Jean-René Dufort

Biochimiste, journaliste et bouffon

par Bruno Levesque

Lors de la dernière saison de télévision, un diplômé de l'Université de Sherbrooke a fait parler de lui pour sa participation à l'émission La fin du monde est à 7 h, présentée à Télévision Quatre Saisons. Diplômé en biochimie en 1990, Jean-René Dufort y présentait des reportages au style pour le moins étonnant où l'humour cohabitait avec le journalisme.

Dans l'esprit de Jean-René Dufort, son rôle de communicateur, son travail de journaliste à l'émission La fin du monde est à 7 h nécessite rigueur et véracité. Pourtant, avec ses allures à la Woody Allen, ses grandes lunettes, ses longs cheveux et son sourire équivoque, on ne sait jamais trop s'il est sérieux ou s'il fait le clown. Une chose est sûre cependant, il a le don de faire réagir, devant les caméras, les gens qui font l'objet de ses reportages. <<À La fin du monde est à 7 h, je ne suis pas uniquement observateur comme les autres journalistes. Je provoque des réactions et je montre aux gens comment les acteurs réagissent. Leur façon de réagir en montre souvent davantage que ce qu'ils disent parce que, trop souvent, leur discours est programmé par les gens de marketing et de relations publiques.>>

Ross Rebagliati, ce skieur canadien dont le sang contenait des traces de marijuana aux Olympiques de Nagano, a fait expulser Jean-René Dufort d'une conférence de presse quand celui-ci a allumé devant lui une énorme fausse cigarette de marijuana et qu'il a dirigé la fumée vers l'athlète à l'aide d'un petit ventilateur. Les gens du Parti libéral à Ottawa ont semblé très indignés quand le jeune journaliste a voulu leur donner 50 $ afin de pouvoir, comme d'autres contributeurs à la caisse du parti, bénéficier des largesses du gouvernement fédéral. Même s'il ne s'est jamais prononcé sur la question, le chef du Parti libéral du Québec, Jean Charest - lui aussi, on le sait, diplômé de l'Université de Sherbrooke - n'a certainement pas apprécié que le journaliste veuille lui faire la lutte pour la direction du Parti. Pas plus que les gens de la Fondation des maladies du coeur qui ont vu un comédien embauché par La fin du monde est à 7 h simuler une crise cardiaque en pleine conférence de presse.

Les exemples de bouffonneries ne manquent pas. Après avoir lu dans le journal que six chats avaient disparu dans un quartier de la banlieue montréalaise, il s'est déguisé en chat et a arpenté les rues du quartier pour voir les dessous de cette affaire. Plus tôt, il avait réussi à s'approcher à quelques pas du maire Pierre Bourque avec une tarte à la crème à la main pour démontrer que le maire n'était pas du tout à l'abri de ce genre d'agression. Quand le verglas a frappé Montréal, il s'est déguisé en Superman et a pris part aux opérations de nettoyage des rues, tronçonneuse à la main. Il a volé un Félix au chanteur Éric Lapointe. Il a été le premier à visiter le motel appartenant à un directeur de prison de la région de Trois-Rivières que les bloquistes soupçonnaient être un repaire de Hell's Angels. Il a même organisé un lave-auto afin de ramasser des fonds pour gagner son pari avec Jean Doré et lui faire raser la moustache.

<<Il nous arrive d'être complètement niaiseux, explique Jean-René Dufort, mais tout ce que nous racontons est véridique et vérifié. Ce n'est pas parce qu'il y a quelques blagues dans un reportage qu'il n'est pas sérieux et rigoureux et que l'information transmise n'est pas véridique.>> Dans le cas de Ross Rebagliati, le journaliste explique qu'il voulait vérifier si le médaillé olympique disait la vérité, quand il racontait que cette histoire de marijuana était derrière lui et qu'il en riait maintenant. Pour Jean-René Dufort, la réaction du skieur devant la cigarette de marijuana prouve le contraire : <<La vraie réponse, c'est moi qui l'ai eue. La promptitude de sa réaction disait tout. Il ne pourra plus jamais me dire que ça ne le dérange pas. Oui, j'ai eu l'air épais. Oui, j'ai fait une blague. Mais j'ai obtenu la variable information.>>

Pour ce qui est de la course à la chefferie du Parti libéral du Québec, Jean-René Dufort explique que cette série de reportages a permis aux gens de voir un peu comment ça se passait à l'intérieur d'un parti politique et, surtout, qu'il n'y aurait pas de course à la chefferie, que Jean Charest serait le seul et unique candidat. Quant au reportage sur le motel de Trois-Rivières, en plus de prouver que les soupçons des bloquistes ne tenaient pas debout, il a permis de constater un travers que Jean-René Dufort reproche à ses collègues journalistes : trop se fier aux conférences de presse et ne pas aller vérifier sur le terrain ce qui se passe réellement.

Un joyeux mélange

On pourrait croire que Jean-René Dufort s'est créé un personnage pour la télévision. Pourtant, le principal intéressé affirme qu'il en n'est rien. Le faux naïf un peu rebelle qui se place constamment dans des situations loufoques, c'est lui. <<Ce que les gens voient à La fin du monde est à 7 h, c'est vraiment moi. Je ne joue pas de rôle. Je ne suis ni plus ni moins concombre, débile ou intelligent dans cette émission que dans la vie de tous les jours>>, assure-t-il.

Et il semble que cela ne date pas d'hier! Concombre, débile et intelligent, Jean-René Dufort l'était déjà alors qu'il fréquentait l'Université. Dès la première journée, il s'était fait remarquer en faisant le tour des résidences avec son litre de lait et ses coupes à champagne. Tout en poursuivant ses études en biochimie, le jeune homme était au coeur de toutes les activités de <<sa gang >> comme il dit. <<Les deux années que j'ai passées sur le campus Ouest, mon département a remporté la première place du carnaval étudiant>>, se souvient-il avec fierté. En 1989, ses collègues et lui avaient kidnappé le rédacteur en chef de La Tribune, Jean Vigneault, exigeant comme rançon la publication, en première page, d'un article louangeur à leur endroit.

L'année suivante, Jean-René Dufort recevait son baccalauréat en biochimie et quittait l'Université. Fort de ce diplôme, il a d'abord travaillé dans un laboratoire d'analyse environnementale, puis dans une entreprise de produits pharmaceutiques. Après quatre années passées en laboratoire, Jean-René Dufort s'est retrouvé journaliste pigiste pour les magazines Québec science et Les Petits Débrouillards.

Il s'est par la suite éloigné du domaine scientifique et a commencé à collaborer au magazine Protégez-vous. Après plusieurs reportages portant sur des questions de consommation, Jean-René Dufort mène une enquête sur Jojo Savard et sa ligne téléphonique de prédictions astrologiques. Publié en octobre 1996, l'article Comment devenir un parfait petit médium a beaucoup fait parler de lui et, en montrant comment n'importe qui peut travailler pour cette entreprise, a contribué sa disparition.

Parallèlement à sa collaboration à Protégez-vous, Jean-René Dufort a été chroniqueur à l'émission du matin à la télé de Radio-Canada. Il a aussi collaboré, à la radio CKMF, à une émission qu'animait Marc Labrèche, l'animateur de La fin du monde est à 7 h. C'est là qu'il a entendu parler de ce projet d'émission et qu'il a manifesté son envie d'y participer. Depuis, il entre au bureau à sept heures le matin, scrute l'actualité avec le rédacteur en chef de l'émission, Pierre-Louis Laberge, ancien journaliste à l'émission J. E., et part à la recherche de la nouvelle. Il termine le plus souvent son reportage quelques minutes avant le début de La fin du monde, à 19 h.

Compte-t-il faire cela longtemps? Au moins un an, puisque l'émission reprendra l'antenne en septembre 1998. Après, il compte bien rester dans le monde des communications ou alors se tourner vers l'enseignement des sciences. <<Au fond, ce que j'aime le plus dans la vie, c'est mémérer, avoue le journaliste. Dans les laboratoires, je trouvais déjà plus intéressant de jaser de l'expérience avec mon voisin que de faire moi-même l'expérience.>>