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Réalisations

Championne du réseautage

Jade Degrandmaison
Jade Degrandmaison
Photo : Éloïc Colombo

En recherche fondamentale, il existe deux types de découvertes : le premier type consiste à découvrir une solution précise à un problème précis, alors que le second permet plutôt d’ouvrir la voie à trouver une quantité de solutions à plusieurs problématiques sur une plus longue période. C’est ce dernier type de découverte que Jade Degrandmaison, étudiante au doctorat en pharmacologie à l’Université de Sherbrooke, a eu l’occasion de faire dans le cadre de ses recherches à l’Institut de pharmacologie de Sherbrooke (IPS). Petit entretien avec la doctorante et auteure principale de l’article scientifique « In vivo mapping of a GPCR interactome using knockin mice » publié le 9 juin dernier dans la populaire revue scientifique PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America).

En sciences comme dans la vie, on choisit parfois les situations dans lesquelles on se retrouve, mais il arrive aussi que ce soit les situations qui nous choisissent. C’est exactement ce qui est arrivé à Jade Degrandmaison, doctorante en pharmacologie à l’IPS: « Au départ, je ne travaillais pas sur la douleur, j’étais plutôt concentrée sur ma thèse qui tournait autour du domaine cardiaque…et les neurosciences et la cardiologie sont deux domaines complètement différents! », souligne la jeune femme. C’est par hasard que la scientifique se retrouve dans une rencontre avec son directeur, le Pr. Jean-Luc Parent et le collègue de celui-ci, le Pr. Louis Gendron, avec qui il collabore sur un autre projet. « Ça faisait deux ans que l’évolution de leur projet était bloquée par une étape en apparence complexe à franchir. En discutant, nous avons eu l’idée de reproduire une manipulation considérée comme routinière dans le labo Parent, mais de la transposer dans l’environnement de leur problématique. Je me suis donc proposée pour adapter le protocole qu’on utilise habituellement sur des cellules en culture afin qu’il fonctionne sur des tissus vivants. », déclare la doctorante. Contre toutes attentes, la manipulation adaptée par la jeune étudiante fonctionne du premier coup. « Au début, Louis pensait que c’était peut-être un coup de chance, mais même en le réessayant plusieurs fois, ça fonctionnait. », souligne l’étudiante en souriant.

La douleur, une question de récepteurs

C’est dans le cadre d’une recherche ciblant le récepteur opioïde de type Delta que la jeune scientifique a effectué sa manipulation gagnante. Le projet en question s’intéresse à ce récepteur impliqué dans la douleur puisque l’utilisation d’un médicament se liant à celui-ci occasionnerait potentiellement beaucoup moins d’effets secondaires que ceux que rapportent les patients à qui on administre des opioïdes traditionnels fonctionnant de pair avec un autre récepteur de la même famille (Mu). « Les opioïdes traditionnels comme la morphine, lorsqu’utilisés à long terme, génèrent toutes sortes d’effets secondaires désagréables sur les patients dont le plus grave est l’apparition d’une dépendance à ces narcotiques pharmaceutiques. », ajoute la jeune femme.

Si la molécule (médicament) et le récepteur existent, le problème réside surtout dans la communication entre les deux. « Le récepteur Delta est situé à l’intérieur de la cellule contrairement au récepteur Mu qui lui, est en bordure de la membrane. En raison de sa localisation, la molécule ne parvient donc pas à se lier au récepteur Delta. », précise la scientifique. De ce fait, c’est précisément ce problème que le projet des professeurs Parent et Gendron vise à solutionner.

Un Google Map cellulaire

Schéma du réseau interne de la cellule
Schéma du réseau interne de la cellule
Photo : License creative commons

« La cellule, c’est un peu comme un grand réseau social complexe. Pour comprendre ce qui s’y passe, on doit connaître les différentes interactions entre les différents éléments qui la composent. » Si l’on connait bien l’environnement de plusieurs familles de récepteurs, l’environnement des récepteurs de la famille des RCPGs, dont fait partie le récepteur opioïde de type Delta, n’est pas très bien connu. La méthode développée par Jade Degrandmaison (qui a été l’objet de l’article publié dans la revue PNAS) est novatrice, en ce sens qu’elle a non seulement permis de tracer une « carte » illustrant l’environnement du récepteur Delta, mais elle pourrait permettre également de comprendre les environnements des autres récepteurs de cette famille qui sont des cibles pharmacologiques potentielles dans le traitement de plusieurs autres conditions telles que les maladies cardiovasculaires ou le diabète.

Si les êtres humains utilisent souvent le réseautage pour évoluer professionnellement et atteindre leurs objectifs, les récepteurs peuvent faire de même avec les protéines environnantes afin d’atteindre un objectif précis, comme par exemple rejoindre la membrane cellulaire afin d’être plus accessibles pour la molécule qui intéresse l’équipe Gendron-Parent-Degrandmaison. « En regardant la carte, on a décelé environ mille protéines dans l’environnement du récepteur. L’idée est de les caractériser afin de savoir si l’une d’entre elle retient le récepteur à l’intérieur de la cellule. En inhibant spécifiquement une protéine qui a ce rôle, on pourrait réussir à amener le récepteur à la membrane et permettre au médicament de cibler le récepteur et de produire son plein effet. », ajoute la jeune femme.

« La douleur chronique, c’est un sujet dont on ne parle pas suffisamment dans l’espace public. Contrairement au cancer et aux autres maladies graves, les patients restent en vie, mais vivent une souffrance difficile à imaginer quotidiennement. », indique la jeune scientifique. Le souhait des professeurs Louis Gendron et Jean-Luc Parent est que l’exploitation du récepteur Delta permette ultimement une meilleure qualité de vie aux patients qui souffrent de douleurs chroniques et qui doivent prendre des opioïdes sur une très longue période, voire toute leur vie.