|
Liaison, 22 janvier 2004
L'hiver : entre deuils et plaisirs
Johanne Bernatchez, psychologue
Comme chaque année, l'hiver s'est installé, avec ses bordées de neige
mémorables et ses redoux, inévitables depuis quelques années. Cherche-t-il
ainsi à se faire aimer davantage? Chose certaine, l'hiver est la saison la
plus décriée.
L'hiver, une histoire de deuils?
J'ai un beau-frère qui, chaque année, cherche par tous les moyens à
éterniser sa saison de golf. Quand il finit par abdiquer, il s'enferme
dans sa maison et attend que «ça» (l'hiver) passe, comme il dit. La saison
froide l'amène à délaisser à contrecœur son activité préférée. Cette perte
entraîne chez lui une forme de deuil temporaire mais réel, puisqu'une
importante source de plaisir disparaît, et cela pour une durée
suffisamment longue pour venir l'affecter. À l'arrivée de l'hiver, bon
nombre de personnes se mettent ainsi à vivre dans l'attente du retour des
loisirs de prédilection, ce qui vient, d'une certaine façon, accentuer
leur peine. Car vivre dans l'attente, c'est un peu comme vivre entre
parenthèses. Ce faisant, on se prive d'autres sources de plaisirs présents
ou potentiels.
L'hiver, une histoire de désagréments?
D'autres, moins extrémistes que mon beau-frère, vont plutôt récriminer
à l'occasion contre l'hiver. Mais tous humains que nous sommes, devant une
expérience désagréable, nous avons tendance à généraliser et par
conséquent à contaminer négativement l'ensemble d'une situation. Il y a
quelques années, un animateur de radio connu confiait sur les ondes qu'il
avait commencé à aimer l'hiver le jour où il s'était procuré un manteau
chaud. Cet aveu permet de comprendre plus spécifiquement que ce n'est
peut-être pas tant l'hiver que nous détestons, mais certains de ses
désagréments : le froid, les conditions routières hasardeuses, les heures
d'ensoleillement écourtées, et j'en passe. Autre caractéristique humaine,
notre perception des choses ou des événements comporte une certaine limite
dans sa perspective. Actuellement, parce que notre expérience perceptuelle
se concentre sur l'hiver, nous en avons contre ses ennuis. Opérons un
changement de point de vue de 180 degrés et ramenons à notre bon souvenir
certains embêtements de l'été : chaleur humide et suffocante, moustiques,
smog, et j'en passe. Il semble que la «belle saison» apporte aussi son lot
de désagréments. Mais ce qui nous rend l'été si attrayant, c'est que nous
y sommes généralement plus actifs et donc mieux nantis en sources de
plaisir.
Plaisirs d'hiver recherchés…
Lorsque je m'arrête pour penser aux plaisirs de l'hiver, il me vient
inévitablement un souvenir d'enfance. Je me souviens, vers le début des
années 70, d'un collègue de travail de mon père, originaire du sud de
l'Italie et nouvellement arrivé au Québec. Salvatore, au début de sa
vingtaine, devenait comme un chien fou dans la neige, y plongeant tête
première, s'y roulant, s'en bombardant… Comment un adulte pouvait-il, dans
cette manne de jeux possibles, avoir plus de plaisir que nous, les
enfants? La réponse est peut-être toute simple. Bien sûr, nous n'avons pas
tous le potentiel ludique d'un Salvatore. Mais peut-être y a-t-il moyen,
pour chacun, d'y retrouver son plaisir. Déjà, à l'instar de notre
animateur de radio, trouver des façons pour minimiser l'impact sur nous
qu'ont les désagréments de l'hiver serait un bon début. Poussons cependant
la réflexion un peu plus loin. Imaginons que nous nous mettions à la
recherche d'au moins une activité particulièrement plaisante pour nous, et
que cette activité serait réservée exclusivement à la saison hivernale.
Déjà, les perspectives deviendraient plus réjouissantes quand arriverait
cette saison mal aimée.
Bien sûr, il y aura toujours des gens parmi nous qui trouveront
difficile, voire quasi impossible de trouver du plaisir avec la neige. Et
puis, pour les amateurs de neige, il y a la déception des hivers sans
neige et même sans froid (comprendre : pas de patinoire). Peut-être alors
que cela nous fournit l'occasion d'explorer et de découvrir de nouveaux
hobbys, très intérieurs ceux-là. Quoiqu'il en soit, ce qui compte au fond,
c'est que malgré les contraintes que peut entraîner l'hiver dans notre
vie, il est important de ne pas réduire alors notre flot d'activités.
C'est une façon de se garder bien vivant, même durant la «morte saison».
Fait récent, mon beau-frère a découvert l'année dernière les
casse-têtes 3-D. Peut-être y a-t-il encore de l'espoir, même pour les
irréductibles, de se réconcilier avec l'hiver?
En collaboration avec Le Service de psychologie et d'orientation
Retour à la une
|