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«Le bonheur, c'est juste avant»
Depuis janvier, Marianne Bachand, Miriam Desmarais, Philippe LeBel et
Samuel Royer Tardif, tous étudiants en écologie et membres d'Écologie sans
frontière (ESF), sont accueillis par des collègues de l'Université fédérale
de Pernambuco, au Brésil. Ils y font un stage qui porte sur la fragmentation
de la forêt tropicale du littoral atlantique brésilien, de même que sur la
gestion et la conservation des parcelles résiduelles de forêt dans un
endroit considéré comme le poumon de la planète par la communauté
scientifique internationale.
MIRIAM DESMARAIS
Ce soir, l'électricité nous fait défaut, nous nous sommes donc couchés
peu de temps après les derniers rayons du soleil. Les insectes pullulent. Il
fait chaud, humide et sombre. Nous sommes sur les terres de l'Usina Serra
Grande, à 12 km d'un petit village au nord-est du Brésil, où nous effectuons
des recherches dans la forêt tropicale atlantique.
Levés à l'aurore ce jour-là, nous sommes allés capturer des oiseaux avec
une spécialiste de l'Université fédérale du Pernambuco (UFPE). Très
intéressant! Nous avons même attrapé un Sabia, emblème de notre
groupe d'Écologie sans frontière. Il fait encore plus chaud et humide que la
veille. Ainsi lorsque nous ne sommes plus capables d'essuyer la moustache de
sueur sur la manche de notre T-shirt trempé, nous entrevoyons la fin de la
journée, au moment exact où l'eau fraîche de la cascade nous coulera entre
les épaules.
Ici, nous apprenons beaucoup sur l'écologie tropicale et la culture
brésilienne. Nous rencontrons des gens fort sympathiques et travaillons à
divers projets. Nous avons aussi le temps de nous interroger sur l'avenir.
Ceux qui ont un emploi d'été songent à leur prochaine job... et ceux qui
n'en ont pas encore commencent à planifier les partys du retour. Et
tout en organisant la fin de semaine à la plage ou en rédigeant un de nos
rapports scientifiques, nous nous questionnons sur ce que nous allons faire
de notre vie. Une maîtrise? mais où? en France, au Brésil ou en Abitibi? et
pourquoi pas un baccalauréat en droit? Et en même temps que nous dégustons
une eau de coco bien fraîche, nous entrevoyons les futures promenades
estivales... au Canada.
Ici, lorsque nous jasons avec les Brésiliens, nous discutons souvent de
ce que nous avons déjà fait, d'un professeur un peu fou ou encore du fameux
hiver canadien! Nous parlons du passé, nous pensons au futur. Peut-être que
l'éloignement entre aujourd'hui et où nous allons être dans un mois met en
évidence la distance temporelle entre nos pensées et le jour même. Rien
n'empêche, nous sommes bien. Nous regardons l'avenir avec anticipation.
Et Marianne chante en choeur avec Corneille qu'elle a amené en CD :
«Alors on vit, chaque jour comme le dernier parce qu'on vient de loin.»
Parce qu'on aurait vécu la guerre ou la maladie, on serait capable de
vraiment saisir le jour? Décidément, je ne suis pas une poète de la société
des poètes disparus. Je ne connais pas encore Carpe diem. D'ailleurs,
peut-être que Corneille non plus. Ne chante-t-il pas qu'il a des «rêves de
star»?
Maintenant on dirait que je comprends mieux la peur de ma mère, sa
difficulté à accepter la mort qui vient. Eh oui, ma mère est décédée du
cancer au début de février à l'âge de 50 ans. Je suis retournée au Canada
quelques jours avant qu'elle ne nous quitte et je suis revenue au Brésil
compléter le projet. Je ne m'expliquais pas qu'après quatre ans de combat,
de souffrance et de bons moments aussi, elle n'admette pas «sereinement» que
la science médicale ne possède pas les outils pour lui donner une autre
chance, un autre espoir. Jusqu'au dernier instant, elle voulait vivre.
Maintenant je comprends : nous ne pouvons pas nous imaginer sans lendemain.
Un soir vers la fin du mois de janvier, à Serra Grande, en sortant dans
la forêt, nous nous sommes aperçus qu'elle brûlait. Avec l'odeur de fumée
aux narines, la chaleur et l'urgence de la situation, je voyais les lambeaux
de forêt entourant les immenses champs de canne à sucre. Nous avons tenté
d'éteindre quelques foyers avec des seaux d'eau, mais l'entreprise était
au-dessus de nos moyens. Heureusement, Dame Nature a su empêcher la
destruction complète des fragments. Du moins cette fois-ci, car après tout
il ne reste que 8 % de la superficie originale de la Mata Atlantica1.
Par coïncidence, le soir de l'incendie de forêt est le même que celui où ma
mère est entrée au centre de soins palliatifs. En voyant une partie de la
forêt disparaître, je pensais à ma mère que je savais malade et qui se
mourrait... et je ressentais une douleur au coeur, des sentiments
entremêlés. Un sanglot étranglait ma gorge, j'étais, l'espace d'un moment,
paralysée d'impuissance et de désespoir.
Plus tard, en terminant notre séjour au Brésil, nous sommes allés à
Manaus en Amazonie. Nous avons eu le loisir d'explorer la forêt tropicale
vierge... pour le moment. Même si la tendance actuelle de l'industrie du
bois dans le monde nous montre qu'il y a peu de chance que cette forêt soit
encore debout dans 20 ans, nous gardons espoir, car le contraire paralyse.
Ici, des gens tentent par des moyens concrets de préserver et de
restaurer la forêt atlantique. Le projet de l'Usina Serra Grande, en
collaboration avec l'UFPE, le Centre de recherches environnementales du
nord-est et Conservation internationale du Brésil, en est un exemple.
Les familles des coupeurs de canne sont un autre exemple d'espoir. Sans
eau courante, quelquefois sans électricité, avec un revenu de misère et
toujours sans terre, ils sourient. Nous ne savons ce qu'ils imaginent comme
lendemain, mais ils doivent rêver. Comme le disait Pierre Foglia, nous
trouvons ici que «le bonheur, c'est juste avant».
- Tanta, P. Niemelä, J. Joensuu, E. et M. Siitonen
(1998). «The Frangmented Atlantic Rain Forest of Brazil : Size, shape and
distribution of forest fragments», Biodiversity Conservation,
7 : 385-403.
Un début d'incendie.
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Maisons des familles des coupeurs de canne à sucre. |
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Des cannes à sucre à perte de vue. |
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