Sommets Vol. XVII No 1 - Hiver 2004

 

Réjean Hébert, rendez notre vieillesse plus heureuse!

par Catherine Labrecque

Réjean Hébert souhaiterait devenir un aîné heureux. Il travaille depuis 20 ans à préparer la société au vieillissement de la population. À la blague, il dit souvent : «Pas de pitié pour les vieux!» Les personnes âgées n'auraient pas besoin de pitié, mais des services auxquels elles ont droit.



Réjean Hébert
Doyen de la Faculté
de médecine
Médecine 1979

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Réjean Hébert prédit que les aînés de demain, la génération des baby-boomers, seront revendicateurs, soucieux de recevoir des services de qualité qui comblent leurs besoins. Il suffit de connaître Réjean Hébert un tantinet pour deviner qu'il vient de se décrire, dans 30 ans, n'est-ce pas? «En effet, ça m'étonnerait que je change beaucoup! s'esclaffe-t-il. Je suis un développeur, un bâtisseur, alors je deviendrai sans doute un vieux développeur et un vieux bâtisseur. On vieillit comme on a vécu!» D'un sourire espiègle, il avertit : «Si je n'ai pas ma douche tous les jours quand je serai dans un centre d'accueil, préparez-vous, ça va aller mal!» Et si quelqu'un doit le laver, lui donner à manger? Il sera des plus malheureux : «Les personnes âgées sont unanimes : elles préféreraient mourir plutôt que d'être dépendantes. Je ne ferai certainement pas exception.»

Que l'autonomie prime sur la durée de vie, Réjean Hébert l'a saisi depuis longtemps. Depuis le jour où, pour soulager la douleur et la misère humaine, il a décidé d'amorcer des études en médecine. Et pour prolonger l'autonomie des personnes âgées, il a ajouté une corde à son arc : une formation en gérontologie. En fait, qu'en est-il de l'autonomie des aînés? En 2003, environ 15 % des personnes de 65 ans et plus sont en perte d'autonomie significative. Environ 5 % d'entre elles vivent en établissement et 10 %, à leur domicile. Selon Réjean Hébert, une personne peut être qualifiée d'âgée lorsqu'elle survit à son espérance de vie, qui est de 78 ans aujourd'hui. Au cours du XXe siècle, les recherches médicales ont permis d'augmenter l'espérance totale de vie des humains, mais elles ont peu augmenté l'espérance de vie en bonne santé. «À mon avis, le défi du XXIe siècle consiste à comprimer la période d'incapacité qui accompagne le vieillissement et à augmenter l'espérance de vie en état d'autonomie», soutient-il.

Le domicile ou l'hôpital?

Quand on lui demande quel est son objectif ultime, Réjean Hébert répond tout de go que c'est d'améliorer le système de santé afin qu'il puisse faire face au vieillissement de la population. Le système de santé actuel a été conçu pour traiter les maladies infectieuses ou aiguës, qui demandent des soins hospitaliers. «Le vieillissement de la population apportera une demande accrue pour les soins continus, que nécessitent les maladies chroniques. Le domicile, et non l'hôpital, constitue le lieu pour donner ce type de soins. Si la cible du système de santé n'est pas modifiée, l'hôpital, destiné aux soins de courte durée, continuera d'être utilisé à mauvais escient», prédit-il.

Durant les dernières années, plusieurs services gériatriques ont été créés à l'intérieur des hôpitaux, des CLSC, des établissements d'hébergement ou des organismes de santé. La multiplicité des services devient un obstacle au traitement des maladies chroniques. Pour contrer les problèmes de continuité des services, Réjean Hébert encourage l'implantation des réseaux intégrés de services aux personnes âgées. Ils se caractérisent par la concertation des organismes sociosanitaires. «Cette concertation vise à offrir le bon service à la bonne personne au bon moment, dans la bonne organisation et au moindre coût. Les réseaux se caractérisent également par la présence d'un gestionnaire de cas, c'est-à-dire un professionnel de la santé à qui l'on donne une formation supplémentaire. Son rôle est d'évaluer les besoins de la personne âgée, de déterminer quels sont les services requis et de concevoir un plan de services individualisé qui répond aux besoins. Comme le casque bleu des soldats de l'ONU, il peut intervenir n'importe où», explique Réjean Hébert. Ce plan de services évolue au même rythme que les besoins du patient, puisqu'il est réévalué périodiquement, selon l'évolution de la situation de la personne âgée. «Effectuer une intervention intensive, rapide et précoce pour infléchir la perte d'autonomie des aînés, tel est le pari que pourraient relever ces réseaux», indique Réjean Hébert.

Entre la théorie et l'implantation, y a-t-il un énorme pas à franchir? Pas selon Réjean Hébert, qui constate une volonté politique relativement à l'implantation de ces réseaux. Une volonté présente avec l'ancien gouvernement et réaffirmée par le ministre de la Santé, Philippe Couillard, qui propose la fusion des différentes vocations d'établissements, dans la même veine que Marc-Yvan Côté avec son approche centrée sur le citoyen et que Jean Rochon avec le virage ambulatoire. Le Québec a-t-il les moyens financiers d'implanter ces réseaux? Tel un conseiller financier, Réjean Hébert dévoile : «Au même titre qu'un placement à la Bourse, l'intégration coûte avant de rapporter. Avec la course au déficit zéro des 10 dernières années, le gouvernement a négligé d'investir dans le système de santé. C'est actuellement un moment extrêmement intéressant pour investir, par exemple, dans les soins à domicile et dans l'intégration des services. Ce réinvestissement pourrait servir à effectuer un virage communautaire dans le système de santé. Pas plus que le Titanic, le système ne vire pas sur un cinq cents! Le virage doit être ferme pour éviter les icebergs et doit être amorcé maintenant pour éviter les écueils.»

PRISMA : un laboratoire de 1400 personnes

Ces réseaux de services intégrés aux personnes âgées ont une approche unique au Québec. Contrairement aux modèles en place aux États-Unis ou en Europe, ce n'est pas un organisme à part qui offre les services aux personnes âgées, mais bien l'ensemble du réseau de la santé et des services sociaux, qu'il soit public, privé ou bénévole. Réjean Hébert dirige le Programme de recherche sur l'intégration des services de maintien de l'autonomie (PRISMA). Ce véritable laboratoire compte notamment comme partenaires des chercheurs, des gestionnaires, le ministère de la Santé et des Services sociaux, cinq régies régionales et l'Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke. Depuis 2001 et jusqu'en 2005, le groupe de recherche vérifie l'impact des réseaux intégrés sur l'autonomie des personnes âgées, sur la satisfaction par rapport au système de santé, sur les coûts et l'utilisation des services de santé et sur le fardeau des aidants naturels. PRISMA a été implanté dans les Bois-Francs et en Estrie et le sera dans d'autres régions. Environ 700 personnes âgées en perte d'autonomie sont suivies dans trois MRC de l'Estrie et le même nombre dans le territoire de Chaudière-Appalaches, la zone de comparaison. Selon les résultats préliminaires dans les Bois-Francs, les réseaux permettraient de retarder la perte d'autonomie de deux ans.

Actuellement, environ 43 % des dépenses publiques de santé sont reliées aux personnes âgées. Un nombre tout à fait normal, selon Réjean Hébert, puisque les scientifiques ont éliminé les principales causes de mortalité infantile et à l'âge adulte. Il reste donc à découvrir les causes de maladies propres aux personnes âgées, comme l'Alzheimer. «C'est la rançon de la gloire, explique le spécialiste. Toutefois, le grand drame de la gérontologie est l'absence de groupes de pression pour influencer nos gouvernants. Prenons par exemple le SIDA. Le mouvement homosexuel a été un groupe de pression efficace. Il a sensibilisé le gouvernement et les gestionnaires quant à l'importance de trouver des solutions, des traitements et des remèdes. Des sommes considérables ont été investies, et la cause de la maladie est maintenant connue, des traitements efficaces ont été mis au point, la mortalité est réduite et des méthodes de prévention ont été développées. Les aînés, eux, sont sans voix. Qui ira marcher sur la colline parlementaire pour revendiquer de meilleurs services pour eux? Peut-être des groupes de pression formés de baby-boomers. En attendant qu'ils soient touchés par cette cause, les scientifiques que nous sommes devons susciter l'intérêt de politiciens, de décideurs, afin que des ressources financières soient investies dans les recherches sur le vieillissement. Nous aurons alors donné une voix à ces personnes et aurons contribué à l'amélioration de leur qualité de vie.»

Nouveau doyen insatiable?

Nouvellement à la tête de la Faculté de médecine en tant que doyen, Réjean Hébert a quitté ses fonctions de directeur scientifique de l'Institut du vieillissement des Instituts de recherche en santé du Canada. Il se réserve cependant une journée de travail par semaine pour la recherche et PRISMA. «Mon expertise me servira sans doute dans mes nouvelles fonctions. Sans “gériatriser” la Faculté, elle devra être à l'écoute des besoins de la société, entre autres celui de faire face au vieillissement de la population. Ce n'est pas un hasard si Michel Baron, l'ancien doyen de la Faculté de médecine, et celui de l'Université Laval sont aussi gériatres. Cela signifie qu'ils ont été engagés précocement dans le nouveau virage de la société et qu'on leur demande maintenant d'élargir leur base.»

La grandeur des défis du scientifique équivaut à l'ampleur de sa motivation. Réjean Hébert se montre exigeant et difficile à contenter. Quand sera-t-il satisfait? «Je ne suis pas certain de l'être un jour, songe-t-il, mi-blagueur mi-sérieux. Je le serai quand la période d'invalidité qui accompagne la vieillesse sera significativement comprimée. Des résultats indiquent que nous l'avons stabilisée. Dans 20 ans, peut-être sera-t-elle réduite de moitié. J'aurai alors passé le flambeau à la nouvelle génération de chercheurs, qui s'occupera de l'autre moitié. Lorsque des solutions aux grandes causes d'incapacité, comme la maladie d'Alzheimer, auront été découvertes, une grande partie du travail sera accomplie», estime-t-il. À ce moment, il sera peut-être devenu un aîné heureux, qui continue d'investir dans la vie : «Pour moi, il n'existe pas de période de la vie où l'on peut s'asseoir et la contempler. Une vieillesse heureuse est une vieillesse où l'on continue d'être actif et engagé socialement, d'apporter une contribution à la société. Selon moi, une personne qui attend en espérant recevoir des services est déjà un peu morte. La vie est un combat, il faut continuer à lutter, à revendiquer, à faire sa place, à participer à la société.» Attention à l'ouragan Hébert qui pourrait faire des ravages dans les centres d'accueil dans 30 ans…

Le vieillissement en chiffres

Actuellement au Canada, 13 % de la population a 65 ans et plus. En 2025, ce nombre augmentera à 22 %. En 1900, l'espérance de vie était de 50 ans. En 1950, elle est passée à 65 ans et à 78 ans en 2000. Selon ces données, 14 % des gens survivaient à leur espérance de vie au début du XXe siècle. Actuellement, 3,6 % de la population y survit. En définissant ainsi le vieillissement, la population canadienne ne vieillit pas, elle rajeunit!

 

VOX POP

Avez-vous peur de vieillir?

Je  n'ai pas peur de vieillir. La période de la vieillesse est extrêmement intéressante, notamment parce que l'on peut se détacher des impératifs du travail et de la production pour élargir ses champs d'intérêt.

R. Hébert

 

 

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