Diplômé de la Faculté d'administration en 1978, Normand Legault met ses connaissances, son savoir-faire et son esprit d'entreprise au service d'une PME générant des revenus annuels de quelque 20 millions de dollars. Cette PME n'a cependant que peu à voir avec les milliers d'entreprises aux revenus comparables. Chaque année, elle attire près de 250 000 personnes sur l'île Notre-Dame en une toute petite fin de semaine et fait se tourner vers Montréal les yeux de 410 millions de téléspectatrices et téléspectateurs à travers le monde.

Président du Grand Prix de Montréal

Normand Legault au volant d'un puissant bolide

par Bruno Levesque

Enfant, Normand Legault accompagnait son père, grand amateur de course automobile. Adolescent, son idole était Jackie Stewart, champion de formule 1 en 1969, 1971 et 1973. Plus tard, son penchant pour la course l'a amené à sillonner tous les coins où était présentée de la course automobile et jusqu'à Toronto où se déroulait alors le Grand Prix du Canada. Il a lui-même conduit plusieurs voitures de course, notamment à l'époque où il était copropriétaire de l'École de course automobile Jim Russell.

Malgré cette passion, Normand Legault n'a jamais pensé gagner sa vie avec la course automobile. Pour lui, il s'agissait d'un simple loisir. Il ne pensait même pas qu'il fallait des gens et de nombreuses heures de travail pour organiser les courses qui l'intéressaient tant.

Une PME très en vue

Maintenant à la tête du Grand Prix du Canada, course automobile qui chaque année attire des pilotes de partout dans le monde, Normand Legault sait très exactement ce qu'il faut d'efforts pour organiser un grand prix de formule 1. Même si les pilotes n'envahissent le circuit Gilles-Villeneuve qu'une semaine par année, la PME fonctionne toute l'année, avec sa vingtaine d'employés réguliers et jusqu'à 3000 employés lors du week-end de la course.

Quelques chiffres suffisent pour comprendre que le Grand Prix du Canada n'est pas une PME comme les autres. Avec son budget de 20 millions de dollars, elle génère des retombées économiques d'environ 50 millions de dollars pour la grande région montréalaise. Près de 40 p.100 des gens qui viennent à Montréal pour assister au Grand Prix proviennent de l'extérieur du Québec, dont près du quart de l'extérieur du Canada, ce qui signifie qu'une grande part des dépenses de ces touristes de la formule 1 constituent un apport nouveau dans l'économie de la région.

L'agenda du président est lui aussi révélateur de ce qui distingue le Grand Prix de Montréal de bien d'autres PME. Des noms tels Monaco, Londres et Paris y apparaissent plus souvent que ceux de Toronto ou de Montréal. << Par définition, la formule1 est une organisation internationale, explique Normand Legault. Le siège social de la Fédération internationale de l'automobile est à Paris, celui de l'Association des constructeurs, la FOCA, est à Londres, les équipes viennent d'un peu partout. Les réunions de travail ont souvent lieu lors des grand prix, donc en Argentine, en Australie, à Monaco, etc. C'est le seul moment où tout le monde est au même endroit. Il est certain qu'un tel horaire de travail a un cachet spécial. C'est excitant... pendant les premières années. Après 20 ans, ça perd un peu de son attrait.>>

La passion de Normand Legault pour la course automobile s'est elle aussi trouvée modifiée par ces 20 ans, mais il assure avoir conservé un grand intérêt pour le côté sportif de la chose. <<Je serai toujours un mordu de formule1, dit-il, même si c'est plus facile d'être passionné quand tu n'es pas à l'intérieur.>>

Normand Legault était en Espagne quand Jacques Villeneuve a gagné le Championnat du monde l'an dernier. Il était très heureux quand il a vu la voiture de Michaël Schumacher enlisée dans le bac de sable puis quand Jacques Villeneuve a franchi la ligne d'arrivée. << Là où je dois demeurer parfaitement neutre, précise-t-il, c'est dans l'organisation du Grand prix de Montréal. Il ne faut pas que je donne le moindre avantage à une équipe et Jacques Villeneuve redevient un parmi les 24 pilotes de Formule 1. >>

La route vers le Grand Prix

La route qui a conduit Normand Legault à la tête du Grand Prix du Canada est marquée au coin de la passion du sport automobile, de la compétence professionnelle et d'un peu de cette chance qui fait qu'on se retrouve au bon endroit au bon moment. Pendant qu'il était étudiant à l'Université de Sherbrooke, le jeune Normand Legault se trouve un emploi au Service de la promotion à la brasserie Labatt. À cette époque, rappelle-t-il, Labatt commanditait Gilles Villeneuve en formule Atlantique, ainsi qu'un certain nombre de courses automobile dans quelques villes du Québec. Satisfaits du travail qu'il accomplit dans ce domaine, ses patrons lui confient de plus en plus de responsabilités, si bien que l'étudiant à l'Université de Sherbrooke se retrouve responsable du dossier du sport automobile chez Labatt.

En 1978, la compagnie Labatt décide de déménager le Grand Prix du Canada à Montréal et nomme Normand Legault responsable de la promotion et du marketing du Grand Prix de Montréal, poste qu'il a occupé pendant trois ans. Il était responsable de la vente de commandites et de la promotion de l'événement, il s'occupait de la production et de la distribution du programme, de l'album souvenir, etc. En 1981, il accède au poste de directeur général du Grand Prix, qui était à cette époque une filiale de Labatt. À 26 ans, il organise son premier grand prix.

En 1983, Normand Legault a quitté Labatt pour ouvrir sa propre agence de graphisme. Il a ensuite été associé au club de football Les Alouettes de Montréal en 1986 et en 1987, avant de revenir à la formule 1 en 1989. Celui qui est reconnu comme le patron tout-puissant de la formule 1, Bernie Ecclestone, à la fois président de la FOCA et vice-président de la Fédération internationale de l'automobile, venait d'acquérir le Grand Prix de Montréal. Il offrait à Normand Legault de diriger l'entreprise, ce qu'il a fait jusqu'en 1976, année où il a acheté le Grand Prix du Canada. Deux grand prix ont eu lieu depuis sous la gouverne du nouveau propriétaire, deux événements couronnés de succès. Un troisième sera présenté le 7 juin 1998. Et après ? <<On m'a déjà dit que je pourrais être président du club Optimiste, alors j'ai bon espoir qu'on sera encore là en 1999, estime Normand Legault. Mais il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.>>

Un tournant important

Dans le but de protéger la santé des contribuables, le gouvernement canadien a adopté, en avril dernier, une loi appelée C-71 qui vise à limiter le droit pour les marchands de tabac d'annoncer leurs produits. Telle qu'elle est rédigée aujourd'hui, cette loi pourrait avoir un double effet sur le Grand Prix du Canada, puisque son principal commanditaire est un fabricant de produits de tabac et que la moitié des voitures présentes au Grand Prix l'an dernier étaient commanditées par des marchands de cigarettes.

La loi C-71 a été accueillie avec enthousiasme par les associations de protection des droits des non-fumeurs et autres organismes voués à la promotion et à la défense de la santé. De l'autre côté, les représentants d'événements commandités par un fabricant de produits de tabac émettent des réserves, même s'ils ont bénéficié d'un moratoire de 18 mois qui se terminera en octobre 1998.

Pour sa part, Normand Legault ne veut pas être perçu comme un défenseur des compagnies de tabac. << Elles sont bien capables de se défendre elles-mêmes >>, croit-il. Malgré cela, le président du Grand Prix du Canada croit qu'aucun des pays où se tiennent les grand prix n'a une loi aussi restrictive que celle du Canada. Il estime aussi que son Grand Prix ne survivra pas à la loi telle que libellée. S'il garde espoir, c'est que le gouvernement a annoncé son intention de procéder à certains amendements à la loi pour permettre la venue des voitures de formule 1. << Le gouvernement nous a signifié dès le début qu'il n'était pas question de modifier la partie de la loi qui interdit toute commandite d'événement par les compagnies de tabac, mais il pourrait permettre aux voitures d'afficher les couleurs des commanditaires de l'écurie >>, explique-t-il. Si tel est le cas, Normand Legault a bon espoir de trouver un nouveau commanditaire pour le Grand Prix 1999.

Vers de nouveaux horizons

Pendant ce temps, le monde de la F1 poursuit sa route non seulement en améliorant ses bolides mais aussi en faisant preuve d'un sens des affaires peu commun. Fait unique dans son histoire, la formule 1 procédera sous peu à une émission d'actions. Comme Bernie Ecclestone n'a pas l'habitude de faire les choses à moitié, il s'agira d'une émission très importante : 1,5 milliards de livres sterling d'actions émises dans les bourses de Londres, Francfort et New York, ce qui équivaut à environ 3,6 milliards de dollars canadiens. Diplômé en administration, Normand Legault voit-il là une bonne occasion d'affaires, a-t-il l'intention d'acheter de ces actions ? <<Ça se pourrait>>, lance-t-il avec un sourire qui ne laisse aucun doute sur ses intentions. Les organisateurs de grands prix se sont d'ailleurs réservé 10 p.100 des actions émises pouvait-on lire dans les journaux.

Profitant aussi du fait que la demande pour accueillir un grand prix est de beaucoup supérieure à l'offre, le monde de la formule 1 entend bien étendre son empire vers d'autres horizons. Normand Legault détient d'ailleurs une option pour la tenue d'un grand prix en Chine, à Zuhaï plus précisément. Questionné à savoir si cette option constitue une porte de sortie au cas où la tenue du Grand Prix du Canada serait remise en cause, le principal intéressé demeure évasif. << Je pourrais organiser les deux grands prix, celui de Chine et celui du Canada, mais le Grand Prix de Chine constitue aussi une alternative si je dois déménager le Grand prix du Canada. >> Si Normand Legault se fait très discret, signalant simplement que le << dossier chemine tranquillement >>, son collègue Bernie Ecclestone semble plus pressé. Il a annoncé récemment dans un quotidien chinois que la F1 allait s'installer à Zuhaï en 1999 et peut-être même en 1998. S'il veut profiter de son option chinoise, Normand Legault devra de toute évidence faire vite.