Sommets Vol. XVIII No 3 - Automne 2005


 

Clown sérieux et fier de l'être

Par Stéphane Baillargeon, collaboration spéciale

Le communicateur Jean-René Dufort, chimiste de formation, demeure animé par une seule passion : comprendre le monde et dénoncer le coquin, où qu'il se trouve. «Disons que je suis un yogourt brassé à la Jean-René, avec une bonne dose de rigueur et toujours un brin de clownerie.»

 

Photo de Jean-René Dufort
Jean-René Dufort
Communicateur
Biochimie 1990

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo de Jean-René Dufort

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo de Jean-René Dufort

 

Ce matin-là, Jean-René Dufort, le communicateur à l'agenda de ministre, rentrait chez lui pour s'occuper de son fils frappé par une intoxication alimentaire contractée à la garderie. Le pauvre Jean-René junior, quatre ans, avait passé la nuit précédente accroché à la cuvette. «Il m'a demandé si j'avais déjà vomi moi aussi. J'ai répondu : “Oui, souvent, quand j'étais à l'Université de Sherbrooke”, raconte Jean-René Dufort en fournissant lui-même l'anecdote rigolote. Mais j'ai aussitôt précisé que je ne pourrais pas lui expliquer dans quelles circonstances avant quelques années», ajoute-t-il en s'amusant de l'effet produit par sa remarque.

Après l'entrevue, le délicieux clown des ondes allait donc rentrer chez lui et s'occuper de fiston, puisque son horaire hyperchargé le lui permettait. En quelque sorte, il y a deux Jean-René Dufort : un d'hiver et un d'été. Le premier poursuit sa participation à la quotidienne radio sur les ondes matinales de CKOI tout en préparant le tournage des émissions de télé entre quelques semaines de vacances. Le second court comme un athlète entre différentes obligations professionnelles et Radio-Canada. «Je me lève à 5 h. Je suis en studio à la radio à 6 h moins 2. Vers 9 h, je participe à une réunion de production pour l'émission du lendemain. Après, je vais en reportage pour Infoman. Normalement, je finis mes journées vers 18 h. Après souper, je lis une histoire à mon gars et parfois, c'est moi qui m'endors…»

Il ne s'en plaint pas. Maintenant, tout ce qu'il touche lui sourit. Et lui-même avoue s'amuser comme un fou. «Je n'ai pas l'impression de travailler. En fait, je pourrais payer pour faire ce que je fais. Infoman, la radio avec Normand Brathwaite, En attendant Ben Laden : pour moi, c'est une partie de plaisir à chaque moment. S'amuser et être bien payé : est-ce qu'on peut donner une meilleure définition de la satisfaction professionnelle?»

Un parcours singulier

Son C.V. pourrait lui valoir un prix de l'ACFAS pour le parcours le plus atypique depuis celui d'Alfred Nobel. Entré à l'Université de Sherbrooke en 1987, il en est sorti trois ans plus tard avec un baccalauréat en biochimie. Il a ensuite perfectionné sa formation avec deux certificats obtenus à l'Université de Montréal : un premier en chimie analytique, un second en pédagogie. «Je pensais devenir prof de cégep. Je me suis ramassé dans un laboratoire à Laval. J'y ai passé cinq ans et pourtant je haïssais ça à mort. J'aimais la science et je l'aimerai toujours, mais la perspective de passer ma vie enfermé dans un local de 400 pieds carrés bourré d'éprouvettes me rendait fou.»

Pour dorer la pilule, il commence à rédiger des articles pour Québec Science. La piqûre va finir par le transformer complètement. «J'ai pris goût à la vulgarisation. Je suis passionné par les explications. De mes premiers cours de biochimie à une récente expérience à la télé pour voir si on peut lancer une patate avec du spray net, il y a la même passion pour aller au cœur des choses. J'aime ça comprendre comment ça marche», avoue Jean-René Dufort.

Puis il devient journaliste à temps plein pour le magazine Protégez-vous, où il se lance dans de grandes enquêtes qui finiront par faire sa marque. Jean-René Dufort s'est par exemple fait embaucher comme voyant chez Jojo Savard.

Le sens du spectaculaire, les costumes colorés et la tignasse caractéristique masquent un véritable esprit critique, toujours aussi alerte que jadis dans le laboratoire lavallois. «Je m'en rends compte avec le recul : la formation en sciences a été déterminante pour moi, y compris dans mon travail de journaliste et de communicateur. Pendant mes années à l'université, je me suis fait taper sur la tête pour me forcer à travailler avec rigueur et démonstration. Affirmer sans prouver, voilà pour moi le plus grave des péchés.»

Albert Londres disait que le métier du journaliste consiste à porter la plume dans la plaie. Henri Bourassa, le fondateur du Devoir, partait de l'idée de «dénoncer le coquin» et Hermès, le dieu des communications, sait s'il s'en trouve, partout. Moins poétique mais plus pratique, Jean-René Dufort parle tout simplement de «débusquer le crosseur», dans les médias, en politique, partout. «Je déteste les charlatans. Je n'aime pas entendre les gens importants et perçus comme tels raconter n'importe quoi. Le monde est rempli de filous en sarrau ou en complet trois-pièces qui ne demandent pas mieux que de crosser les autres. Le journalisme joue particulièrement bien son rôle quand il s'attaque à ces prétentieux et à ces profiteurs qui abusent de leur pouvoir pour exploiter qui que ce soit.»

Cette logique imparable contrebalance les bouffonneries. Mieux, pour lui, la forme doit absolument servir le fond, ne serait-ce que pour la beauté du geste. «Je dirais même que plus je fais de clowneries, plus je dois être rigoureux. Sinon, je donnerais prise à la critique fondée et je perdrais ma crédibilité. Une journaliste sérieuse me disait récemment qu'elle déteste l'information-spectacle. Je lui ai répliqué qu'elle pourrait continuer à faire son bon travail déguisée en clown, ça resterait quand même du bon travail. Je connais un journaliste considéré comme l'un des meilleurs au Québec — et je ne dirai pas son nom — dont les reportages sont truffés de grossières erreurs de faits. Je pense que si les politiciens continuent de m'accorder des entrevues, c'est que je présente toujours des informations blindées, vérifiées et contre-vérifiées. On nous a reproché plein de choses à Infoman ou à La Fin du monde est à 7 heures, mais on n'a jamais porté plainte contre nous pour diffusion d'une fausse information», rappelle-t-il.

Divertissement ou information?

L'information avant le divertissement? Plutôt l'information avec le divertissement. Il pourrait presque citer La Fontaine qui affirmait écrire ses fables avec deux objectifs intimement liés : plaire et instruire. En tout cas, on ne risque pas de s'ennuyer avec Jean-René Dufort qui sait tout autant glisser allègrement de la satire à la critique, de la leçon de morale au divertissement plaisant, tout simplement : «Pour moi, l'information et le divertissement forment un couple, comme papa et maman. Quand j'étais au magazine Protégez-vous, je m'amusais comme un fou en traitant de sujets très sérieux, comme l'homéopathie.»

D'où son détachement à l'égard des critiques souvent adressées aux partisans avoués, comme lui, de l'info-spectacle. Il observe poliment que d'autres font pire dans ce domaine, même sans l'avouer, ou alors avec une prétention qui ne leur sied pas. «Quand Le Téléjournal est présenté de l'Assemblée nationale les jours de budget, c'est aussi de l'information spectaculaire», mentionne-t-il.

Cet automne, Isabelle Maréchal, une ancienne collègue de La Fin du monde est à 7 heures, va doubler la mise en animant Loft Story et le Grand Journal de TQS. «Peut-elle aller jusque-là? Je dis oui. Peut-elle demeurer rigoureuse dans les deux cas, avec les différents critères que ce double emploi implique? Je réponds oui également. Mais court-elle après le trouble en portant ces deux chapeaux? Alors là, oui, assurément...»

Lui-même et ses coanimateurs ont reçu de sévères critiques pour En attendant Ben Laden, parce que l'émission se cherchait et ne se trouvait pas. L'équipe a calculé que, à la neuvième émission, le Journal de Montréal avait déjà publié une quinzaine de pages sur ses déboires. «Je me demande quel autre sujet a eu droit à un traitement semblable pendant la même période, philosophe-t-il. Il faut relativiser, nos problèmes ont été corrigés. À la longue nous avons trouvé un public. C'est une réussite appréciable de ce point de vue», lance l'animateur-vedette.

De toute manière, dans sa perspective, ce n'est pas tant aux journalistes de lui donner des leçons qu'à eux de méditer un peu plus sur le sens de leur travail : «Je respecte l'objectivité scientifique, mais je ne crois pas à l'objectivité journalistique. Une information purement objective, ça n'existe pas. Chaque texte de journal, chaque reportage cache une opinion, charrie un point de vue. À force de fréquenter les médias, j'en suis venu à faire plus confiance aux individus qu'aux institutions, à apprécier davantage les personnes que leur fonction. Je ne respecte pas la chronique, mais tel ou tel chroniqueur. À force de les lire ou de les entendre, je connais les travers des critiques et je peux mieux naviguer à travers leurs opinions personnelles.»

 


 


 


 

VOX POP

Quelles seraient vos priorités dans une programmation télévisuelle?

Si j'étais directeur de la programmation, je voudrais avoir des émissions intelligentes. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire!

J.-R. Dufort

 

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