Sommets Vol. XVII No 2 - Printemps-été 2004


Si les chambres pouvaient parler…

par Catherine Labrecque

En entrant dans les résidences, Laurent Biron survole les lieux d'un regard amusé. Un coup d'oeil aux cases ou à la rampe d'escalier suffit pour déclencher une avalanche de rires qui semble dire : «Vous en voulez des souvenirs, j'en ai plein la tête!” On les sent se bousculer, puis ils dégringolent de sa bouche. En 1960, l'Université accueillait pour la première fois 460 étudiants dans ce que l'on appelait la Maison des étudiants, aujourd'hui les «anciennes résidences». Quatre ans plus tard, un jeune homme de 28 ans nommé Laurent Biron prenait la direction des résidences. Un gars de party, perçu un peu comme un grand frère à qui l'on demandait conseil. Il avoue que ceux qu'il appelle «mes résidants» lui en ont fait voir de toutes les couleurs pendant ses 24 années à ce poste. 

 


Laurent Biron
Psychologie des relations humaines 1978
Retraité
(1969 à 1997)
Services auxiliaires

 

Figure d'autorité et de discipline, Laurent Biron raffolait tout de même des situations drôles et cocasses. «Les tannants sont les plus attachants. D'une façon générale, je ne pouvais intervenir quand un mauvais coup se produisait, puisqu'il était déjà trop tard», admet-il, en pensant aux années pendant lesquelles il a voulu donner le meilleur de lui-même pour que les étudiants profitent d'un milieu de vie sain. Il nous remet dans le contexte : «Dans les années 1960-1970, les jeunes vivaient une crise de liberté. Le cégep n'existait pas, alors la plupart des jeunes quittaient le nid familial pour vivre en résidence. Ils agissaient souvent en enfants. C'était comme s'ils refusaient de vieillir.»

Le ménage et le reprisage

Davantage qu'un simple logement, les résidences représentaient pour Laurent Biron un véritable milieu de vie. Il se reconnaissait un rôle d'éducateur en plus de celui de gestionnaire des résidences. Il a dû aborder entre autres la question du ménage. Au départ, 21 femmes étaient engagées pour faire le ménage des 460 chambres. «Plusieurs de ces femmes ne se limitaient pas à passer l'aspirateur, à dépoussiérer les meubles et à faire les lits, mais elles ramassaient les vêtements et les rangeaient dans la penderie. L'une d'elles travaillait également comme couturière. Le soir, comme la couturière n'était pas là, ma secrétaire recevait des demandes de toutes sortes. Des gars lui disaient : j'ai une date ce soir, pourrais-tu repasser ma chemise, recoudre mon bouton? Je me disais, quand vont-ils devenir adultes? J'ai expliqué aux gars qu'ils allaient devoir faire leur part, puisqu'on abolissait progressivement le service d'entretien ménager. J'avais un argument de taille : cela éviterait une augmentation du loyer.»

Jusqu'à l'installation des cuisinettes en 1979, les résidants devaient pendre leurs repas à la cafétéria. Laurent Biron devait alors surveiller le respect du règlement. Plusieurs dérogeaient à la règle et, pour conserver le lait et le beurre, s'inventaient un réfrigérateur de fortune : entre les deux fenêtres! Des serviettes amassées sous la fente de la porte bloquaient les odeurs! «En 1979, les résidants ont reçu des cours afin d'utiliser les cuisinettes enfin mises à leur disposition. Au programme : comment préparer des repas nourrissants, peu coûteux et rapides», affirme celui qui faisait partie des participants. Il paraît que certains auraient aimé que «non odorants» fasse aussi partie des critères!

La Maison des étudiants était au départ réservée aux gars. Des pressions ont été faites pour qu'elle accueille des filles lorsque leur nombre a augmenté sur le campus. Un mur devait séparer le corridor des filles de celui des gars. «Le mur a été érigé et les gars l'ont baptisé l'hymen. Au début des années 1970, pendant une nuit de carnaval, ce mur a été enlevé. Les gars ont pu dire que l'hymen avait disparu! On n'a jamais retrouvé le mur et on ne l'a jamais remplacé. Bien sûr, les coupables n'ont jamais été démasqués», explique-t-il. Et qu'a changé l'arrivée des filles aux résidences? Les gars ont modifié leur comportement… en mieux!

Le pouce vert

Laurent Biron se souvient de la période des fêtes de l'année 1980. Dans un élan de générosité, il a offert aux résidants de déplacer leurs plantes dans son bureau afin qu'il puisse les arroser pendant les vacances des fêtes. Lui qui pensait arroser quelques plantes une ou deux fois! «Mon bureau était plein à craquer de plantes de toutes sortes; il devait y en avoir plus de 200! Certaines personnes avaient même laissé leurs instructions! Imaginez le fouillis! Je suis finalement passé au bureau tous les jours pendant ces deux semaines de vacances.»

Le jardinier malgré lui a aussi pris un peu plus d'expérience : «Un jour, un professeur de biologie m'a montré un plant de pot et m'a demandé si j'avais déjà vu cela. J'ai dit oui, il y en a un parmi les plantes que j'arrose! J'ai par la suite fait un lien : le plant repéré était déposé chaque jour près de la fenêtre au bout du corridor des chambres. Le propriétaire voulait qu'il bénéficie d'une quantité de soleil maximale! J'ai dû lui demander de le faire disparaître.»

Le dévouement de Laurent Biron à l'égard des résidents est inestimable. Plusieurs gestes en témoignent : «À la semaine de bienvenue, en septembre 1975, j'ai souhaité gâter les nouveaux résidents. J'ai mis la main à la pâte et préparé à la maison pas moins de 60 douzaines de beignes!» raconte-t-il. Une expérience qu'il n'a pas recommencée...

laubiron@abacom.com

 


 


Jean-Pierre Bordua
Commerce 1973
Propriétaire de la Galerie d'art Borduas

La mère

«En 1969, j'ai hérité d'un saint-bernard. En temps normal, il restait dans ma Volkswagen; c'était sa niche. Quand il faisait trop froid, il habitait avec moi dans ma chambre! Lorsqu'il avait soif, il allait à la salle de bain et quelqu'un lui levait le siège des toilettes pour qu'il s'abreuve! Laurent Biron, que l'on appelait “la mère”, en avait connaissance officieusement. Je me souviens aussi du mur de la honte qui séparait les filles des gars, avec une porte verrouillée. On avait fait un trafic de clé pour que les gars puissent aller dans l'aile des filles!»

 

Yves Lebel
Commerce 1966
Propriétaire du Marché Métro Lebel, Saint-Pacôme

Distraction

«Je faisais partie du groupe d'étudiants qui ont démarré le Tombeau de BACUS. Nous sommes allés acheter des tables et des chaises à Montréal pour meubler la boîte à chansons. J'étais aussi impliqué dans les activités du carnaval étudiant. Pour inciter les gars des résidences à y participer, nous les réveillions le matin au son de la trompette, d'une scie à chaîne ou en criant. Comme c'était interdit dans les résidences, d'autres résidants distrayaient Laurent Biron à son bureau pendant ce temps!»

 

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