Découverte majeure sur les supraconducteurs
PIERRE MASSE et CAROLINE DUBOIS
Une équipe de chercheurs de l'Institut canadien de recherches avancées
dirigée par le professeur Louis Taillefer, de la Faculté des sciences, a
résolu un mystère qui perdurait depuis 20 ans
quant à la nature d'une classe de matériaux dits exotiques :
les supraconducteurs à haute température. Cette découverte fondamentale
majeure a été publiée le 31 mai dans le magazine
Nature et
a suscité l'intérêt de la presse scientifique tant francophone
qu'anglophone.
Les supraconducteurs sont des matériaux qui conduisent l'électricité sans
résistance. Ils sont extrêmement prometteurs sur le plan de la technologie,
notamment pour le transport d'énergie, les trains à sustentation magnétique,
l'imagerie médicale magnétique, les communications sans fil, l'informatique
quantique et de nombreuses autres applications connexes. Jusqu'à présent,
les scientifiques n'ont pu exploiter le plein potentiel de ces matériaux
parce que des questions fondamentales demeuraient sans réponse, comme de
savoir si ces matériaux sont des métaux ou des isolants.
En France l'hiver dernier, les chercheurs ont mené une expérience au
Laboratoire national des champs magnétiques pulsés de Toulouse avec des
cristaux supraconducteurs créés par des chercheurs de l'Institut canadien de
recherches avancées à l'Université de Colombie-Britannique (UBC). L'équipe
du professeur Taillefer a alors pu observer un phénomène appelé
«oscillations quantiques» dans un supraconducteur à haute température, ce
qui prouve hors de tout doute que ces matériaux sont des métaux.
Lors d'une conférence de presse au centre des sciences de Montréal – haut
lieu de vulgarisation scientifique – le professeur Taillefer a raconté que
cette découverte est assurément la plus importante de sa carrière. «Les
résultats sont très clairs, indique-t-il. Les supraconducteurs à haute
température ont été découverts en 1987, et c'est
seulement maintenant que nous disposons de données concrètes sur leur
véritable nature. Grâce à cette découverte, les théoriciens et les
expérimentateurs pourront travailler sur du tangible.» Louis Taillefer a
tenu à souligner l'apport des étudiants et stagiaires de son équipe de
Sherbrooke, cosignataires de l'article : «Les
chanceux! C'est mon plus bel article et pour certains d'entre eux, c'est
leur premier! Venez à l'avant-scène que je vous présente Nicolas
Doiron-Leyraud, Jean-Baptiste Bonnemaison et David LeBoeuf.»
La rencontre réunissait les responsables des organismes qui ont appuyé
ces recherches, dont les représentants de l'Institut canadien de recherches
avancées et ceux de l'UdeS. «Les recherches menées par le professeur Louis
Taillefer contribuent à défricher un passionnant nouveau domaine, celui de
la supraconductivité, a déclaré le recteur Bruno-Marie Béchard. Par son sens
de l'innovation et son leadership, l'UdeS attire des experts de réputation
internationale, comme Louis Taillefer. Ces experts font équipe avec d'autres
universitaires et chercheurs reconnus et modifient littéralement le cours de
l'humanité en réalisant des percées scientifiques exceptionnelles.»
Haute température?
Malgré leur nom, les supraconducteurs
à haute température doivent être refroidis à des températures inférieures
à -100 °C pour pouvoir fonctionner, ce qui
nécessite d'énormes systèmes calorifiques. Les scientifiques s'efforçaient
d'augmenter la limite de température maximale, mais n'y arrivaient pas en
raison du manque de connaissances sur la nature des matériaux.
À partir de cette découverte, les chercheurs s'efforceront de trouver des
façons d'augmenter la limite de température maximale, dans le but ultime
d'obtenir la supraconductivité à température ambiante. Si ces matériaux
n'ont plus besoin d'être surfondus, cela veut dire que les appareils IRM
pourront, par exemple, passer de la taille d'une remise de jardin à celle
d'un ordinateur portable. Un médecin pourrait alors intervenir dans
certaines régions qui ne possèdent pas l'équipement.
Avec des câbles supraconducteurs, la transmission de l'électricité ne
connaîtrait pas les pertes importantes subies avec les conducteurs
résistants actuels. Et si les chercheurs parviennent à comprendre le
comportement des électrons dans les supraconducteurs aussi bien que dans les
semi-conducteurs, les retombées seront illimitées en ce qui concerne la
prochaine génération d'ordinateurs. Nous passerons des ordinateurs
classiques aux ordinateurs quantiques dont la puissance est presque
incroyable.
À entendre le professeur Taillefer, la réussite de ce tour de force était
un jeu d'enfant : une dose d'intuition, de bonnes
idées, de l'audace et un peu de chance. «Pour voir la signature de
l'oscillation quantique, il fallait simplement que le signal soit plus
important que le bruit, explique-t-il. Nous avons donc demandé à l'équipe de
la UBC de fournir un cristal supraconducteur ultrapur que nous avons placé à
très basse température pour avoir l'effet supraconducteur le plus important.
Ensuite, pour être capables d'observer l'oscillation quantique, nous avons
eu l'idée de minimiser tous les signaux parasites en tuant la
supraconductivité par un champ magnétique ultra-intense de plus d'un million
de fois le champ magnétique terrestre. Finalement, un détecteur très
sensible placé au cœur du dispositif a permis de mesurer les propriétés
électriques du matériau.»
Pour Louis Taillefer, la supraconductivité est aux matériaux ce que le
laser est à l'ampoule électrique. Un peu comme les photons des lasers que
l'on contrôle très bien, la cohérence du comportement des électrons dans les
supraconducteurs permet de les piloter finement. Cette propriété permettra
des révolutions scientifiques et techniques aussi inimaginables que l'était
Google il y a 50 ans. Faisant référence aux
enfants présents au Centre des sciences, le chercheur a conclu la conférence
en pariant que les prémices de l'ère quantique pourraient être accessibles à
leur génération avant d'être adultes.
La course aux supraconducteurs à haute température est maintenant lancée
pour toute la communauté scientifique, ce qui pousse Louis Taillefer à
réaliser d'autres avancées : «Je ne devrais pas être là avec vous, mais dans
mon labo!»
Le professeur Louis Taillefer et le recteur Bruno-Marie Béchard, au
centre, sont entourés de partenaires du projet :
Suzanne Fortier (CRSNG), Doug Bonn (UBC), Sylvie Dillard (FQRNT) et
Chaviva M. Hošek (ICRA).
Photo : Robert Laflamme |
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