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13 septembre 2019 Nicolas Doiron-Leyraud

Un effet Hall thermique géant révèle l’existence de nouvelles particules au cœur des cuprates supraconducteurs à haute température critique

Louis Taillefer et Gaël Grissonanche

Photo : Martin Blache - UdeS

Les électrons ne peuvent pas se déplacer en ligne droite dans un champ magnétique : leur trajectoire se courbe fortement sous l’action de la force de Lorentz. Dans un métal, cela provoque l’accumulation de charges sur les côtés d’un échantillon, c’est le bien connu “effet Hall”.  Une équipe dirigée par Louis Taillefer, professeur à l’Université de Sherbrooke et membre de l’Institut quantique, rapporte aujourd’hui dans Nature que les cuprates supraconducteurs à haute température critique présentent un effet Hall thermique des plus intrigants – l’analogue thermique de l’effet Hall. Non seulement ils observent une conductivité thermique de Hall inhabituellement élevée, mais ils constatent que celle-ci augmente à mesure que les électrons s’immobilisent dans le matériau, ce qui indiquerait l’existence de nouvelles excitations exotiques dans les cuprates.

Un jour viendra où les supraconducteurs révolutionneront notre vie quotidienne, dans des domaines aussi divers que la transmission de l’énergie, la médecine et les communications. Pour que cela se produise, la température critique à laquelle la supraconductivité se produit doit d’abord être augmentée jusqu’à la température ambiante. Aujourd’hui, les matériaux à base d’oxyde de cuivre appelés “cuprates” sont les candidats les plus prometteurs pour atteindre cet objectif. Cependant, ce sont des matériaux où la complexité et la bizarrerie de la mécanique quantique semblent avoir créé une parfaite tempête, dans laquelle émerge une richesse de propriétés spectaculaires et anormales qui défient notre compréhension.

La caractéristique la plus déroutante des cuprates est la “phase pseudogap”, une mystérieuse phase électronique de la matière qui coexiste avec la supraconductivité et est considérée comme l’une des grandes énigmes de la physique actuelle. Pour comprendre le comportement des électrons dans ces matériaux et comment ceux-ci donnent lieu à une supraconductivité exceptionnellement forte, il est essentiel d’élucider la nature de cette phase.

Dans des expériences menées par un post-doc, Gaël Grissonnanche, le professeur Louis Taillefer et son équipe ont trouvé quelque chose d’entièrement nouveau et d’inattendu dans la phase de pseudogap : elle abrite des excitations exotiques qui induisent un effet Hall thermique négatif. Dans les métaux conventionnels, on associerait normalement l’effet Hall thermique aux électrons conducteurs, mais ce scénario est exclu ici parce que le signal mesuré est beaucoup trop grand pour venir des électrons. De plus, le signal thermique de Hall augmente à mesure que le matériau – alors qu’il est encore dans la phase de pseudogap – devient de plus en plus isolant, atteignant une valeur maximale alors qu’il ne reste en fait plus aucun électron mobile pour conduire l’électricité. Par conséquent, la chaleur produisant le signal thermique de Hall est susceptible d’être transportée par des excitations de spin. Mais les excitations de spin ne répondent pas normalement à un champ magnétique comme le font les électrons, donc pour produire un signal thermique de Hall, elles doivent être plutôt exotiques. Une possibilité est celle des excitations dites “spinon”, des excitations de spin sans charge qui émergent dans des matériaux dits “spin-liquides”. Un autre scénario propose que le pseudogap abrite des excitations de spin « topologiques ». L’identification des excitations qui sous-tendent l’énorme signal thermique de Hall dans les cuprates déclenchera une nouvelle vague de recherche sur ces matériaux quantiques, et ces résultats seront essentiels pour comprendre leur phase pseudogap.

“L’une des choses qui rend cette découverte si passionnante est la simple observation d’un grand signal thermique de Hall dans un isolant que personne n’attendait dans les cuprates. Son origine exacte n’est peut-être pas encore tout à fait claire, mais elle bouleverse une grande partie de notre réflexion actuelle sur les cuprates, car aucun des modèles conventionnels existants ne peut expliquer cet effet Hall thermique “, explique Gaël Grissonnanche, l’auteur principal de l’étude.

La Fondation Gordon & Betty Moore a contribué au financement de ce projet, par le biais d’une subvention au Pr. Louis Taillefer dans le cadre de son programme de recherche Emergent Phenomena in Quantum Systems.

Cette recherche a bénéficié du réseau international de collaboration des chercheurs du Programme des matériaux quantiques de CIFAR.

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