Président de la récente Commission d'étude sur les services de santé et les services sociaux, Michel Clair place le système québécois dans une perspective historique afin de mieux cerner les enjeux en cause : "Il faut d'abord se demander d'où on vient, où on en est et où on s'en va!"

 

Au-delà de son mandat initial portant sur le financement et l'organisation des services, la commission Clair a émis plusieurs recommandations sur le développement des ressources humaines, reconnaissant ainsi le rôle majeur des quelque 225 000 employés du secteur de la santé et des services sociaux, tout en soulignant l'importance stratégique de leur formation pour les préparer à relever les défis de demain.

 

"Monsieur Clair, faites-nous une commission s'il vous plaît"

Michel Clair savait dans quoi il s'embarquait quand il a accepté de présider la récente Commission d'étude sur les services de santé et les services sociaux. "Une expérience extraordinaire", lance-t-il spontanément.

Le 15 juin 2000, la commission Clair donnait le coup d'envoi à l'une des consultations les plus médiatisées de ce début de siècle. Sept mois plus tard, le 17 janvier 2001, le rapport était déposé. Un véritable sprint!

"La Commission a réussi le tour de force de créer un réel climat d'entraide et de susciter un profond désir de trouver des solutions, raconte le principal intéressé. Les gens savaient que nous avions peu de temps et que nous devions choisir une approche de recherche de solutions. Nous avons obtenu une collaboration exceptionnelle de l'ensemble des groupes concernés. C'était comme si nous tirions sur les fleurs pour accélérer leur croissance et ainsi faire ressortir les idées maîtresses, celles qui semblaient avoir le plus d'avenir et être les plus susceptibles d'améliorer la qualité et l'efficience de nos services."

Présider une telle commission d'étude constituait un défi d'envergure. Michel Clair n'a pas hésité : "J'ai plongé là-dedans avec une grande soif d'être utile pour le Québec, avec un désir de servir, mais aussi de réussir!"

Changer le monde

Il faut dire que Michel Clair détient un bagage exceptionnel, acquis au cours d'un cheminement tout aussi exceptionnel. Du jeune avocat fraîchement sorti de l'Université de Sherbrooke avec son diplôme en main et ses rêves en tête, jusqu'au gestionnaire averti qui gravite autour des enjeux majeurs de notre société, il y en a du chemin!

L'aventure commence dans le réseau de l'aide juridique à Drummondville. Issu d'un milieu modeste, Michel Clair trouve tout à fait normal de se diriger dans un secteur où il pourra défendre les droits des personnes à faible revenu : "À cette époque, j'avais pour ainsi dire une attitude de gauche, si bien que l'aide juridique m'attirait beaucoup plus que les grosses compagnies." Pour appuyer ses motivations ou tout simplement pour partager un rêve de jeunesse, il ajoute aussitôt : "À 23 ans, on rêve de changer le monde!"

C'est cependant dans un tout autre contexte qu'il essaiera de réaliser ce rêve. Soucieux de bien informer les gens sur leurs droits, le jeune avocat écrit une chronique juridique hebdomadaire dans le journal local et participe chaque semaine aux premières diffusions radiophoniques de La minute juridique. Il devient vite une figure publique bien connue dans son milieu. Les élections provinciales se préparent, et on l'invite à joindre l'équipe de René Lévesque. "J'étais membre du Parti québécois, mais je n'étais pas très militant, confie-t-il. Ce n'était vraiment pas planifié. En fait, à cet âge, je n'avais pas encore eu le temps de planifier quoi que ce soit."

Il démissionne de l'aide juridique et se lance dans l'arène politique. Le 15 novembre 1976, c'est l'euphorie! Le Parti québécois prend le pouvoir à la grande surprise des analystes politiques et de la plupart des Québécois, y compris les nouveaux députés péquistes qui prennent alors conscience de la lourde tâche qui leur incombe. "Vous dire que c'était un jardin de roses... En fait, c'était extrêmement exigeant. Je peux vous dire que j'en ai ramé un coup!" avoue l'ancien député de Drummondville.

Il remplit tour à tour les fonctions de ministre du Revenu, de ministre des Transports, de président du Conseil du trésor et de ministre de l'Énergie et des Ressources. René Lévesque l'a même pressenti pour le poste de ministre de la Santé, mais il préfère le garder au Conseil du trésor.

Et la santé

Défait en 1985, Michel Clair devient directeur de cabinet du chef de l'opposition jusqu'en 1987, année où il quitte la vie politique. "Je n'avais pas l'intention de poursuivre un engagement politique, mais j'aimais l'administration publique. En devenant directeur général de la Confédération québécoise des centres d'hébergement et de réadaptation, j'ai eu l'occasion de diriger une équipe formidable pendant une période très effervescente dans le secteur de la santé et des services sociaux."

Rappelons que la commission Rochon alimente l'actualité à cette époque. Amorcée en 1985, cette commission dépose son rapport en 1987, sous le règne des libéraux qui doivent maintenant s'assurer de l'application des recommandations. Michel Clair se trouve alors de l'autre côté de la clôture, mais il est directement impliqué dans la mise en place de cette vaste réforme de la santé. Il s'y active pendant plus de sept ans : "Avec beaucoup de plaisir!"

En 1994, quand le Parti québécois reprend le pouvoir, Michel Clair revient au ministère des Ressources naturelles en tant que sous-ministre. Puis, en 1997, il se joint à l'équipe de direction d'Hydro-Québec. "Je suis devenu un gestionnaire qui a acquis une expérience dans plusieurs secteurs d'activité, principalement ceux reliés à l'énergie et à la santé. Dans le secteur de l'énergie, j'ai joué tous les rôles, de ministre à vice-président. En santé, j'ai connu les aspects relatifs aux budgets, aux relations patronales-syndicales, aux commissions d'étude, et ce, tant du côté social que médical, pour tous les types de clientèles : jeunes, familles, déficients physiques et intellectuels, toxicomanes, personnes âgées en perte d'autonomie, etc. Mon expérience me permet aujourd'hui d'être sensible à toutes ces dimensions."

Ici et ailleurs, avant et après

Michel Clair revient à la santé en acceptant de présider la commission qui portera son nom. Dès lors, il sait que pour mener à bien une telle commission, il faut placer des balises qui permettent de bien situer le système québécois dans le temps et dans l'espace. "Le Québec s'inspire davantage des systèmes européens, principalement ceux d'Angleterre et de Scandinavie, que du système américain, souligne-t-il. À part quelques bonnes idées administratives, nous avons rejeté le système américain qui s'appuie sur un rationnement par la loi du marché et coûte deux fois plus cher que le nôtre, en ne couvrant que 80 % de la population. Ici, nous nous appuyons davantage sur des valeurs d'équité, de solidarité et de compassion." Mais ces valeurs ont aussi un prix!

Le système canadien voit le jour en Saskatchewan, au début des années 1950, alors que les citoyens veulent mutualiser le risque relié aux coûts d'hospitalisation. Le régime d'assurance hospita-lisation du Canada est mis en place à la fin de cette décennie, et le Québec y adhère quelques années plus tard. "Mais déjà on constate l'effet pervers de cette couverture, précise Michel Clair. Quand on consulte un médecin à l'hôpital, c'est gratuit, alors qu'en cabinet privé, c'est payant."

Pas de problème! En 1970, on ajoute le régime d'assurance maladie. Michel Clair rappelle que le Québec traverse alors une période de croissance économique et que l'Europe a déjà commencé à développer des systèmes d'assurance maladie qui englobent les frais de médecin. Mais un autre effet pervers surgit alors : "Tout ce qui était curatif devenait gratuit, tandis que tout ce qui était préventif n'était pas couvert." Comme les belles années de croissance économique se poursuivent, on ne s'inquiète pas. On trouvera bien les sous en temps et lieu. La Loi sur les services de santé et les services sociaux précise même que la seule limite est la disponibilité des ressources financières. En principe, tout ce qui est médicalement requis devrait être couvert.

Les années se suivent, mais...

Inutile de préciser que les belles années de croissance économique sont chose du passé; il faut faire des choix. "Il faut faire les bons choix, précise Michel Clair. Le défi des pays qui ont des systèmes à financement public est de faire des choix en fonction des valeurs de leur société, tout en démontrant un haut niveau de performance. Chaque Québécois verse la moitié de son impôt pour soutenir les dépenses en santé; il est donc normal de justifier l'utilisation de cet argent si on veut maintenir la solidarité."

Le défi ne s'arrête pas là. Le début du XXIe siècle est caractérisé par des changements majeurs qui entraîneront d'importantes transitions sur les plans technologique, démographique et épidémiologique. "Nous vivons présentement une véritable explosion de nouvelles technologies médicales. Tous les jours, il y a de nouveaux médicaments, de nouveaux traitements, de nouveaux équipements. Et la mauvaise nouvelle, c'est qu'ils sont bons et efficaces!" Mauvaise nouvelle parce qu'ils coûtent de plus en plus cher. Michel Clair rappelle que la couverture des médicaments ne nous semblait pas importante auparavant, puisque ceux qui coûtaient cher étaient généralement pris à l'hôpital. Ils subissent maintenant une augmentation de 15 % par année! "Seul le Québec a le mérite d'avoir instauré un régime d'assurance médicaments pour l'ensemble de sa population. Aujourd'hui, le budget des médicaments est plus élevé que celui des médecins. Qui aurait pu prévoir ça en 1960?"

Et que dire de la démographie? Que la population vieillit beaucoup plus vite au Québec qu'ailleurs! "Tous les pays occidentaux ont des populations vieillissantes. Ce qui est particulier au Québec, c'est que le pourcentage de la population de plus de 65 ans passera de 12 % à 24 % en 30 ans. Elle doublera en 30 ans, insiste Michel Clair, alors que les États-Unis mettront plus de 70 ans pour doubler la leur. Ce phénomène, lié à la chute du taux de natalité, est différent de celui de l'allongement de la durée de vie."

Des technologies médicales efficaces et une population vieillissante entraînent forcément une réalité épidémiologique totalement différente. "Notre système n'a pas été conçu pour répondre à un nombre de plus en plus grand de malades chroniques, mais bien pour offrir des soins de courte durée, précise Michel Clair. Nous avons mis l'accent sur l'hôpital et le médecin, en créant les régimes d'assurance hospitalisation et d'assurance maladie. Collectivement, nous prenons maintenant conscience que de plus en plus de gens auront besoin de services autres que médicaux."

Cette situation provoque des ondes de choc dans les services hospitaliers et médicaux, lesquels sont souvent inadéquats pour les personnes en perte d'autonomie et parfois non disponibles pour celles qui en auraient besoin. Sans parler des coûts élevés.

Inventer l'avenir

À l'heure des choix, la commission Clair s'est placée dans une perspective d'évolution historique du système québécois. Elle a tenu compte des transitions importantes que vivait la société québécoise; puis, elle a adopté une approche pragmatique qui visait à ne retenir que les solutions réalisables qui avaient le mérite d'améliorer la situation tant pour ceux qui reçoivent que pour ceux qui donnent les services.

Après une vaste tournée de consultation dans tout le Québec, l'analyse d'une multitude de mémoires, une série de forums d'experts, de nombreuses rencontres et mises au point, Michel Clair et les huit commissaires qui l'entouraient ont écrit leur rapport et émis 36 recommandations, accompagnées de 59 propositions. Elles portent sur l'organisation des services, le développement des ressources humaines, le financement public et la clarification des rôles des différents intervenants. Les plus attendues traitent de la prévention, de l'organisation d'un réseau de première ligne, de la création d'un réseau de services intégrés, d'un système d'information clinique; les plus originales suggèrent de créer des groupes de médecine de famille, d'instaurer un régime d'assurance contre la perte d'autonomie, de développer de nouvelles compétences et de raviver la fierté.

Même si sa vie active est terminée depuis un an, la commission Clair fait encore les manchettes. "Jusqu'à tout récemment, je recevais encore des mémoires, raconte Michel Clair. Je suis invité régulièrement à prononcer des conférences ou à participer à des forums. Les gens veulent comprendre et veulent vraiment trouver des solutions."

Michel Clair ne tourne donc pas la page, même s'il vient de s'engager dans un nouveau défi à titre de président et chef de l'exploitation de GSS Générale de Services Santé, un leader au Québec et en Amérique dans la gestion de centres hospitaliers de longue durée et de résidences pour personnes âgées. "Ce qui est important pour moi, c'est de continuer à inventer l'avenir, à me donner des objectifs élevés et à avoir du plaisir à les atteindre."

 

Vox pop

Je crois que tous les services sont plus efficaces quand ils sont prodigués avec le sourire; que ce soit les services professionnels d'un médecin, d'une infirmière, d'un conseiller fiscal ou même d'un dentiste...

M. Clair

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