Patients-partenaires et élaboration d’outils d’aide à la décision
Des choix à votre image, une santé qui vous ressemble
Si marcher devenait impossible sans une aide comme la marchette ou le fauteuil roulant, comment choisiriez-vous celle à adopter? Vous vous interrogeriez sûrement sur la gravité de votre handicap… Mais penseriez-vous au confort, au prix, à l’accès aux services ou à votre logement, voire à l’image que vous projetez?
Prendre une décision éclairée en santé relève du défi, parce que tout ce qui vous définit comme personne vous influence, de vos attitudes à vos valeurs en passant par votre vécu. Et encore vous faut-il avoir toute l’information en main! Par ailleurs, les décisions se compliquent quand elles concernent la participation à la recherche.
Notre objectif est de maximiser l’accès à la recherche, de la réflexion entourant son cadre à la diffusion des résultats. Cette façon de faire améliorera les résultats obtenus : en plaçant le patient au cœur de la démarche de recherche, elle minimise les freins éventuels à la participation. Et plus de participation signifie des résultats plus représentatifs.
Voilà pourquoi la professeure Cynthia Gagnon et son équipe travaillent à l’élaboration d’outils d’aide à la décision en mettant à profit le point de vue de patients-partenaires. Elles présentent leurs résultats dans le cadre de l’ACFAS 2018.
Patients-partenaires?
Les patients-partenaires sont des gens atteints de la maladie étudiée qui deviennent partie intégrante de l’équipe de recherche. Ils participent à toutes les étapes de l’étude : définition des objectifs, construction des questionnaires, animation d’entrevues, diffusion des résultats…
La fin avant les moyens
La première question qui se posait était celle de la réalité des patients suivis par l’équipe de la Clinique des maladies neuromusculaires (CMNM). Cette clientèle souffre principalement de trois maladies, qui sont des maladies rares : elles affectent une faible proportion de la population. Par conséquent, elles sont très souvent peu documentées. « En tout et partout, explique la professeure Gagnon, environ 140 articles scientifiques se penchent sur l’ataxie de Charlevoix-Saguenay, et peu abordent les effets quotidiens pour les personnes atteintes. »
Les trois principales maladies neuromusculaires traitées à la CMNM sont la dystrophie myotonique de type 1 (DM1), la dystrophie musculaire oculopharyngée (DMOP) et l’ataxie récessive spastique de Charlevoix-Saguenay (ARSCS), baptisée ainsi parce qu’elle est très répandue dans la région.
Les effets de la DM1 varient beaucoup. Les plus courants sont la faiblesse musculaire, la difficulté de relâcher les muscles ou des atteintes cardiaques. Les personnes atteintes de DMOP éprouvent de la difficulté à avaler. L’ARSCS entraîne des raideurs aux jambes, une mauvaise coordination des bras et des mains de même qu’un manque d’équilibre.
La collaboration des patients à la recherche est donc la clé pour comprendre leur situation. Les patients-partenaires ont participé à l’élaboration des questions d’entrevue et à l’animation des rencontres, afin de guider l’équipe de recherche et de favoriser l’obtention de résultats réellement représentatifs dès le début du questionnement.
Éloignement, vulnérabilité et troubles cognitifs : des défis à prendre en compte
Le contexte géographique de la clinique située à Chicoutimi constitue un des défis identifiés. « Quand nous sollicitons des patients pour une recherche, il faut prendre en considération les exigences de déplacements, souvent compliquées par des troubles moteurs. » Selon Véronique Gauthier, coordonnatrice de projet, les rendez-vous proposés gagnent donc à être flexibles afin d’augmenter la participation. Ce besoin de modulation répond aussi au ressenti des patients, pour lesquels certains jours sont plus faciles à traverser que d’autres.
Une deuxième caractéristique particulière des clientèles desservies est leur vulnérabilité. Comme, le plus souvent, les maladies neuromusculaires empirent avec le temps, les individus qui en souffrent éprouvent des difficultés à travailler. Leur situation financière est alors précaire. « C’est hors de question que des patients paient indirectement pour participer à une de nos recherches, insiste la professeure Gagnon. L’objectif est de les aider, pas de leur nuire! » Mais ces défis ne sont pas les seuls qui sont apparus lors des premières entrevues…
« Les maladies neuromusculaires que nous traitons s’accompagnent souvent d’atteintes cognitives plus ou moins importantes et susceptibles d’évoluer avec la maladie », souligne Cynthia Gagnon. Par exemple, plusieurs patients du CMNM souffrent de problèmes de mémoire à court terme. Ils se rappelleront donc avoir participé à une recherche, mais pas forcément avoir signé le formulaire de consentement.
Pour l’instant, Véronique Gauthier assure un suivi fréquent avec les patients-partenaires, selon leurs besoins de soutien. Des outils d’aide à la décision bien construits participeraient à clarifier, dans la mémoire des participants, les étapes du processus et le travail attendu de leur part, allégeant ainsi la tâche de l’équipe de recherche.
Un intérêt immense pour l’« après-recherche »
Sur ce dernier point, l’expérience des patients avec la recherche joue aussi beaucoup. « Comme les candidats à la recherche sont rares, certaines personnes en sont à leur troisième ou quatrième expérience. Elles nous disent qu’un outil d’aide à la décision ne leur est plus très utile… Mais elles sont presque avides de connaître les résultats obtenus. C’est très concret pour elles : comment leur participation a-t-elle influencé l’évolution des connaissances? », précise la professeure Gagnon.
Le sentiment d’utilité ressenti par les participants à la recherche a d’ailleurs surpris l’équipe de la professeure Gagnon. Si ses membres s’attendaient à ce que règne un certain sentiment de devoir accompli, ils ne pensaient pas découvrir une aussi grande curiosité.
Les patients savent que leur contribution à la recherche ne leur donnera pas de bénéfice à court terme. Mais ils ont conscience que, sans cette participation, aucune avancée n’est possible… surtout dans le cas de maladies rares comme les leurs! Leur don de soi est aussi important que leur intérêt : ils souhaitent découvrir ce qui se fait en recherche ici autant qu’à l’international.
Transformer les défis en outils adaptés
Ces résultats se transposent facilement à d’autres cliniques œuvrant auprès de clientèles pour lesquelles les déplacements constituent un enjeu, qui sont vulnérables ou qui souffrent de troubles cognitifs.
Mais ce n’est qu’une étape dans une démarche plus large. Si de nombreux défis sont identifiés, les moyens pour y répondre restent à creuser. Quelle sera la forme des outils développés? Sera-t-elle flexible? Comment s’adapter au niveau de compréhension de tous, quand ce niveau varie beaucoup?
Et l’équipe de Cynthia Gagnon entend aller encore plus loin : diversifier les profils de patients-partenaires pour inclure toutes les tranches d’âge, voire développer des groupes de proches-partenaires… Voilà une manière de placer, véritablement, la personne au centre de ses choix.
L’équipe de la professeure Gagnon, incluant un patient-partenaire, présentera ses résultats à 14 h 05, le lundi 7 mai, lors du Colloque Le transfert de connaissances en génétique : de la population à la clinique du Congrès de l’ACFAS.