Sommets Vol. XX No 1 - Été 2007

DOSSIER LEADERSHIP
 

«Prendre le temps d’aller vite»

Le slogan des TGV en France a profondément marqué le Dr Jean-Bernard Trudeau. Sa mission : appliquer l’expression à notre système de santé et revenir à une médecine plus humaine.

Par BINH AN VU VAN

«Prendre son temps.» L’expression revient une cinquantaine de fois dans la conversation. Le Dr Jean-Bernard Trudeau parle lentement, formulant avec précaution chacune de ses phrases. «Prendre le temps de communiquer avec les patients ou avec les cadres, c’est gagner du temps. Quand on ne le fait pas, le temps nous rattrape d’une manière d’une autre.»

Mais à voir son parcours, on se demande bien comment il a le temps de remplir toutes ses obligations. Directeur des services professionnels et hospitaliers de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, le Dr Trudeau siège à une multitude de conseils d’administration. Président de l’Association médicale du Québec, il siège également au Bureau du Collège des médecins et aux Impatients, un regroupement qui fait la promotion de l’art thérapeutique. Il a aussi prêté main-forte à des organismes gouvernementaux, parapublics et communautaires, à des associations professionnelles et à bien d’autres encore.

  Le Dr Trudeau
Le Dr Trudeau mène depuis des années une lutte acharnée contre la bureaucratie dans les organismes de santé. Morceau par morceau, il démonte les engrenages du système en priorisant les besoins des patients.

Un agent de changement

Tous les mardis, le médecin devenu administrateur rencontre des patients : il veut rester en contact avec la profession. Sur sa carte professionnelle, en dessous de son titre, on remarque une autre de ses fonctions : «médecin-examinateur».Mais il pourrait aussi bien y être inscrit «père des médecins examinateurs», car c’est le Dr Trudeau qui est à l’origine de ce concept médical. Le médecin examinateur est responsable d’étudier les plaintes liées à la qualité des actes médicaux, dentaires et pharmaceutiques, et de faire des recommandations pour améliorer la qualité des soins. Selon le Dr Trudeau, le médecin-examinateur agit aussi comme «un champion des relations médecins-patients». «C’est une  approche positive, dit-il. C’est saisir les plaintes  comme des occasions de changement.» En apparence  simple, la mesure ajoute beaucoup d’humanité aux soins médicaux. «J’ai fait la preuve qu’on pouvait changer les choses et les lois ! Depuis 1995, la loi impose que tous les établissements de santé désignent un médecin-examinateur.» Son idée a même été exportée au Brésil, qui a également modifié ses lois. Jean-Bernard Trudeau, c’est connu, est un «agent de changement». Lui se qualifie plutôt de spécialiste «du gros bon sens». Est-ce parce qu’il voit plus clair que d’autres? «Je prends simplement le temps de voir plus clair.»

Miser d’abord sur les compétences humaines

En tant que gestionnaire, le Dr Trudeau mise sur la communication. «Je m’assure que les gens comprennent bien ce que je veux exprimer. Il faut communiquer, au-delà des conflits et des insatisfactions. J’essaie toujours d’être factuel. Je suis gentil de nature mais dur avec les problèmes.» C’est aussi cette communication qui allège le poids des responsabilités. «Plus on est honnête envers les collègues,moins les responsabilités apparaissent lourdes. Je donne beaucoup d’autonomie à mes cadres et en même temps j’exige qu’ils soient responsables.» Outre la communication, c’est sa vision unique qui lui permet de perdurer. «Je mise sur les compétences humaines. La société valorise beaucoup la connaissance pure mais passe à côté du caractère humain. Nous sommes tellement pressurisés que nous sommes en train d’oublier les compétences humaines des travailleurs.»

C’est précisément pour cette raison que le Dr Trudeau mène depuis des années une lutte acharnée contre la bureaucratie dans les organismes de santé. Morceau par morceau, il démonte les engrenages du système en priorisant les besoins des patients. C’est de notoriété publique : il ne se laisse pas facilement décourager. «Notre système, en santé comme ailleurs, étouffe les leaders par sa bureaucratie.

Parfois nous les rabrouons ou nous les ridiculisons parce qu’ils ont émis une opinion. Quand je les repère, j’essaie d’aménager l’environnement pour qu’ils puissent “éclore”. Nous ne manquons pas de leaders. Ma théorie, c’est que nous ne les laissons pas émerger.»

Un des jeunes cadres de son équipe, Charles-Édouard Carrier, a été profondément touché par la confiance que lui a accordée le Dr Trudeau. «Partout ailleurs, on me disait que j’étais trop jeune et que je manquais d’expérience, raconte-t-il. Le Dr Trudeau a vu en moi un potentiel et m’a mis à l’épreuve. Dès mon entrée en fonction, il a pris tout le temps nécessaire pour m’assister dans ce défi, sur les plans personnel et professionnel.» Quelques mois plus tard, la nouvelle recrue pilotait avec succès des dossiers majeurs.

Il faut savoir que le Dr Trudeau a commencé sa carrière très jeune. À 22 ans, il en a tiré les leçons qu’il enseigne aujourd’hui. «J’ai dû compenser mon manque de crédibilité lié à l’âge en développant mes capacités naturelles de communication. J’ai ainsi pu gagner la confiance des gens.» Près de 25 ans plus tard, le médecin est honoré par deux prix qui l’émeuvent beaucoup : le prix Hector-L.-Bertrand de l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux et le Prix de leadership médical décerné par l’Association des hôpitaux du Québec. Tous deux sont attribués par les pairs, l’un pour l’administrateur, l’autre pour le médecin.

Juste avant de quitter le bureau du Dr Trudeau, je jette un coup d’oeil à ses dernières publications — oui, il trouve le temps d’écrire! Il est 19 h. Malgré cette heure tardive, Jean-Bernard Trudeau «prend le temps» qu’il faut pour me déposer à la station de métro la plus proche, avant de revenir au bureau pour terminer son travail.

 

UTILISEZ LES FLÈCHES DE NAVIGATION

OU FERMEZ CETTE FENÊTRE POUR
RETROUVER LE SOMMAIRE