Liaison, 30 novembre 2000

Un chat à la rescousse des informaticiens

 

SOPHIE VINCENT

schro.jpg (32469 octets)Comment un chat peut-il être à la fois mort et vivant? Voilà une énigme qui n’annonce rien de rationnel ni de bien utile… Et pourtant! Jean-Sébastien Landry, étudiant au baccalauréat en physique, explique qu’en résolvant le paradoxe du chat de Schrödinger, on arrive à mieux comprendre comment pourraient fonctionner les ordinateurs du futur.

C’est cette démonstration qui a récemment valu à Jean-Sébastien le prix de la meilleure présentation orale à la Canadian Undergraduate Physics Conference, qui s’est tenue à Québec. Sa présentation avait pour titre "Le chat de Schrödinger : future mascotte des informaticiens?" et était inspirée du mémoire de maîtrise de son collègue Alexandre Blais, étudiant au doctorat.

Jean-Sébastien a basé sa réflexion sur le célèbre paradoxe imaginé en 1935 par Erwin Schrödinger, physicien autrichien considéré comme l’un des pères de la physique quantique.

Mort ou vif

La physique quantique est la discipline qui s’intéresse à la description des phénomènes à l’échelle atomique. Le paradoxe du chat de Schrödinger est une expérience de pensée qui illustre l’absurdité de la physique quantique lorsqu’on la compare à des éléments de la vie courante.

Voici le problème posé par Schrödinger : un chat est enfermé dans une boîte avec une fiole de poison mortel. Dans un coin de la boîte, un atome d’uranium radioactif et un détecteur conçu pour ne fonctionner qu’une minute. Pendant cette minute, il y a 50 % de chances pour que l’atome d’uranium se désintègre en éjectant un électron qui déclenchera un mécanisme vidant la fiole. Si on ferme la boîte, et qu’on déclenche l’expérience, le chat sera-t-il vivant ou mort?

La loi des probabilités répond qu’il y a 50 % des chances que le chat soit mort et 50 % des chances qu’il soit vivant. Jean-Sébastien explique qu’en appliquant les lois de la mécanique quantique, on arrive au constat que le chat est à la fois vivant ET mort.

C’est que selon les lois de la mécanique quantique, l’atome d’uranium peut à la fois être désintégré et entier. Sans entrer dans les équations mathématiques, disons que cela implique que les particules atomiques peuvent exister dans plusieurs états superposés et simultanés, comme dans des mondes parallèles.

"Cela nous semble absurde si l’on se fie à notre intuition naturelle, mais c’est parfaitement logique en physique quantique, explique Jean-Sébastien. Une des explications de ce paradoxe est la décohérence, un principe mathématique qui permet d’expliquer pourquoi nous n’observons pas de superposition d’états à l’échelle humaine, par rapport au monde quantique."

Du chat à la souris

Mais quel lien y a-t-il entre le chat de Schrödinger et l’informatique? Jean-Sébastien Landry explique que depuis quelques années, les chercheurs travaillent à mettre au point les futurs ordinateurs quantiques : "Le défi est de réduire la dimension des composantes électroniques et d’augmenter la rapidité de calcul des ordinateurs. Bientôt, les composantes seront tellement petites qu’à cette échelle,elles vont nécessairement présenter des comportements quantiques."

Et qu’est-ce qui distingue un ordinateur quantique d’un ordinateur classique? "Dans un ordinateur classique, l’information est emmagasinée sous forme de bits, c’est-à-dire de valeurs 0 ou 1, que l’on structure selon des opérations logiques. Un éventuel ordinateur quantique emmagasinerait aussi l’information sous forme de valeurs 0 ou 1, mais pourrait également superposer ces deux états à la fois, comme pour le chat de Schrödinger."

Cette superposition d’états pourrait causer une révolution dans le domaine du calcul, expliquent Vincent Farley et Marie-Ève Gosselin dans le numéro d’automne 1999 de la revue L’Attracteur du Département de physique1. "Plutôt que de faire des opérations en série, un ordinateur quantique pourrait les effectuer en parallèle et, ainsi, réaliser en quelques heures des calculs nécessitant des décennies aux meilleurs ordinateurs classiques. Par le fait même, le pays qui réalisera le premier ordinateur quantique disposera d’une arme technologique redoutable pour l’espionnage, plus particulièrement pour le décryptage de codes", nous apprennent-ils.

Sceptique?

Toujours pas convaincu qu’un chat puisse à la fois être mort et vivant, sauf peut-être dans un film de Stephen King? "En physique quantique, il faut accepter que les raisonnements viennent à l’encontre de notre mode d’intuition normal", soutient Jean-Sébastien Landry.

L’étudiant ajoute que l’un des plus grands physiciens de ce siècle, Richard Feynman, a déjà dit : "Personne ne comprend la mécanique quantique."

Si le récipiendaire d’un prix Nobel le dit…

1 Voir l’article "Un petit café ?!?" dans L’Attracteur, no 8 (automne), 1999, à l’adresse www.physique.usherb.ca/attracte .