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Environnement et développement équitable

L'économie de demain, écologique et coopérative?

Laure Waridel, sociologue et auteure

Les crises nous propulsent hors de nos zones de confort et d'indifférence. Elles nous forcent à remettre en question certains prêt-à-penser et ultimement nos actions. Malgré leur connotation négative, les grandes crises sont souvent porteuses de changements tant dans nos vies personnelles qu'à l'échelle de la société.

Que l'on parle d'économie, d'environnement, de justice sociale ou de politique, le mot crise n'est jamais très loin en ce moment. Et il ne s'agit pas toujours de gonflements médiatiques, loin de là. Prenons l'exemple de la faim, symptôme d'un mal à la fois économique et social.

Malgré l'abondance de nourriture sur la planète, un milliard de personnes ont faim, soit plus d'une personne sur sept. Échec politique net. Même dans un pays aussi riche que le Canada, les banques alimentaires répondent difficilement aux demandes, en hausse de 18 % depuis 2008. Il ne suffit plus d'avoir un travail pour sortir de la pauvreté. Les working poors, comme on les appelle aux États-Unis, sont de plus en plus nombreux.

Ils cumulent les boulots sans parvenir à sortir du cercle vicieux de la pauvreté, souvent exacerbé par des dettes étouffantes qui, elles, nourrissent les banques. Ces dernières se sont d'ailleurs rapidement remises de la crise après y avoir entraîné l'économie entière puis siphonné les États. Alors que les citoyens les plus pauvres crient famine au prix de leur santé et de leur dignité, les grandes institutions financières distribuent de nouveau des millions à leurs hauts dirigeants.

La planète ne tourne pas juste. Ce n'est qu'un exemple.

Un capitalisme coopératif?

Avec la reprise, on pourrait croire à un retour à la normale. Rien n'est moins certain, selon un nombre grandissant d'experts comme l'économiste Noreena Hertz, professeure à la Judge Business Schoolde l'Université de Cambridge. Selon elle, les conditions actuelles sont propices à l'émergence d'un nouveau modèle économique basé sur d'autres valeurs que les marchés auto-réglementés. « Nous nous trouvons à la croisée des chemins, écrit-elle dans le The Times1. Les chefs d'entreprise ou de gouvernement sont placés devant un choix. Ils peuvent adopter l'idée de coopération afin de protéger notre environnement et nos concitoyens. Ou bien ils peuvent s'engager dans la voie du pur égoïsme et de la loi de la jungle. »

De tels propos ne sont plus l'apanage de la gauche, à entendre le président français Nicolas Sarkosy : « Si nous ne voulons pas que notre avenir, celui de nos enfants et des générations futures, soit semé de catastrophes financières, économiques, sociales, écologiques et, par conséquent, humaines, nous devons changer nos manières de vivre, de consommer, de produire. Nous devons changer les critères de nos organisations sociales, de nos politiques publiques. Chacun pressent qu'une formidable révolution nous attend. »

Il s'agit d'un extrait de la préface du livre Richesse des nations et bien-être des individus, rédigé par les Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz et Amartya Sen à la suite de leurs travaux au sein de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social. Celle-ci a justement été mandatée par Nicolas Sarkosy pour réfléchir à la pertinence d'indicateurs économiques comme le PIB. Elle s'est penchée sur le développement d'autres indicateurs qui mesureraient mieux le bien-être des populations en protégeant l'environnement.

Est-ce dire que nous sommes à l'aube d'un changement de paradigme? À voir se multiplier les initiatives dans tous les milieux et sur tous les continents, force est de constater que la réflexion et l'action sont maintenant bien engagées. Des ruelles qui se verdissent aux cours enseignés à la London School of Economics en passant par les politiques de développement durable de l'Europe, de l'Université de Sherbrooke ou de la ville de Portland, sans oublier la multiplication des coopératives, la croissance de l'investissement responsable et du commerce équitable : toutes ces initiatives démontrent que le vent tourne. Nous en savons trop pour retourner en arrière.

La question est de savoir si nous avancerons assez vite pour éviter le pire, déjà subi par les plus pauvres. Il nous faudra du courage et de l'audace pour créer une économie du peuple, par le peuple et pour le peuple sur une planète de plus en plus fragile.

1. The Times, 25 février 2009