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15 décembre 2020 Jessica Blakeney
Il est désigné Fellow de l’APS pour sa contribution significative au domaine

Claude Bourbonnais et les supraconducteurs organiques

Pr Claude Bourbonnais

Photo : Michel Caron - UdeS

Depuis le début des années 80, le Pr Claude Bourbonnais consacre ses recherches aux supraconducteurs organiques. Il fait ses premières contributions au domaine lors de son doctorat en cotutelle au laboratoire de physique des solides (LPS) à Orsay en France et à l’Université de Sherbrooke. Ses recherches ont mené à une nouvelle compréhension du mécanisme de supraconductivité en présence de magnétisme. L’impact de cette recherche n’était pas limité aux conducteurs organiques : elle est aujourd’hui appliquée à une série de nouveaux matériaux. Le dévouement du Pr Bourbonnais lui a mérité une nomination en tant que Fellow de l’American Physical Society (APS), plus spécifiquement pour ses contributions novatrices dans le domaine de la théorie des conducteurs et des supraconducteurs à basse dimensionnalité. Dans le cadre de cette prestigieuse nomination, le chercheur, professeur et co-directeur du Département de physique nous parle de son domaine.

Ses contributions au domaine

Les conducteurs organiques appartiennent à une nouvelle classe de matériaux qui ont émergé au cours des années 70. Ces matériaux moléculaires peuvent former des cristaux grâce à l’empilement régulier de grandes molécules planaires organiques qui en font des réalisations approchées de systèmes unidimensionnels. « On serait tenté de croire que les matériaux organiques sont plutôt périssables ou encore pliables, comme dans de nouvelles générations d’écrans, mais ils peuvent être aussi cristallins et être d’excellents métaux présentant une variété tout à fait remarquable d’états de la matière, dont la supraconductivité, c’est-à-dire de conduire le courant électrique sans pertes. La supraconductivité organique a été découverte à la fin de 1979 par le groupe du Pr Denis Jérôme au LPS.  Mes contributions dans ce domaine se situent au niveau de la modélisation théorique, visant une meilleure compréhension des expériences conduites sur ces matériaux », partage le Pr Bourbonnais.

« Comme l’APS est une grande association de physiciens américaine regroupant des dizaines de milliers de membres à travers le monde, le fait que mes travaux soient reconnus m’indique qu’ils ont eu des retombées non seulement dans le domaine des conducteurs à basse dimensionnalité organiques, mais au-delà, dans d’autres classes de supraconducteurs tout aussi non conventionnels qui ont été découverts par la suite, mais qui présentent à bien des égards une problématique similaire », ajoute-t-il.

Les supraconducteurs organiques figurent parmi les toutes premières catégories de matériaux qui ont forcé les physiciens à changer leur façon de penser face à la supraconductivité. Effectivement, la proximité observée entre une certaine forme de magnétisme, connue sous le nom d’antiferromagnétisme, et la supraconductivité était quelque chose qui bouleversait les idées reçues et n’avait jamais été vu auparavant : « On pensait que ces deux états de la matière s’excluaient l’un l’autre et qu’ils ne pouvaient pas se tolérer. Et dans ces conducteurs à basse dimensionnalité, la supraconductivité apparaissait à la surprise générale côte à côte avec l’antiferromagnétisme. On a découvert par la suite que cette parenté d’états de la matière se retrouvait dans plusieurs séries de nouveaux matériaux supraconducteurs autant organiques qu’inorganiques. »

L’évolution du domaine des supraconducteurs organiques

Le domaine des supraconducteurs organiques a évolué rapidement. Au début, ces matériaux étaient extrêmement populaires puisqu’ils étaient parmi les premiers à montrer des propriétés non conventionnelles. On y découvrait de plus une richesse remarquable de nouvelles phases, de nouveaux matériaux, etc. Quand les oxydes supraconducteurs, les cuprates, ont été découverts dans la seconde moitié des années 80, on a vécu une certaine migration de chercheurs attirés par la haute température critique de ces derniers.

Cependant, le domaine des supraconducteurs organiques a continué d’être un précurseur en physique de la matière condensée avec des contributions bien souvent en avance sur les autres séries de matériaux : « On découvrait de nouveaux matériaux et avec eux certaines nouvelles caractéristiques apparentes, alors qu’elles étaient bien souvent déjà connues dans les supraconducteurs organiques. J’ai consacré l’essentiel de ma carrière à l’interprétation des données expérimentales qui étaient inhabituelles, des effets ou des propriétés physiques dites non conventionnelles, non visibles dans les matériaux plus traditionnels comme les métaux ordinaires où elles sont plutôt bien comprises. C’est ce questionnement soulevé par les données de l’expérience qui m’a constamment motivé à développer de nouvelles approches théoriques et ainsi contribuer à une meilleure compréhension de ces systèmes au cours des années. »  Ces interprétations des données expérimentales ont fait l’objet d’un grand nombre de publications.

Plus de 160 publications à son actif

Le Pr Bourbonnais compte jusqu’à présent plus de 160 publications à son actif, mais une série d’entre elles le rend particulièrement fier. Cette dernière, publiée au cours de l’année 1986 lors de son stage postdoctoral au LPS, en collaboration avec plusieurs chercheurs expérimentateurs et théoriciens dont le Pr Laurent Caron de l’Université de Sherbrooke, a mis la table pour plus de vingt années de recherches qui ont suivi. Cette série de travaux proposait une nouvelle formulation de l’approche théorique appelée « groupe de renormalisation », laquelle pouvait permettre une compréhension unifiée des mécanismes derrière la grande variété de phases observées dans les supraconducteurs organiques, dont la supraconductivité et l’antiferromagnétisme.

« Essentiellement, on prévoyait qu’une intrication de nature quantique entre le magnétisme et la supraconductivité était possible, mais à condition que l’appariement des électrons, responsable du phénomène de supraconductivité, s’effectue selon un schéma inhabituel. On s’est aperçus également que la technique du groupe de renormalisation proposée donnait la possibilité d’établir un lien très clair entre toutes les phases observées dans ces matériaux organiques. »

Ainsi, tout en superposant plusieurs aspects explicatifs, cette série d’articles a su proposer un nouveau formalisme applicable aux données expérimentales. « L’important pour moi à la base, ce sont les résultats issus de l’expérience, c’est ce qui a motivé la mise sur pied de cette nouvelle formulation du groupe de renormalisation. Son application à ces matériaux fut un succès. » Aujourd’hui, des approches similaires sont utilisées dans plusieurs autres secteurs de la physique des systèmes dits fortement corrélés. Cette reconnaissance de Fellow de l’APS vient de cette contribution avant-gardiste à l’époque, une proposition reconnue aujourd’hui comme une approche fiable particulièrement adaptée à la description des supraconducteurs de basse dimensionnalité.

Le mystère de la phase métallique

Le Pr Bourbonnais continue ses recherches sur la problématique des supraconducteurs organiques tout en se focalisant sur l’état métallique conducteur qui précède l’état supraconducteur.

« Dans la phase métallique précédant l’apparition de la supraconductivité, les organiques présentent un comportement résistivité électrique plutôt étrange, mais complètement similaire à celui observé dans les cuprates supraconducteurs à haute température critique. Ce que l’on soupçonne être à l’origine de ce comportement étrange est cette interaction entre magnétisme et supraconductivité, laquelle influencerait les processus de collisions responsables de la résistivité électrique à haute température dans la phase métallique. C’est un problème difficile qui intéresse plusieurs chercheurs à travers le monde, et en particulier à l’Université de Sherbrooke ! Les théoriciens comme André-Marie Tremblay et David Sénéchal, et les expérimentateurs des groupes de Louis Taillefer et de Patrick Fournier s’intéressent activement à ce problème de l’état normal métallique des supraconducteurs à haute température critique. De mon point de vue, les organiques peuvent tirer leur épingle du jeu puisqu’ils sont, de par leur nature quasi unidimensionnelle, relativement plus simples à traiter mathématiquement et donc à modéliser, de sorte que l’on peut potentiellement apprendre plus vite à partir de matériaux organiques », partage-t-il.

Malgré le chemin parcouru et les succès rencontrés, plusieurs zones d’ombre demeurent dans ces matériaux. Le Pr Bourbonnais souhaite percer le mystère de la phase métallique, thème qui fera partie de ses recherches des prochaines années.

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