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Liaison, 10 novembre 2005
Nouveautés livres
Critique invité : JEAN-MARC CHAPUT
Responsable de la section exploitation des données
La famille Lament, Georges Hagen
Georges Hagen, nouvel auteur, signe ainsi son premier roman (y'a pas de
hasard…). D'où, en partie, mon intérêt à en faire la critique : en tant que
nouvel auteur, mais aussi parce qu'il est comparé à John Irving1
au dos du bouquin. Mais de prime abord, ce genre «roman-fleuve» n'était pas
ma tasse d'athée.
«Les Lament voyagent!» comme se plaît à dire Howard, paternel idéologue
de cette famille singulière, et originaire de l'Afrique du Sud. De la
Rhodésie à New York en passant par l'Angleterre et le golfe Persique, on y
raconte les aventures à la fois simples et extravagantes des membres d'un
clan familial, regroupé pour sa survie. De leur premier enfant perdu à
l'arrivée des jumeaux Julius et Marcus, les Lament rencontreront sur leur
parcours ruches, bûches, embûches, pruches et greluches (manque plus que Nic
et Pic).
La famille Lament, c'est d'abord et surtout un roman de l'humain et son
grand «H»; des rencontres, des ami-e-s, des faux (ami-e-s), des rêves, des
fantasmes, des désillusions, de la socio, de la politico, du romantico, de
l'ado, des frustratios. Et même si Howard se plaît à dire que les Lament
voyagent, ces flamants voyagent essentiellement par obligation ou par
désenchantement. Howard, lui, veut éviter de s'enliser dans le triste modèle
de son père, sédentaire endurci, qui a fait faux bond à la descendance des
Lament, ces voyageurs invertébrés depuis des siècles et des siècles, amen (ne-nous-à-la-ronde).
Et bien que ce soit un Howard enthousiaste et ingénieux qui séduisit, dans
les années 50, la fougueuse Julia en pleine découverte de ses instincts
artistiques, celui-ci deviendra au fil du temps une espèce d'ermite à
mi-temps. Victime des contraintes d'emploi, de culture et de race, Howard
trimballera sa famille de l'abondance à la pauvreté, du défi à l'apathie, de
la foi de vivre au désabusement global.
Bon, ça a l'air un peu down dit comme ça, je vous le concède, mais
ce ne l'est pas (tant que ça). Et si ce ne l'est pas (tant que ça), c'est en
particulier grâce à Will. C'est qui Will? C'est ce premier enfant de sourche2
inconnue («Non mais, ils l'avaient perdu ou pas, mec, ce premier enfant?»
Oh! Intrigue…), personnage central du roman qui nous fera entrevoir la vie
biaisée d'innocence d'enfant, d'adolescent effervescent, puis de jeune
adulte érotisable et aimant. À travers ce personnage préoccupé par certaines
questions existentielles (du style : suis-je vraiment qui je suis, sinon,
qui suis-je-rais-je?), mais aussi sensible à ses proches, l'auteur crée le
lien placentique entre les membres de cette famille parfois disloquée, aux
prises avec un destin qui semble frappé par le destin lui-même3.
Outch.
Un mince fil d'Ariane sur le racisme, le racisme insidieux, celui qui se
transmet par intraveineuse, par la spontanéité et la cruauté de
l'adolescence, parfois poussé par le patriotisme américain de fond de garage
ou par l'étroitesse d'esprit de peuples qui n'ont foi qu'en le leur (je
sais, c'est pas une vraie phrase, mais c'est comme ça). Aussi, des
personnages qui évoluent dans leur contradiction (ça j'aime), qui se
transforment et s'adaptent aux multiples contextes peuplant la tumultueuse
vie des Lament.
Un charmant roman, survolant la vie des années 50 à 70, avec ses traces
de peace and the love engagés. Un bouquin de, et pour les voyages.
Savamment traduit et d'une douce sensibilité, La famille Lament se
lit comme les petits pains chauds se mangent (ou se vendent selon);
simplement, avec un peu de beurre4, question de retrouver les
odeurs et les saveurs essentielles de la vie.
Je vous laisse sur cet extrait du livre (qui pourra sans doute faire
plaisir à quelqu'un quelque part, jamais je croirai) : «Chaque fois que
j'essaie de faire plaisir à tout le monde, je n'arrive qu'à me décevoir,
moi.»
Très agréable lecture, si le style vous envie.
- Bon, vous allez me dire que je suis un peu innocent et que c'est
peut-être lui-même qui se compare, pour se vendre. Comme si je me
comparais, moi, à John Ultramar (remarquez, je n'ai pas de pétrole à
vendre par contre).
- Contractez source et souche, allez hop.
- Si vous voyez ce que je veux dire, vous êtes bien chanceux, et ce
n'est justement pas de ça dont je parle plus haut, la chance.
- Apportez votre beurre.
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