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Trouver la pièce clé dans le casse-tête des supra-conducteurs
Bastien Michon
Photo :Bien que n’ayant pas encore franchi le cap de la trentaine, Bastien Michon, cherche depuis longtemps des explications au monde qui l’entoure et s’intéresse à la science. Il choisit d’étudier la physique et de faire ses études à Grenoble, ville située à quelques heures de route de sa ville natale, Firminy en France. C’est là que s’amorce son aventure universitaire en physique qui lui fera faire un séjour à l’Institut quantique.
Il fait, entre autres, connaissance avec le Pr Thierry Klein et son équipe à l’Institut Néel (CNRS) dans lequel il réalise ses premiers stages sous la supervision de Florence Lévy Bertrand. Son intérêt pour les supraconducteurs se précise. « A travers ces stages, je me suis trouvé une passion pour la thématique des supraconducteurs. J’avais envie d’expliquer le « pourquoi » de ces matériaux qui sont à la fois spéciaux et stupéfiants, notamment en raison de leur résistivité électrique parfaitement nulle et leur lévitation sous l’effet d’un champ magnétique. »
Une thèse en co-tutelle, un choix singulier ?
Guidé par cette curiosité et ce besoin de répondre à la question « pourquoi », Bastien décide d’approfondir l’étude des matériaux supraconducteurs dans le cadre d’une thèse en co-tutelle sous la supervision du Pr Thierry Klein et de Christophe Marcenat (CEA) à Grenoble et la supervision du Pr Louis Taillefer à Sherbrooke. Un choix audacieux ? « J’ai fait ce choix singulier d’une co-tutelle puisque mes trois superviseurs sont internationalement reconnus dans le domaine des supraconducteurs et que chacun, grâce à son expertise personnelle, apporte son éclairage sur le problème des supraconducteurs. En effet, le groupe du Pr Taillefer est renommé pour son expertise dans la thématique des supraconducteurs et les mesures de transport sur ces matériaux. Quant au groupe à Grenoble, Christophe Marcenat est réputé dans les mesures de chaleur spécifique notamment sous la contrainte de champs magnétiques intenses. En faisant cette co-tutelle, je voulais donc allier et apprendre de l’expertise de chacun. De plus, je voulais découvrir le Canada et plus particulièrement le Québec. J’ai choisi l’Université de Sherbrooke pour deux raisons : la reconnaissance internationale du groupe du Pr Taillefer et les enseignements que me proposait cette université. »
« Cette co-tutelle a été un grand succès pour deux raisons », explique Louis Taillefer. « D’abord la parfaite complémentarité des expertises à Sherbrooke et Grenoble. Dans mon groupe, nous avons une longue expérience des cuprates et savions où regarder. Nous avions déjà identifié l’épingle dans la botte de foin… il fallait maintenant la mesurer sous toutes ses coutures. À Grenoble, ils ont une expertise hors-pair en mesure de chaleur spécifique sous champs magnétiques intenses. Ensuite, le succès est dû aux qualités exceptionnelles de Bastien comme jeune chercheur : immense motivation et grande curiosité. »
Projet de thèse et l’article dans Nature
Ces collaborations et ce réseau de chercheurs auxquels Bastien s’est associé l’ont mené à de belles découvertes, dont la publication dans Nature de son projet de thèse sous le titre : Thermodynamic signatures of quantum criticality in cuprate superconductors. Il s’agit de comprendre pourquoi les cuprates sont des supraconducteurs si robustes.
Bastien nous expose son défi en résumant la découverte publiée dans Nature « C’est un puzzle complexe mais passionnant à résoudre qui requiert persévérance et patience. Afin de contribuer à comprendre ces matériaux, j’ai notamment mesuré la chaleur spécifique. Cette thèse fût un véritable défi sur le plan expérimental car il fallait concevoir une sonde de chaleur spécifique pour mesurer les cuprates en tenant compte de deux contraintes que sont les champs magnétiques intenses (jusqu’à 35 teslas) et les très basses températures (jusqu’à 400 millikelvins). Les mesures ont d’ailleurs été réalisées en collaboration avec le laboratoire de champ magnétique intense LNCMI-CNRS de Grenoble. Avec l’aide de mes superviseurs (notamment Christophe Marcenat) nous avons mis en place une technique de mesure de la chaleur spécifique et commencé à récolter des données très intéressantes sur les cuprates. Un de mes projets phare, consiste à s’intéresser à ce qui se produit au voisinage d’un point particulier du diagramme de phase des cuprates supraconducteurs : le point critique de la phase pseudogap. Ce point critique pourrait contenir la clef de la supraconductivité dans ces matériaux. Pour apporter une réponse à cette problématique, j’ai mesuré la chaleur spécifique sous champs magnétiques intenses. Dans cette étude, nous avons prouvé le caractère quantique du point critique de la phase pseudogap. En ce point, en plus d’avoir une résistivité parfaitement linéaire en température, la chaleur spécifique électronique présente une divergence provoquée par les fortes fluctuations quantiques. Dans les cuprates, là où ces fluctuations quantiques sont au plus fort, la supraconductivité est la plus robuste. Ceci tend à suggérer fortement que le point critique de la phase pseudogap, découvert grâce à mes mesures de chaleur spécifique, serait la source de la supraconductivité si robuste dans les cuprates. Il faut noter que nous sommes les premiers à mettre directement en évidence l’existence de ce point critique quantique. En effet, techniquement, il est très difficile d’accéder à ces fluctuations quantiques car la forte supraconductivité des cuprates cache leur signature. Cependant en utilisant un cuprate avec une supraconductivité plutôt faible (de l’ordre de 20 kelvins maximum) et des champs magnétiques intenses pour supprimer la supraconductivité, on peut accéder à leur signature. Voici, la stratégie qui a été abordée au cours de cette thèse pour découvrir ces résultats innovants. »
« La découverte de Bastien renverse un paradigme vieux de vingt ans », explique Louis Taillefer. La phase pseudogap n’est pas tout simplement une perte de densité d’état, comme nous le pensions tous, mais bien un pic dans la densité d’état, au point critique quantique. Ce pic révèle une forte interaction entre électrons, qui est fort probablement à l’origine même de la supraconductivité exceptionnellement robuste des cuprates.»
Nourrir sa curiosité
Et comment Bastien souhaite-t-il orienter sa vie professionnelle ? « Je travaille actuellement en Suisse où je réalise un stage postdoctoral dans le groupe du Pr van der Marel à Genève en réalisant là-bas des mesures d’optique sur les matériaux supraconducteurs. Sur le long terme, j’aimerais continuer dans la recherche qui me passionne vraiment, car dans ce métier nous découvrons tous les jours quelque chose de nouveau qui nourrit notre curiosité.» Selon Bastien, ce genre de travaux de recherche exige persévérance, patience et passion, trois ingrédients qu’il a su judicieusement réunir dans cette publication qui révèle une pièce centrale du casse-tête des supraconducteurs.