaluer scientifiquement les dommages et identifier les problèmes afin de reconstruire selon les principes de dimensionnement parasismique. Au delà des décombres et de plus de 200 000 morts, il y a retrouvé un pays transformé par un mouvement démocratique en marche.
«J’ai été surpris par cette nouvelle effervescence qui se conjugue par la présence de plus de 40 partis politiques et des débats entre mes compatriotes, a souligné avec émotion le professeur Paultre, qui fait partie de la diaspora haïtienne. J’y ai revu des personnes qui fréquentaient l’école primaire en même temps que moi, bien que la grande majorité soit partie.»
Lors de cette première visite, il a discuté avec les autorités en vue d’établir un protocole d’entente qui permettrait à des étudiants haïtiens de faire une maîtrise en génie parasismique à la fois en Haïti et à Sherbrooke. Cette maîtrise conjointe permettrait de former des ingénieurs à la fine pointe qui retourneraient sur l’île pour aider à reconstruire le pays.
Le spécialiste en génie parasismique a été sollicité par le ministère de l’Éducation nationale d’Haïti pour mettre à niveau des ingénieurs et architectes du Ministère spécialisés dans la construction d’écoles, dont un très grand nombre se sont effondrées. Il est ainsi reparti une deuxième fois pour donner une formation sur le génie parasismique à environ 30 ingénieurs et architectes.
Le professeur Paultre a également été pressenti par le Comité d’union et de services aux municipalités, un regroupement de professionnels architectes et ingénieurs qui s’occupe surtout de formation, afin qu'il transmette ses connaissances dans le cadre de cours magistraux qu’il a donnés lors d’un troisième voyage.
En plus de toutes ces formations, Patrick Paultre a entrepris un travail de recherche sur le terrain avec Jean Proulx et Charles-Philippe Lamarche, de la Faculté de génie. Les trois professeurs ont effectué des mesures de vibrations sur un bâtiment de 12 étages qui a résisté au tremblement de terre.
«Il est intéressant d’étudier un bâtiment qui a subi un grand tremblement de terre et qui ne s’est pas effondré, explique Patrick Paultre. Ça n’arrive pas tous les jours, d’autant plus qu’un édifice situé juste en face, un hôpital nouvellement construit de quatre étages, s’est complètement effondré.»
L'expert ajoute : «Il est important d’identifier les propriétés du bâtiment, dont les périodes de vibration, qui nous permettront de valider si les modèles numériques que nous développerons sont adéquats. Après, nous ferons des simulations de tremblement de terre qui nous permettront de comprendre le comportement du bâtiment pendant la secousse sismique afin d’expliquer pourquoi la structure ne s’est pas effondrée.»
Une telle étude permettra une meilleure compréhension du niveau de sollicitation et du comportement de la structure et améliorera les façons de faire.
Benoît Boulanger, ancien porte-couleurs du Vert & Or en football, a aussi séjourné cinq jours en mai en Haïti avec les professeurs Paultre, Proulx et Lamarche pour compléter les essais dynamiques sous vibrations ambiantes. Il poursuit des études de maîtrise en effectuant des simulations sismiques sur ordinateur afin de mieux comprendre le comportement de la structure.
Pendant que tous ces essais ont été effectués, le professeur Paultre a donné une formation intensive sur deux semaines (quatre jours par semaine et six heures par jour) totalisant 48 heures de classe, ce qui équivaut à la durée d’un cours.
«Malgré la difficulté de la tâche, comme par exemple de traiter des sujets très théoriques, il y a une très grande volonté de leur part pour s’améliorer et se remettre à jour, dit le chercheur. Nous avons développé des outils simples afin d’illustrer de façon physique la réalité.»
Une telle formation s’inscrit dans un processus de formation continue qui aboutira à l’émission d’un certificat à ceux qui suivront le cours. L’Université d’État s’étant complètement effondrée, cette formation spéciale se donnera dans un hôtel. Quelque 80 personnes y sont déjà inscrites.
En plus de toutes ses obligations professorales à Sherbrooke, le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génie parasismique a accepté bénévolement de former la relève scientifique haïtienne en génie parasismique. Il profitera de son année sabbatique pour développer concrètement cette entente de collaboration avec la Faculté des sciences appliquées en Haïti. Puisque le génie parasismique n’y est pas enseigné, il veillera à mettre sur pied un curriculum de cours. À cet égard, le système d’éducation haïtien est davantage orienté sur l’étude des cyclones que sur les tremblements de terre.
«La formation de spécialistes et de professeurs est impérative, affirme Patrick Paultre. D’ailleurs, un étudiant devrait poursuivre ses études postdoctorales à Sherbrooke en septembre pour ensuite retourner et transmettre ses connaissances.»
Par ailleurs, le gouvernement haïtien établira des cours obligatoires au baccalauréat en génie civil avec une orientation en structure qui comprendra des cours d’introduction au génie parasismique et à la dynamique des structures. «L’objectif est de mettre sur pied un programme d’études supérieures qui donnerait accès à une maîtrise, parce qu’il y en a pas actuellement, dit le professeur. Notre faculté de génie à Sherbrooke aidera beaucoup à l’établissement d’un tel programme en collaboration avec les autorités haïtiennes.»
Selon Patrick Paultre, la reconstruction d’Haïti prendra au moins 10 ans. Toutefois, les répliques sismiques se font toujours sentir, comme le 3 mai dernier, alors qu'une secousse d’une magnitude de 4,7 sur l’échelle de Richter a été enregistrée : «Les gens sont encore traumatisés, dit-il. Lorsque la terre tremble, les gens quittent leur maison pour se réfugier sous des tentes montées un peu partout afin d'y passer la nuit.»
Malgré le chaos apparent, l’équipe du professeur Patrick Paultre se retrousse les manches pour transmettre son savoir. Les ingénieurs et architectes haïtiens pourront construire selon les règles de dimensionnement parasismique afin de mieux protéger les personnes et les structures contre des catastrophes naturelles ou pour la sécurité passive dans le secteur des transports, notamment.