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12 décembre 2018 Hugues Vincelette
Thèse de doctorat

La correction d’erreur quantique selon Pavithran Iyer Sridharan

Pavithran Iyer Sridharan

Photo : Fournie

L’un des sens que le Petit Robert donne au bruit est le suivant : Phénomène aléatoire gênant qui se superpose à un signal utile et en perturbe la réception.

Pour Pavithran Iyer Sridharan, c’est le sujet de sa récente thèse de doctorat, qui lui a valu un doctorat du Département de physique de l’Université de Sherbrooke : A critical analysis of quanum error correction methods for realistic noise processes.

Né à Chennai, une ville de plus de 7 millions d’habitants située dans le sud de l’Inde, Pavithran a découvert Sherbrooke il y a sept ans lors d’une école d’été. Il nous parle de son premier contact : « C’était la première fois que je quittais mon pays et l’école d’été à laquelle j’ai participé a joué un rôle déterminant. Je cherchais un endroit pour poursuivre mon cheminement vers les études supérieures et j’ai vu le profil du professeur David Poulin sur Internet. Je découvre qu’il cherche des étudiants. A cette époque, j’orientais mes études vers l’informatique quantique et je me suis dit que l’occasion était belle. J’ai assisté à l’école d’été, j’ai fait la connaissance de David et j’ai vraiment aimé mon contact à tel point que mon souhait était de continuer mes études à Sherbrooke. »

Non seulement Pavithran a trouvé une université et un directeur, mais il a aussi découvert une ville qu’il décrit comme calme et paisible.

Simuler le bruit

Pavithran illustre la correction des erreurs, son sujet de recherche, par un exemple de la vie quotidienne : “Imaginons un scénario très simple : vous et moi parlant avec des téléphones cellulaires. Pendant que je parle, mes mots sont convertis en 1 et en 0 et voyagent dans l’atmosphère, arrivant finalement à votre appareil où ils sont reconvertis en mots. Plusieurs facteurs peuvent modifier l’information en cours de route comme le tonnerre ou la foudre et ces facteurs nous sont inconnus. Par exemple, je peux imaginer qu’un 1 peut soudainement devenir un 0, les conséquences de cette erreur peuvent changer un mot, donc le sens du message. Je dois donc concevoir ma technologie de manière à ce que, malgré la présence d’erreurs, votre appareil soit capable de déchiffrer ce qui constitue la bonne information. »

Avec un ordinateur quantique, la question de la correction des erreurs est d’autant plus pertinente que l’information quantique, contrairement à une chaîne de 1 et de 0, est extrêmement sensible à l’influence de l’environnement. Elle est, par conséquent, vulnérable à une variété extraordinaire de bruit.

Plusieurs approches sont à l’essai pour tenir compte du bruit dans un processus de calcul quantique. La grande majorité de ces systèmes utilisent la redondance de plusieurs façons. La plus simple d’entre elles est de répéter plusieurs fois la même opération pour valider son contenu. Mais ce processus augmente la taille de l’ordinateur et, dans un contexte d’informatique quantique, augmente les coûts de conception. Pavithran a mené son projet de recherche en souhaitant en réduire les coûts.

Caractériser le bruit

Avant de tenter de corriger les erreurs d’un ordinateur quantique, il est essentiel de caractériser le bruit et de déterminer ses effets sur un ordinateur quantique. Cette étape s’appelle la modélisation du bruit. Un modèle mathématique est utilisé pour la compréhension du bruit, plutôt que le bruit lui-même. Avec un modèle de bruit, il est possible d’adapter les protocoles de correction d’erreurs à un dispositif spécifique. Ces protocoles peuvent être développés de façon adaptée en effectuant des simulations numériques qui permettent de tester l’efficacité d’un protocole, ce qui, grâce à un puissant superordinateur comme Mammouth de l’Université de Sherbrooke, peut ne prendre que quelques jours.

Mais, pour Pavithran, ces approches traditionnelles, impliquant la modélisation du bruit et les simulations numériques, ont d’importantes limites : « Tout d’abord, la modélisation simplifie généralement le processus du bruit à un point tel qu’il ne reflète pas le scénario réel. Deuxièmement, la technique de simulation numérique qui évalue un protocole de correction d’erreurs proposé peut elle-même contenir des erreurs. Celles-ci peuvent miner notre confiance dans l’évaluation du système. Pour contourner le problème, nous avons suggéré d’étalonner un ordinateur quantique à plus petite échelle avec le bruit réel pour voir comment il se comporterait, s’il était construit à grande échelle.”

La caractérisation du bruit comporte son lot de problèmes. La majorité des efforts de recherche se concentre sur l’optimisation d’un facteur de mérite pour un équipement, ce facteur est aussi appelé la “fidélité”. Ainsi, plus la fidélité d’un dispositif ou d’un qubit s’approche de 100%, plus il est considéré comme fiable.

Là encore, Pavithran est sceptique : “A notre avis, si l’on réduit le bruit à l’unique préoccupation qu’un seul de ses paramètres soit aussi proche que possible de 100%, on ne reproduit pas le scénario réel. Dites-moi la meilleure fidélité que vous pouvez obtenir, et je vous présenterai deux scénarios de bruit différents où dans l’un le bruit peut être corrigé tandis que dans l’autre, les protocoles de correction d’erreur fonctionnent nettement moins bien. Ainsi, dans un scénario réel où tout type de bruit est possible, ces facteurs de mérite donnent des informations très parcellaires sur la façon dont le bruit peut être éliminé d’un ordinateur quantique. En d’autres termes, un schéma que vous pourriez trouver idéal pour un équipement pourrait être inutile pour un autre tout en ayant la même fidélité. La fidélité peut être une information trompeuse.

Nous croyons qu’une analyse critique des méthodes actuelles de conception de protocoles de correction d’erreurs est très importante parce que beaucoup de gens semblent être préoccupés par la fidélité. C’est l’objectif central de ma thèse. Nous avons montré que le bruit est tellement complexe que si vous n’utilisez qu’un seul indicateur de bruit, vous pourriez être induit en erreur sur l’effet que ce bruit peut avoir sur un ordinateur quantique. » Les résultats de Pavithran se sont révélés être une bien désagréable surprise pour la communauté scientifique qui travaille à la construction d’ordinateurs quantiques. Dans presque tous les articles scientifiques décrivant une mise en œuvre expérimentale d’opérations quantiques, les auteurs précisent à quel point chaque opération a été réalisée avec précision en rapportant sa fidélité. C’est la façon usuelle de comparer la qualité relative de différents appareils. Ce que Pavithran a montré, c’est que cette fidélité n’est pas pertinente au pour qualifier le bon fonctionnement d’un ordinateur quantique. Pire encore, il a montré que le bruit quantique est si complexe que, quelle que soit la façon dont vous quantifiez la qualité de l’appareil, il ne donnera aucune indication précise sur le fonctionnement de l’ordinateur quantique.

Donc, si les facteurs de mérite ne sont pas concluants, qu’est-ce qui pourrait fonctionner ? Pavithran répond : “La question sous-jacente est donc de savoir quel facteur de mérite peut nous donner une bonne prédiction de la façon dont le bruit peut être corrigé. L’indicateur pourrait être une propriété complexe du bruit, d’un point de vue mathématique, une fonction du modèle de bruit. Nous avons effectué des simulations des effets du bruit sur un ordinateur quantique. Ces simulations nous servent d’exemples. Dans cet esprit, nous avons utilisé l’apprentissage machine qui permet d’examiner les exemples et de choisir une propriété du bruit qui est essentielle pour déterminer la réussite d’un protocole de correction d’erreur. Cette nouvelle propriété « apprise » par la machine servira de facteur de mérite. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé de facteur de mérite suffisant. »

En ce qui concerne la capacité de caractériser le bruit, cela signifie qu’il n’existe pas de formule universelle pour évaluer la qualité d’un appareil ou d’un qubit en raison de la grande variété de bruit auquel il peut être exposé. Dis de cette façon, cela n’a pas surpris les experts dans le domaine. Toutefois, le fait que la fidélité ne soit pas un bon indice de l’efficacité des protocoles de correction d’erreurs demeure une surprise de taille.

La simulation numérique

Parlons plus spécifiquement des simulations numériques. Simuler numériquement le bruit, c’est comme essayer de prédire avec précision la trajectoire d’un oiseau, c’est comme essayer de reproduire la nature, il y a une multiplicité de paramètres à vérifier. Par exemple, dans une expérience dans une autre université, des chercheurs ont observé d’étranges fluctuations dans leurs lectures expérimentales de la fréquence d’un qubit. La source s’est avérée être un train qui passait à 15 heures, ils ont mis des semaines à le découvrir.

Des simulations numériques sont nécessaires pour valider un protocole de correction d’erreur. Ils tentent simplement de reproduire plusieurs essais d’utilisation du protocole de correction d’erreurs. Généralement, il faut un grand nombre de simulations. « Par exemple, si vous posez comme hypothèse qu’un problème se produit une fois sur mille, vous devez faire au moins mille simulations pour vous en assurer. Si nous n’avions fait que 100 simulations, le problème ne se posera jamais et nous conclurions à tort que le problème n’existe pas. » Pour mettre les choses en perspective, les protocoles de correction d’erreurs ne doivent pas échouer plus d’une fois sur 1000 trillions de fois. Une seule simulation d’un protocole de correction d’erreur prend déjà quelques millisecondes, de sorte qu’il faudrait environ 30 ans avant de trouver un échec. Cependant, s’il y avait une façon de ne cibler que les échecs, nous pourrions peut-être estimer le taux d’erreurs plus rapidement. Cependant, il n’y a pas d’indication claire du moment où ces défaillances se produisent, ce qui équivaut à s’en remettre au hasard.

La question persiste, comment identifier les cas où le bruit fait échouer le protocole de correction d’erreur ? « Nous avons utilisé des outils d’analyse statistique propre aux événements rares. L’outil en question pertinent est connu sous le nom d’échantillonnage préférentiel, il est souvent utilisé en économie pour étudier la chute de marchés boursiers. Nous l’avons adapté à notre problème lors de l’évaluation d’un protocole de correction d’erreurs. Ce n’est évidemment pas une technique qui fonctionne par preuve, mais nous avons des raisons de croire que cette technique pourrait très bien fonctionner sans nécessiter des années de calcul. La portée des techniques d’échantillonnage préférentiel dans l’évaluation des protocoles de correction d’erreurs est vaste et inexplorée, nous n’avons étudié qu’un seul cas dans la thèse. Bien qu’il y ait quelque chose à gagner en termes d’efficacité dans les simulations numériques en utilisant notre technique d’échantillonnage préférentiel, les gains ne sont pas significatifs. Explorer davantage ces techniques peut s’avérer un domaine de recherche prometteur pour l’avenir.”

Après avoir passé en revue les méthodes connues, quelle est la conclusion ? Peut-on corriger le bruit dans un ordinateur quantique ?  « L’ordinateur conventionnel ne convient pas pour tester un ordinateur quantique. Parce que l’ordinateur quantique ouvre un tout nouvel univers de possibilités, il faudra peut-être un petit ordinateur quantique pour en tester un plus puissant. »

Après le doctorat ?

Pavithran poursuivra ses recherches dans le cadre d’une bourse postdoctorale à l’Institute for Quantum Computing de Waterloo, en Ontario. Il est également engagé dans une entreprise en démarrage, Quantum Benchmark.

“Le but de cette entreprise est très semblable à ce que j’ai fait dans le cadre de mon doctorat. Nous voulons évaluer le matériel informatique en le comparant, en offrant des facteurs de mérite adaptés à l’équipement que nous avons à évaluer.  L’idée n’est pas tant la quantité de qubit qu’il peut y avoir dans les ordinateurs, mais de s’assurer qu’ils fonctionnent correctement. »

Nous tenons à féliciter Pavithran pour son doctorat et à lui souhaiter bonne chance pour la suite.

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