Sommets Vol. XIX No 1 - Hiver 2006

 

 

L'éthique, là où ça compte

par Sylvie Couture

Le nom de Sheila Fraser, la vérificatrice générale du Canada, est gravé dans notre mémoire collective depuis qu'elle a dénoncé les pratiques douteuses qui ont mené au désormais célèbre scandale des commandites. Le nom de Renaud Lachance, son homologue au Québec, est aussi de plus en plus connu, mais pas pour les mêmes raisons.
 

Photo de Renaud Lachance
Renaud Lachance
Vérificateur général du Québec
Fiscalité 1989

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Si on lui parle du scandale des commandites, espiègle, il s'amuse en formulant à la fois les questions et les réponses : «Si j'aimerais découvrir de telles pratiques? Non. Si je les dénoncerais? Oui. Si je suis en compétition avec Sheila Fraser? Non!» Le vérificateur général du Québec ne manque pas d'humour, qualité rare chez les gens qui ont la lourde tâche de scruter les chiffres à la loupe et d'y déceler la moindre trace d'anomalies. Mais Renaud Lachance n'est pas un vérificateur comme les autres.

Le vérificateur général du Québec relève exclusivement de l'Assemblée nationale qui le nomme pour un mandat de dix ans, non renouvelable. Sa nomination doit être appuyée par les deux tiers des membres; sa fonction repose sur des critères d'indépendance, d'objectivité et d'exemplarité. «Inutile de dire que les candidatures sont épluchées par tous les partis», souligne celui qui est entré en fonction en août 2004. Son rôle s'apparente à celui d'un vérificateur externe qui informe le conseil d'administration et les actionnaires d'une entreprise des gestes de la direction. Le vérificateur général informe pour sa part l'Assemblée nationale de la gestion des fonds et des biens publics dans les ministères et organismes gouvernementaux. Il s'agit d'une organisation qui détient un budget de 20 millions et qui compte quelque 230 employés. Le mandat du vérificateur général inclut l'attestation financière, la vérification de la conformité des opérations et l'optimisation des ressources. Il analyse les états financiers du gouvernement et, deux fois l'an, il dépose son rapport et fait ses recommandations.

Comptable, fiscaliste et économiste, Renaud Lachance se définit avant tout comme un professeur d'université, loin du profil traditionnel des vérificateurs financiers provenant de grands cabinets comptables. «Je crois qu'on cherchait quelqu'un de différent, qui n'était pas associé à la fonction publique et qui pouvait jeter un regard neuf sur les fonctions du vérificateur général, plus particulièrement sur l'optimisation des ressources, un champ relativement nouveau où l'on vérifie les moyens mis en place pour gérer de façon économique et efficiente et pour mesurer l'efficacité des activités.»

Le choix de la rigueur

Après ses études en comptabilité et un début de carrière dans une firme comptable, Renaud Lachance se tourne rapidement vers l'enseignement. Fasciné par les affaires publiques et plus particulièrement par la taxation, il fait une maîtrise en fiscalité à l'Université de Sherbrooke et une maîtrise en économique à la London School, en Angleterre. Après quelques années d'enseignement aux HEC, curieux de voir de l'intérieur les activités fiscales du gouvernement, il prend une année de congé non rémunéré pour travailler au ministère des Finances du Québec. À son retour, il partage sa vision non seulement avec ses étudiants, mais également avec le grand public en commentant dans les médias les mesures fiscales, les budgets, les résultats financiers et autres activités financières du gouvernement. «C'est probablement ce point de vue universitaire qu'on recherchait quand on m'a proposé le poste de vérificateur général «, explique-t-il.

D'abord étonné par cette offre, il se dit aujourd'hui comblé. Grâce à ses fonctions, il peut satisfaire sa fascination pour les affaires publiques. «Tous les jours, des dossiers d'affaires publiques me passent entre les mains. Mieux encore, l'analyse de ces dossiers se fait à travers des démarches de vérifications très rationnelles, très rigoureuses, ce qui plaît à l'universitaire que je suis!»

Peut-on vraiment parler d'éthique en parlant des chiffres? Selon la rumeur populaire, on peut leur faire dire n'importe quoi… «Les chiffres ne sont pas une science exacte. Ce qui importe, c'est de s'assurer que les chiffres donnent un juste portrait de la situation. Il y a toujours des choix à faire; j'ai choisi celui de la rigueur», conclut-il.

L'administration gouvernementale

Renaud Lachance considère que le Québec est à l'avant-garde en matière d'éthique dans son administration gouvernementale. Il attribue cette position enviable au travail des différents intervenants de l'appareil gouvernemental à la suite du dépôt, en 2001, des résultats d'une vérification du vérificateur général sur l'éthique au sein de l'administration gouvernementale québécoise. Cette vérification avait pour but d'évaluer dans quelle mesure les ministères et les organismes étaient dotés d'une infrastructure adéquate en matière d'éthique. S'inspirant d'un modèle de gestion de l'éthique de l'Organisation de coopération et de développement économiques, elle recommandait une série de mesures pour combler les lacunes repérées.

En 2005, dans l'un de ses premiers rapports en tant que vérificateur général, Renaud Lachance faisait le suivi de ce dossier. «Toutes les recommandations ont suscité des gestes concrets et dans 86 % des cas les progrès réalisés sont satisfaisants, précise-t-il. C'est dire comment les recommandations ont été prises au sérieux!» Parmi les gestes concrets, il souligne le dépôt à l'Assemblée nationale de la Déclaration de valeurs de l'administration publique québécoise. «Cette déclaration énonce un ensemble de valeurs fondamentales communes qui servent d'assises à tous les membres de l'administration publique. Il s'agit de la loyauté, du respect, de la compétence, de l'impartialité et de l'intégrité.»

Plusieurs codes d'éthique ont aussi été adoptés dans les ministères et organismes en fonction de leurs caractéristiques propres. Des activités de formation et de diffusion de l'information ont été mises en place, et un poste de secrétaire général adjoint à l'éthique a été créé. Pour Renaud Lachance, l'éthique est une bonne façon de contrer les comportements non appropriés. «Nous avions déjà un ensemble de normes et de règles. Avec l'éthique, nous revenons à des valeurs fondamentales qui, avec le temps, nous permettront de développer une culture.»

Des résultats positifs

Le dévoilement de ces résultats a réjoui le vérificateur général. «C'est bien de présenter des résultats positifs parfois, insiste-t-il. Depuis un certain nombre d'années, nous déterminons les sujets en fonction des déficiences appréhendées. Comme ces dossiers nécessitent généralement une grande amélioration, les gens ont l'impression que tout va mal. Dans mes prochains rapports, je souhaite donc souligner le plus souvent possible des exemples de bonnes pratiques de gestion dans le secteur public.»

En choisissant lui-même le contenu de son rapport, le vérificateur général doit aussi faire face à des questions éthiques. «J'accorde beaucoup d'importance à la notion d'indépendance dans mes fonctions. J'ai le devoir d'informer les parlementaires et la population sur les sujets qui les préoccupent.»

Des commentaires positifs, des sujets près des préoccupations des citoyens… Peut-être que Renaud Lachance deviendra aussi populaire que Sheila Fraser, mais pas pour les mêmes raisons!
 

Vox pop

L'éthique est-elle une responsabilité sociale ou individuelle?

La personne étant un être sociable qui vit au sein de groupes, l'éthique personnelle est largement le fruit de la socialisation.

R. Lachance

 

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