Sommets Vol. XVIII No 3 - Automne 2005

BILLET

 

Photo de Patrick Marsolais
Patrick Marsolais
Animateur de l'émission
FLASH à TQS

Histoire 1989

 

Télévision : le modèle québécois

Des semaines que je peine. Des semaines à tenter de trouver le filon pour cette commande, à creuser mes neurones pour sortir une analyse de l'univers télévisuel qui se tienne. Un soir, me voilà parti sur la convergence de Quebecor et de son tentacule TVA, puis le lendemain soir, sur la multiplication des chaînes spécialisées. Au réveil, je biffe tout et repars sur les coûts exorbitants de nos émissions, puis sur la téléréalité ou l'information-spectacle… Rien à faire, ça ne m'excite pas et si ça continue ainsi, le seul à s'exciter sera le rédacteur en chef de ce magazine, impatient de voir mon texte entrer…

Et puis hier soir, en zappant distraitement, je me suis souvenu de l'émerveillement de mon père qui, d'une petite pression du doigt sur sa grosse télécommande Vidéotron (l'ancêtre de la zappette), passait de Wimbledon à Port-au-Prince, de Montréal à Los Angeles. «C'est quand même incroyable, tu ne trouves pas?» me disait-il (il n'en revient toujours pas), ébahi devant cette technologie qui le transportait à des années-lumière de ses champs de tabac natals. Aujourd'hui, on ne s'énerve plus devant les possibilités du petit écran. C'est de l'acquis, et comme on en est gavé à longueur de journée, on en fait même parfois une «écœurantite». C'est normal.

Ce trop-plein ne devrait pourtant pas occulter une réalité : on fait au Québec de la maudite bonne télé! Suffit de se promener ailleurs sur la planète pour le réaliser. Je vous entends déjà me rétorquer qu'on est quand même loin de la BBC, et vous avez sans doute raison : la télé britannique est réputée la plus solide du monde. Mais avez-vous déjà regardé un gala français diffusé en direct? C'est tout croche, les problèmes techniques abondent et c'est ronflant. Avez-vous déjà regardé les téléjournaux belges ou suisses à TV5? Ils nous ramènent 15 ans en arrière côté esthétique et tombent également — puisque c'est le reproche qu'on fait à nos salles de nouvelles — dans le régionalisme. Et je ne vous parle même pas de la très folklorique télé sud-américaine, ou de l'excellente mais trop subjective télé américaine.

Certains diront que la télé québécoise est trop repliée sur elle-même. À ceux-là je répondrai qu'à peu d'endroits au monde peut-on, au contraire, prendre le pouls de la planète comme on le fait ici. Les émissions d'information nous arrivent d'Europe par TV5 (avez-vous déjà essayé de capter TV5 à Paris pour les infos canadiennes? Bonne chance!), de Grande-Bretagne, des États-Unis, des Antilles et tutti quanti. On peut râler, mais la vérité c'est que grâce au câble, qui ne coûte pas les yeux de la tête, on a accès à une panoplie de chaînes spécialisées qui ferait l'envie de 90 % de la planète. Un peu à l'image du vin, on peut ici goûter aux cépages du monde entier, alors que trouver un bon californien à Vérone est plus ardu… Sans le câble? SRC, TVA, TQS et Télé-Québec. Juste en français. Un alliage quand même pas mal, capable de rallier monsieur et madame Tout-le-Monde comme les esprits plus exigeants. Je vous rappelle que le Québec ne compte que six millions de francophones.

Bien sûr, la production d'ici coûte cher aux gouvernements, et sans les subventions accordées, notre télé serait pâlotte. C'est un choix de société dont on peut discuter. Bien sûr, la convergence fait peur et les syndicats des journalistes devront l'avoir à l'œil. Oui, nos émissions, parce qu'elles sont onéreuses et doivent joindre le plus de gens possible, sont trop souvent populistes. En ce qui concerne la substance, la téléréalité a plus à voir avec le Kraft Dinner qu'avec le foie gras de Normand Laprise, j'approuve. Oui, j'aimerais mieux réaliser une grande entrevue avec Bono qu'un reportage de deux minutes sur le nouveau venu de Victoriaville.

Pourtant, un bref séjour ailleurs sur la planète suffit pour qu'à mon retour, bien calé dans le fauteuil, je dise à ma blonde : «C'est quand même incroyable la télé qu'on fait, tu ne trouves pas?»

 

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