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Portrait de membres de l'Institut quantique - Étienne Lefrançois

Sur la piste des phonons

Photo : Étienne Lefrançois et Louis Taillefer

Étienne Lefrançois, nouvellement docteur de l’Institut quantique de l’Université de Sherbrooke, a fait sa marque en physique quantique en étudiant l’énigmatique matériau α-RuCl3, un isolant au cœur des dernières recherches sur les matériaux quantiques. Ce matériau est suspecté d’abriter une particule rare et exotique, du moins, c’est ce qui est théorisé…

Un parcours naturellement dirigé vers la quantique

C’est à travers son premier stage dans le groupe de son mentor Louis Taillefer qu’Étienne a eu la piqûre pour la recherche. Un second stage, une maîtrise, puis le doctorat se sont, comme Étienne le dit, « alignés naturellement ». Étienne se concentrait sur une question centrale dans ses recherches : comment la chaleur se propage-t-elle dans les matériaux quantiques ? C’est un peu comme si vous chauffiez un bout d’une petite plaquette de métal et vous intéressiez à la chaleur qui se déplace vers l’autre extrémité pour observer que cette dernière est expliquée par le mouvement des électrons. Cependant, en physique quantique, le transport thermique est plus délicat à appréhender, particulièrement dans certains matériaux tels que α-RuCl3.

α-RuCl3 et l’insaisissable fermion de Majorana

L’isolant magnétique α-RuCl3 suscite l’intérêt de la communauté scientifique, car il présente une particularité : il est un potentiel liquide de spins quantique. Ainsi, dans cet état de la matière, les spins des électrons ne s’alignent pas pour former un ordre magnétique à basse température. Ils restent au contraire dans un état de « tourbillon » dynamique. C’est ce caractère quantique qui attire l’attention, puisque α-RuCl3 pourrait potentiellement abriter une particule très exotique : le fermion de Majorana. Cette particule élusive, qui est sa propre antiparticule, a le potentiel de révolutionner le domaine de l’informatique quantique en rendant les ordinateurs quantiques plus robustes et moins sujets aux erreurs.

L’effet Hall thermique pour sonder le αRuCl3

L’effet Hall thermique, cousin moins connu de l’effet Hall électrique, se produit quand un gradient de température transverse dans un solide est engendré par un champ magnétique appliqué perpendiculairement à la direction du flux de puissance thermique. Il a été postulé que cette sonde pourrait permettre de détecter la signature du fameux fermion de Majorana. Étienne a donc plongé α-RuCl3 dans un champ magnétique intense, a induit un courant de chaleur dans l’échantillon et a mesuré le gradient thermique de Hall résultant.

Plus facile à dire qu’à faire, puisque mesurer l’effet Hall thermique est une tâche délicate, nécessitant des conditions de laboratoire extrêmement stables, des températures très basses, des champs magnétiques forts, des techniques de thermométrie étoffées et précises plusieurs appareils conçus sur mesure. « C’est un défi expérimental — la mesure de l’effet Hall thermique est très difficile parce que les signaux sont extrêmement faibles, parfois même indiscernable de la du bruit de mesure, c’est donc un beau défi expérimental », nous confie Étienne.

Le Pr Louis Taillefer a d’ailleurs salué la détermination d’Étienne « J’ai adoré avoir Étienne dans mon équipe de recherche. D’abord pour son courage à s’attaquer aux défis les plus grands et sa persévérance à aller jusqu’au bout. Il a fait preuve d’une volonté exceptionnelle. Mais aussi pour son esprit d’équipe. Il était toujours prêt et heureux d’accueillir et former les nouveaux jeunes qui se joignaient à nous. C’était un pilier de notre équipe — il va beaucoup nous manquer ! »

Quand les phonons prennent la scène

Plutôt que de détecter la signature du fermion de Majorana, Étienne a découvert que les phonons, des quasi-particules associées aux vibrations des atomes dans le matériau, seraient à l’origine de l’effet Hall thermique dans α-RuCl3. Une révélation contre-intuitive, car, comme le rappelle Étienne, « un phonon, ça n’a pas de charge, donc ça ne devrait pas répondre au champ magnétique ». Mais dans α-RuCl3, les phonons se retrouvent fortement couplés à l’environnement magnétique et sont bel et bien responsables du transport de chaleur, ce qui explique la présence de l’effet Hall thermique dans ce matériau isolant.

« Au début, quand j’ai commencé le projet, l’effet Hall thermique dans les isolants magnétiques, ce n’était pas très connu… encore moins l’effet Hall thermique des phonons ! J’étais bien heureux de faire mon doctorat sur ce sujet, parce que c’est un domaine en pleine effervescence, voire nouveau. C’est intéressant et motivant de faire partie d’un sujet dans lequel on connaît peu de choses en ce moment — le doctorat s’établissait donc comme un parcours assez exploratoire ! » dit Étienne, soulignant l’importance de ces recherches dans le domaine actuel.

Du laboratoire à la ligne d’arrivée

À l’extérieur du laboratoire, Étienne Lefrançois n’est pas différent. Mordu de défis, il court des ultramarathons en montagne et s’engage dans le bénévolat en aidant les jeunes du secondaire à mener à bien leurs études durant l’année scolaire. « Je suis motivé par la recherche de défis. Lorsque je suis en montage en train de courir des longues distances, je vois en ces moments non seulement de beaux défis, mais en quelque sorte des aventures, et c’est aussi comme tel que j’ai appréhendé la thèse ! » – un état d’esprit qui le caractérise parfaitement, sur les trails comme dans la recherche quantique.

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