Sommets Vol. XIX No 1 - Hiver 2006


L'éthique entre la vie et la mort

par Sylvie Couture

Pour Gilles Voyer, l'éthique n'est pas une science, c'est un art. «L'éthique, c'est l'art de choisir les attitudes et les comportements qui favorisent l'épanouissement des humains. Comme un art, elle doit venir de l'intérieur de nous.» Artiste accompli, il détient non seulement les secrets de l'art de vivre, mais également ceux de l'art de mourir.

 

Photo de Gilles Voyer
Gilles Voyer
Directeur des services professionnels et hospitaliers
Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke

Médecine 1974
Droit de la santé 1990
Philosophie 1996

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Son rire franc, sans retenue, se propage dans la pièce comme une douce folie que l'on souhaite contagieuse. Sur un ton de confidence, Gilles Voyer traite avec le sourire des sujets les plus difficiles, il parle de la vie et de la mort, sans distinction, puis sa voix mélodieuse nous transporte dans une allégorie haut de gamme. «Tout au long de notre vie, nous composons une sonate, notre sonate; c'est l'œuvre de notre vie! Nous la transformons, nous l'améliorons et nous l'interprétons au quotidien. Même avec des variations, des oublis et quelques fausses notes, elle nous ressemble. C'est lorsqu'elle ne nous ressemble plus que la vie nous échappe...»

Directeur des services professionnels et hospitaliers à l'Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke, Gilles Voyer est certes un «mélomane» averti. Sa grande expérience, son ouverture à l'égard des gens et sa formation en médecine, en droit de la santé et en philosophie en font une référence en matière d'éthique des soins en fin de vie et un conférencier fort apprécié. Disciple d'Aristote, il s'inspire de son maître à penser pour imaginer une société empreinte de justice et de quête du bonheur. Pour lui, l'éthique repose sur une manière d'être et vise l'excellence, qui serait tout simplement le bonheur. L'éthique nécessite également le jugement pratique, pour faire le meilleur choix possible, et le savoir de l'expérience humaine, qui inclut les valeurs, les principes, les règles et, en particulier, les trois grands interdits de l'humanité, soit l'homicide, la manipulation et le mensonge.

Acharnement et persévérance

Lorsqu'elle s'intéresse aux soins de santé, l'éthique cherche ce qui est raisonnable pour répondre à un besoin précis d'une personne. Des soins raisonnables sont ceux qui aident à mieux vivre, qui sont cliniquement efficaces, qui sont plus bénéfiques que nocifs, qui ne sont pas disproportionnés et qui visent une qualité de vie. «La notion de qualité de vie doit être relative à l'histoire de vie du malade; ce n'est pas pareil pour tout le monde, précise-t-il. Aussi faut-il que les soins prodigués soient le fruit d'une décision commune du soignant et du soigné.»

Pour les soins en fin de vie, le raisonnable prend tout son sens dans la distinction entre l'acharnement et la persévérance. «Il n'est pas raisonnable de s'acharner, mais il est raisonnable de persévérer «, indique le médecin. Pour lui, s'acharner consiste à insister pour fournir des traitements inutiles, soit des traitements inefficaces ou disproportionnés par rapport aux résultats prévisibles. La disproportion est la principale dimension qui distingue la persévérance de l'acharnement. Elle est relative à un malade en particulier et doit tenir compte du moment de la prise de décision. Enfin, elle doit être évaluée en fonction de ce qui a un sens dans la perspective de vie du malade. «A-t-il terminé ou non sa sonate intérieure? Souhaite-t-il encore la partager avec nous?» murmure le docteur Voyer avec tout le respect que mérite ce questionnement. Comment en être sûr? «L'absence de dialogue avec le malade est un bon indicateur», soutient-il. Oui mais encore? «Si la moindre trace de doute subsiste, il faut persévérer.»

Euthanasie et soins palliatifs

Et qu'est-ce que l'expérience enseigne à propos de l'euthanasie et des soins palliatifs? «Qu'il n'est pas raisonnable de pratiquer l'euthanasie, mais qu'il est raisonnable de fournir d'authentiques soins palliatifs.» Ici encore, la notion de «raisonnable» s'impose, mais il ne faut pas se méprendre. Le docteur Voyer considère que l'euthanasie transgresse l'un des grands interdits de l'humanité, l'homicide, puisqu'elle est pratiquée dans l'intention primaire de causer la mort même si l'intention secondaire est de soulager. Aussi insiste-t-il sur le concept d'authentiques soins palliatifs. «L'intention primaire des soins palliatifs est de soulager la douleur même si la cause secondaire peut être la mort. L'absence de l'intention de tuer et la causalité seconde sont les deux critères qui distinguent les soins palliatifs de l'euthanasie.»

Pour lui, les soins palliatifs se cristallisent autour de la notion de douleur que l'on soulage généralement en donnant de la morphine. «Un mot qui fait peur lorsqu'on l'associe à la "mort fine". Pourtant, un dosage équilibré de morphine a peu d'impact sur la durée de vie.» Si les soins palliatifs peuvent soulager la douleur, peuvent-ils soulager la souffrance? «La souffrance est un mal d'être; il n'y a pas de douleur physique, même s'il y a une souffrance réelle. Dans certains cas, les soins palliatifs peuvent la soulager, mais nous connaissons encore bien peu le cerveau humain.»

Gilles Voyer n'est pas favorable à une législation qui autoriserait l'euthanasie, considérant qu'il faut plutôt réussir à donner de bons soins palliatifs. Et si on lui parle de liberté de choix et d'autonomie, il réplique : «Une personne n'est pas une île; elle fait partie de l'humanité. Ce n'est pas à elle seule de décider.» Mais peut-il y avoir des cas particuliers où l'euthanasie serait la meilleure décision? «L'expérience nous apprend que nous ne pouvons pas l'exclure totalement», conclut-il.

Soins et économie

Le docteur Voyer considère que la médecine n'a pas pour finalité de lutter contre la mort, mais bien d'aider à vivre. Il encourage le dialogue entre le soignant et le soigné et privilégie le recours à l'expérience humaine et au jugement pratique pour soigner de manière éthique. «En éthique, il faut tenir compte de toutes les réalités.»

Si on lui parle du coût des soins de santé, il n'hésite pas à dire que cela fait aussi partie des réalités, mais il déplore l'importance du discours économique : «La pire tare de notre monde, c'est d'être gouverné par des économistes. Pour eux, ce serait tellement plus simple s'il n'y avait pas d'humains!» Son rire envahit toute la pièce, puis il ajoute en reprenant son souffle : «Si on avait d'abord un discours éthique, peut-être qu'on n'aurait pas besoin de parler d'économie...»
 

VOX POP

L'éthique est-elle une responsabilité sociale ou individuelle?

Pour moi, l'éthique doit d'abord habiter chaque individu qui, solidairement, la transforme en une éthique collective.

G. Voyer

 

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