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6 octobre 2020 Jessica Blakeney
Sanghita Sengupta ajoute sa contribution à la discussion

Le graphène s’avère être un bon absorbeur à température finie

Sanghita Sengupta

Photo : IQ

Comment un atome s’absorbe-t-il sur une surface? Du point de vue de la théorie quantique des champs, pouvons-nous comprendre ce phénomène en incluant les effets des phonons de surface, c’est-à-dire les quanta de vibration de la surface ? Au fil des ans, des prédictions théoriques ainsi que des efforts expérimentaux ont élucidé un rôle important joué par les phonons de surface dans la médiation du processus d’absorption. Alors que la plupart des travaux de recherche précédents ont été menés sur des matériaux tridimensionnels conventionnels, la découverte du graphène, un matériau bidimensionnel, a mené à un effort récent pour comprendre ce phénomène, avec un accent particulier sur la dispersion des phonons, l’accordabilité de l’atome et du phonon et les applications possibles basées sur des capteurs de masse. Sanghita Sengupta, actuellement postdoctorante à l’Institut quantique (IQ), avait pour objectif de comprendre le phénomène d’absorption dans le graphène avec un accent particulier sur le rôle des phonons de surface.

Lors de son doctorat à l’université du Vermont, elle avait découvert par hasard un intéressant débat en cours dans ce domaine, qui se poursuit depuis 2011. Alors qu’un groupe de théoriciens a prédit que les membranes de graphène suspendues sont de parfaits réflecteurs d’atomes à basse température, d’autres ont prédit qu’elles sont les absorbeurs parfaits. Le principal point de désaccord entre les groupes était le rôle des phonons de surface à faible énergie (infrarouge) dans la médiation du processus d’absorption. En 2019, dans le cadre de son premier projet postdoctoral à l’IQ, Sanghita a enquêté sur le rôle des phonons de surface à basse énergie et a résolu le débat avec une méthode mathématique montrant que le graphène suspendu est effectivement un bon absorbeur. Elle a ensuite publié les résultats dans un article dont elle est l’unique auteure : Theory of Phonon-Assisted Absorption in Graphene: Many-Body Infrared Dynamics.

Une approche originale fondée sur les phonons acoustiques

Ce qui distingue l’approche de Sanghita des méthodes existantes est le fait qu’elle a développé une technique mathématique qui modélise la physique d’absorption de surface du point de vue de la cohérence du bain de phonons thermiques. L’avantage de cette théorie est qu’elle étudie en détail la vraie dynamique du bain de phonons relative aux effets de l’évolution du temps, de la température et du couplage atome-phonon. Ce type de formalisme, centré sur la dynamique des phonons de surface, n’était pas utilisé par d’autres groupes de recherche. La théorie de Sanghita découvre une échelle de temps caractéristique pour la dynamique des phonons thermiques, qui sert alors de paramètre crucial pour comprendre le cœur du débat, à savoir si le graphène suspendu réfléchit ou absorbe les atomes qui l’atteignent.

Dans une telle technique théorique, les travaux originaux de Sanghita ont montré que le résultat d’absorption nulle (impliquant une réflexion) pour le graphène suspendu n’est possible que si l’on considère la contribution de la dynamique des phonons à partir d’un long régime de temps qui va au-delà d’une échelle de temps caractéristique. Dans un tel cas, la contribution au phénomène d’absorption due aux phonons thermiques de l’échelle de temps court est complètement négligée et le taux d’absorption résultant est nul. Ces approximations constituaient en effet le régime d’étude du groupe qui prédisait théoriquement le graphène en suspension comme réflecteur. Cependant, le phénomène d’absorption en basses températures nécessite l’inclusion de la contribution des phonons thermiques des régimes de tous les temps et pas seulement des longues échelles de temps. Lorsque de telles conditions sont respectées, la contribution des phonons thermiques des échelles de temps court se traduit par un taux d’adsorption fini, ce qui implique que le graphène en suspension est un bon absorbant.

Une similitude intéressante avec d’autres branches de la théorie quantique des champs

Tout en résolvant le débat du point de vue de la dynamique des phonons thermiques, Sanghita a également trouvé une similitude intéressante entre le phénomène d’absorption médiée par les phonons et d’autres branches de la théorie quantique des champs. Au cours des étapes initiales de sa théorie concernant l’absorption de surface pour les membranes de graphène en suspension, elle a rencontré un problème mathématique déroutant dans lequel les taux d’absorption calculés dans la théorie conventionnelle des perturbations divergeaient et donnaient des taux d’absorption infinis. Après une enquête plus approfondie, elle a constaté que ce problème n’était pas exclusif au phénomène d’absorption de surface dans le graphène, mais a également été trouvé dans d’autres domaines de la physique fondamentale, comme l’électrodynamique quantique (QED) et la gravité perturbative.

Ce problème est appelé le problème infrarouge (IR). Son origine est dans l’émission d’une infinité de quanta infrarouges (phonons acoustiques dans le cas du graphène en suspension) à partir de la queue à longue portée des interactions (interaction de Van der Waals pour la physique de surface du graphène). Ainsi, un ingrédient crucial requis pour étudier le problème d’absorption de surface est de concevoir des techniques mathématiques qui apprivoiseraient d’abord ces divergences infrarouges. Sanghita a conçu trois de ces techniques de reprise numérique non-perturbatives et basées sur le formalisme de fonction de Green qui additionne des ordres infinis de diagrammes de Feynman, apprivoise les divergences IR et donne des taux d’absorption finis pour le graphène suspendu.

Un résultat surprenant de son projet a été la réalisation d’une similitude subtile entre les théories du QED, de la gravité perturbative et de l’acoustique quantique dans les matériaux 2D Dirac. Dans les théories avec photons de basse énergie en QED et gravitons en gravité quantique, la procédure d’annulation de divergence IR dans les taux de transition est prédite par le théorème de Bloch-Nordsieck, qui conduit à des taux de transition finis. De façon intéressante, les travaux de Sanghita ont montré que les phonons acoustiques à basse énergie en acoustique quantique en physique de surface 2D valident également le théorème de Bloch-Nordsieck, conduisant à des taux d’absorption finis pour le graphène en suspension.

Les prochaines étapes

Sanghita vise à appliquer son formalisme théorique à un autre problème intéressant impliquant les surfaces magnétiques. Découverte expérimentalement pour la première fois dans des systèmes biologiques, la sélectivité de spin induite par la chiralité (CISS) est un phénomène remarquable qui dénoue la transmission sélective du spin des électrons à travers des molécules chirales hélicoïdales. Ce phénomène a intrigué la communauté de la spintronique avec des propositions de développement de vannes de spin basées sur l’effet CISS sans l’utilisation d’aimants permanents. Cependant, il existe un obstacle potentiel à l’application de ces propositions: l’origine théorique du CISS n’est pas encore comprise. Sanghita souhaite appliquer et étendre son formalisme mathématique utilisé pour étudier la physique de l’absorption médiée par les phonons aux surfaces magnétiques où elle étudiera le rôle des phonons dans les taux de transition des électrons à travers les molécules chirales. Si ces hypothèses se confirment, elle envisage cette théorie comme étant avantageuse pour développer des dispositifs spintroniques basés sur la CISS ainsi que pour comprendre certains des phénomènes biologiques qui utilisent la sélectivité de spin.

Depuis qu’elle a publié cet article, Sanghita a travaillé sur un autre projet avec le professeur Garate dans lequel ils ont découvert qu’il est possible d’entendre le son d’électrons topologiques dans les semi-métaux de Weyl.

En plus de ce projet, Sanghita se rendra en Espagne en octobre pour une autre bourse postdoctorale de trois ans où elle travaillera sur un projet de spin avec le graphène, dans lequel elle souhaite acquérir autant d’expertise en recherche que possible, tout en espérant postuler à un poste universitaire dans un avenir rapproché.

 

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