|
Liaison, 29 avril 2004
Le «trou» de 14 h à 17 h
STÉPHANIE RAYMOND
Étudiante au baccalauréat en communication, rédaction et multimédia
«Qu'est-ce que
je pourrais bien faire à la fin de mon bac?» Combien d'étudiants se posent
cette question. Une maîtrise? Travailler? Ouais. La réponse sage, mais pas
très palpitante. Et pourquoi pas se lancer pour quelque temps dans ce
projet qui nous chatouille l'esprit depuis toujours? C'est ce que j'ai
fait, et mon seul regret est que cela n'ait duré qu'un mois.
On a tous des passions. Les miennes, ce sont les langues et les
voyages. Je me suis injecté une quasi-overdose de voyage pendant ma
session d'études en France. Cinq mois et six pays plus tard, ça me tentait
de faire autre chose que du simple tourisme carte-et-appareil-photo.
Prendre des cours de langue dans une ville du siècle d'or espagnol,
toujours ultra-vivante avec ses 50 000 étudiants, Salamanque. Quatre
heures de cours d'espagnol par jour dans une école adjacente à la plus
ancienne université d'Europe, au coeur du vieux centre digne des romans de
chevalerie. Conversations en espagnol 24 h par jour, avec mes colocs, dans
la rue, au resto, avec moi-même… Le rêve devenu réalité.
Un mélange de jouissance intellectuelle et de maux de tête. Au
téléphone avec ma famille, mon québécois «sortait tout croche» après ces
longues semaines d'immersion en «français de France» puis maintenant en
espagnol, le tout agrémenté de touches d'anglais et de portugais (avec mes
amis brésiliens). Et pour me mêler encore plus, l'espagnol que j'avais
appris au cégep était celui d'Amérique du Sud, et non cette langue de
Castille à l'accent fort et fier comme sa population. Un accent très
étrange au début, mais dont on devient fou après quelque temps. Comme pour
ce qui est du mode de vie espagnol.
Ma journée
commençait à 9 h avec un cours de grammaire. «9 h?, s'exclamaient les
Espagnols. Pobrecita, c'est vraiment tôt!» Eh oui, la vie est décalée en
Espagne. On se lève à 9 h, on travaille de 10 h à 14 h, puis on s'en
retourne chez soi pour trois heures, question de préparer la grande bouffe
du «midi» pendant une heure, de manger pendant une autre heure, puis de
faire la siesta ou le lavage avant de retourner au boulot jusqu'à 20 h. On
soupe vers 21 h 30, puis on placote jusqu'à passé minuit.
Ce «trou» de 14 h à 17 h m'a d'abord fait râler. Pas moyen de faire son
épicerie, de s'acheter un CD ou même d'aller au café Internet d'à côté,
tout est fermé pour la siesta. Grrr. Que faire alors? D'accord, manger,
mais je ne suis pas Espagnole et je ne consacre pas deux heures à mon
dîner. Mes devoirs d'espagnol. Ouais, bon, ça remplit toujours une demi
heure. Faire la sieste? Incapable de dormir l'après-midi.
Puis ce fameux trou est devenu essentiel. D'abord, on se couche tard en
Espagne, et la sieste devient bientôt une nécessité. «On soupe ensemble ce
soir?» «Ok, rendez-vous à 21 h à la Plaza Mayor.» J'y suis à 21 h
tapantes, et j'attends 20 minutes. La ponctualité, connaissent très peu
dans certaines parties du globe. Finalement tout le monde est là, on
placote, puis on déambule dans les rues à la recherche d'un bon resto pas
cher. On rentre dans un bar à tapas à 22 h. On commence à manger à 23 h.
On se couche à 1 h et on se lève à 7 h 30.
Et à 9 h, ces deux heures de grammaire intensives. Ouch. On se
précipite ensuite pour aller déjeuner. Eh oui, à 11 h. (Si vous dînez à
12 h 30, on vous demande : « Comment faites-vous pour manger «ça»
(c'est-à-dire un plat normal) le matin?» À cette heure, les cafés se
remplissent, c'est un moment sacré pour placoter (toujours!) tout en
dégustant trois ou quatre churros, ces pâtisseries frites que l'on trempe
dans un chocolat chaud épais comme du savon à vaisselle. (Oubliez la diète
en Espagne. Tout est frit, frit et refrit. Du poisson au dessert en
passant par les légumes.) Après les churros, on essaie de se traîner de
nouveau vers l'école. Deux autres heures, de conversation, de revue de
presse ou de culture espagnole. Hyperintéressant, heureusement!
On va ensuite
manger et faire la sieste, avant de rencontrer ses amis le soir pour une
séance de «contage de contes» de 22 h à 24 h. Le lendemain, on se couche
tôt. Mais comme les voisins parlent très, très fort jusqu'à 1 h, ça sert à
rien.
Puis on s'habitue à ce rythme de vie. Et quand on revient dans son
patelin, on tombe de trois pieds lorsque ses amis québécois proposent
d'aller souper à 18 h. On s'habitue aussi très vite au soleil, aux fleurs
rouges et aux feuilles vert tendre. Et on arrive à Québec dans la neige.
Ah, c'est vrai, j'avais oublié qu'il y avait encore de la neige icitte au
début avril.
J'adore les chocs culturels. Et le plus dur à vivre est celui du
retour. Après votre bac, faites quelque chose qui sort de l'ordinaire.
Mais attention, il y a toujours un risque que ça vous colle à la peau
pendant un bon bout de temps…
Retour à la une
|