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1 novembre 2023 Dérek Dubé

L’Institut quantique, avant-gardiste grâce à son système de recyclage de l’hélium

Bobby Rivard et François Lizée, techniciens en physique

Photo : Michel Caron - UdeS

Dans la sphère scientifique et médicale, un grand enjeu s’illustre progressivement. Selon certaines figures réputées comme le physicien américain Robert Richardson, d’ici 30 ans, l’humain aura complètement épuisé la Terre de ses ressources finies en hélium. Alors que le prix unitaire de ce précieux gaz a plus que doublé dans les 10 dernières années, la plupart des corps de recherche s’empressent de se procurer des systèmes de recyclage pour réduire leurs dépenses durant cette pénurie. Une crise pour laquelle l’Université de Sherbrooke était déjà prête en 1982.

Bien sûr, quand nous pensons à l’hélium, nous imaginons très rapidement les attraits de sa forme gazeuse: les ballons, les fusées et la petite voix aiguë. Seulement, ce que peu de gens connaissent, ce sont les utilités de l’hélium liquide dans l’imagerie médicale, dans les matériaux quantiques et en informatique quantique.

Afin de contextualiser les applications majeures de ce gaz noble, il faut d’abord comprendre ses propriétés cryogéniques : l’hélium est un gaz extrêmement stable, c’est-à-dire qu’il réagit très peu avec d’autres substances. Sous les conditions appropriées, on le considère comme un élément fiable et contrôlable.

Dans son état liquide, le point d’ébullition de l’hélium frôle le zéro absolu à -269 oC faisant de lui le candidat parfait lorsque l’on veut refroidir quelque chose à de très basses températures. Cependant, le gaspillage insouciant de cette ressource indispensable dans plusieurs secteurs force la main de certains corps de recherche à être plus créatifs et consciencieux dans leur consommation trop souvent faramineuse de l’hélium.

Pour y remédier, plusieurs acteurs du milieu industriel et universitaire se tournent vers l’écoresponsabilité… Et l’Institut quantique (IQ) fait figure de proue dans ce domaine avec son ingénieux système de recyclage.

Recycler pour économiser

Comme pour plusieurs autres centres de recherche, l’hélium est absolument nécessaire à l’IQ. Chaque jour, c’est plus de 200 litres d’hélium liquide qui sont consommés à des fins expérimentales. Que ce soit pour refroidir un qubit lors d’une analyse ou effectuer des tests avec un matériau supraconducteur, nos chercheuses et chercheurs ne peuvent simplement pas se passer de ce liquide frigorifiant.

L’accès à ce précieux sous-produit de l’exploitation du pétrole est, en temps normal, très dispendieux avec un prix unitaire qui fluctue autour de 30 $ du litre (comparé à seulement 10 $ en 2012). Sur une consommation annuelle qui s’élève à presque 50 000 litres, le prix devient assez exorbitant.  Heureusement, le Département de physique a cru bon investir dans un système de recyclage.

Dans l’optique de simplifier ce processus de recyclage, suivons le parcours typique de l’hélium :

Le processus de recyclage

L’hélium commence son périple en étant utilisé dans le cadre d’une expérience; initialement, il commence sous sa forme liquide dans de grands cylindres façonnés pour conserver le froid.

L’étudiante ou l’étudiant effectue ensuite un transfert du cylindre à son système de mesure. Durant l’expérience elle-même, l’hélium se réchauffe inévitablement et devient gazeux lorsqu’il atteint -269 oC. Tout le gaz qui s’échappe est immédiatement récupéré par des tuyaux reliés à des ballons dans le sous-sol du Département de physique. Avec 11 laboratoires qui requièrent un approvisionnement en hélium, la multitude de tuyaux qui se contorsionnent les uns sur les autres indique clairement le chemin à suivre.

Dans le sous-sol, on compte deux ballons qui emmagasinent une énorme quantité d’hélium. Lorsque ces ballons sont pleins, trois compresseurs compressent l’hélium dans le but de réduire l’espace nécessaire pour emmagasiner le gaz et l’envoient dans des bombonnes situées dans la pièce adjacente. Chacune d’entre elles contient de l’hélium gazeux compressé à 2 000 psi. Par la suite, le gaz dans les bombonnes est acheminé au liquéfacteur qui produit près de 45 litres d’hélium liquide par heure. En guise de comparaison, la plupart des liquéfacteurs courant au Québec ont une capacité de 20 litres par jour, une énorme différence de production.  Enfin, l’hélium terminera son voyage  en étant transféré dans les grands cylindres qui prendront la direction des laboratoires pour répéter le processus.

Bobby Rivard (droite) et François Lizée (gauche), techniciens en physique, travaillant avec les équipements de récupération de l’helium de la Faculté des sciences. Photo : Université de Sherbrooke par Michel Caron

Interrogé sur les possibles lacunes du système, Bobby Rivard, un membre de l’équipe technique, mentionne ceci : « Les pertes causées par les manipulations et surtout l’immensité du réseau de recyclage engendrent la plupart des fuites en hélium. Dès qu’on a un bris, nos capteurs qui enregistrent les données physiques du système comme la pression et le débit d’évaporation de l’hélium nous avertissent; le seul problème, c’est qu’on ne peut pas toujours savoir l’endroit exact qui fuit. On doit donc fréquemment se promener avec des détecteurs d’hélium pour trouver la source. Malheureusement, c’est un facteur hors de notre contrôle. C’est un peu pour cette raison qu’on surveille le réseau même les fins de semaine. »

Néanmoins, ça n’empêche pas l’équipe technique de produire du contenu éducatif pour sensibiliser les utilisateurs à la bonne cause :

Développement durable

Avec l’instabilité du marché de l’hélium, plusieurs centres de recherche se voient contraints de réviser leur plan d’action pour s’approvisionner. De leur côté, l’Institut quantique et le Département de physique de l’Université de Sherbrooke s’assurent une certaine sécurité financière à long terme avec leur système de recyclage. Alors que d’autres doivent revoir leur consommation à la baisse en raison du prix exorbitant de l’hélium, l’IQ n’a pas vraiment ce problème : la réutilisation efficace de l’hélium dans les laboratoires économise déjà une grande portion de cette ressource rare. D’ailleurs, l’hélium étant extrêmement coûteux à transporter autant en argent qu’en logistique, avoir l’option de limiter les frais de transport et d’achat augmente le financement disponible à investir dans les projets de recherche.

En tout, le Département de physique encaisse une minime perte de 5 % sur ses 50 000 litres consommés annuellement. De surcroît, la majorité des pertes enregistrées sont dues à l’immensité du réseau de recyclage, aux bris mécaniques et à l’erreur humaine. Il faut savoir que l’hélium est minuscule au niveau moléculaire; la moindre fissure dans la tuyauterie et le gaz s’échappe rapidement.

Il est difficile de se prémunir contre tout imprévu, mais avec une équipe d’experts qui surveille l’équipement à toute heure de la semaine et un système de recyclage dernier cri, l’Institut quantique et le Département de physique sont bien placés pour se vanter d’être indépendants du fragile et volatil marché de l’hélium.

Pour des informations supplémentaires sur le processus de recyclage, vous pouvez visionner ce petit reportage de Robin Renaud :

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