Sommets Vol. XX No 1 - Été 2007

DOSSIER LEADERSHIP
 

L’univers en tête, l’avenir entre les mains

Sa mission? Comprendre la nature qui nous entoure en repoussant les frontières d’une science méconnue, la physique quantique.

Par BINH AN VU VAN

Alexandre BlaisDans le minuscule bureau d’Alexandre Blais s’empilent les publications et les papiers barbouillés d’équations. Sur le mur, un tableau est bariolé de codes bizarroïdes. Des lettres grecques dansent avec des indices et des exposants en tout genre. «Pour moi, cette ligne, c’est une ligne de transmission. Ça, c’est un bit quantique—les transistors des ordinateurs du futur», explique le professeur.

Un simple désir qui change le monde

Ce qui amène Alexandre Blais dans ce bureau tous les jours, c’est le simple désir de comprendre la nature. Sa carrière débute à peine mais ses derniers travaux comptent parmi les piliers de la recherche dans le domaine : ils sont à l’origine de plusieurs autres recherches dans le monde. En 2003, la revue Maclean’s a sélectionné Alexandre Blais parmi les 50 jeunes qui changent le monde. Lauréat de plusieurs bourses prestigieuses, auteur d’une succession d’accomplissements impressionnants, le trentenaire est déjà un joyau de la recherche au Canada.

Pourtant, le jeune chercheur en physique quantique ne semble guère se soucier du rôle qu’il joue dans le paysage scientifique mondial. Lorsqu’on lui parle de ses réussites, notamment de ses deux publications dans la prestigieuse revue scientifique Nature, le physicien se contente de murmurer : «C’est sûr que c’est le fun», avec un sourire entendu, le regard vers le sol.

On devine vite qu’il tire ses plus grandes satisfactions ailleurs. Encore enfant, à Sherbrooke, il démontait ses jouets et coupait les fils pour mieux les comprendre. Aujourd’hui, avec le même plaisir, il démonte la matière pour l’étudier. «C’est extraordinaire lorsque la théorie est validée en laboratoire. On est capable de prédire des comportements de la nature par des expériences qui n’ont jamais été faites.» Sa quête, Alexandre ne l’a jamais perdue de vue. «Au baccalauréat, j’ai choisi la physique parce que c’était ce qu’il y avait de plus fondamental. Tout revient aux lois de la physique.» Et plus particulièrement aux lois de la mécanique quantique, la physique associée au monde de l’infiniment petit, celui des particules et des atomes. Ces lois sont reconnues pour être celles qui décrivent le plus fidèlement la nature. «L’étrangeté de la physique et l’élégant formalisme mathématique m’ont immédiatement séduit. Des corps qui peuvent être à deux endroits au même moment, c’est complètement saugrenu, mais c’est la nature!»

La curiosité comme maître à penser

Cette informatique quantique qui passionne tant Alexandre Blais est une des «stars» de la science d’aujourd’hui. Plusieurs chercheurs du monde entier planchent en effet sur les ordinateurs du futur. Tirant profit des lois de la mécanique quantique, ces super machines pourraient permettre des opérations aussi puissantes qu’inimaginables sur nos ordinateurs actuels. Or, si le rêve scientifique semble maintenant accessible, on entrevoyait à peine la possibilité de construire de telles machines au moment où Alexandre Blais commençait sa maîtrise. Au pays, seulement deux chercheurs étudiaient le sujet. «Le doctorat a été un des moments les plus énervants de ma carrière. J’avais choisi de travailler dans un domaine où il y avait peu d’experts accessibles : la construction d’un ordinateur quantique. J’étais toujours nerveux lorsque venait le temps de trouver de nouveaux projets. Pratiquement rien n’avait été fait et il fallait que je trouve ma niche. Avec du recul, je peux dire que c’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver.»

À quoi le physicien doit-il sa réussite? Il s’estime simplement chanceux d’avoir misé sur un domaine marginal qui a soudainement explosé. Mais celui qui a été son directeur de recherche, le professeur André-Marie Tremblay, voit plutôt dans l’indépendance d’Alexandre la raison de sa réussite. «Contrairement à la plupart des étudiants, il avait ses propres idées. Il a saisi toutes les occasions et a su se construire son propre sujet de recherche. Il a été capable d’allier chimie, ingénierie et mathématiques. À la fin du doctorat, il avait déposé cinq demandes de brevet!!» Les travaux universitaires d’Alexandre ont inspiré un de ces collègues, Alexandre Zagofkin, qui a fondé l’entreprise technologique D-Wave, basée à Vancouver. Le physicien, quant à lui, a préféré le monde universitaire. «J’aime la présence des étudiants. Et la créativité et le dynamisme qu’elle apporte.»

Si certains le décrivent comme un passionné, Alexandre Blais admet en riant être un «compulsif, malheureusement». Ce papa d’un bébé de neuf mois dit avoir parfois de la difficulté à trouver l’équilibre travail-famille. Le soir et les fins de semaine, il replonge dès que possible dans ses équations. «Quand je fais quelque chose, je veux le faire jusqu’au bout et du mieux possible. Je suis incapable d’arrêter.»

Bien qu’il ait posé plusieurs jalons de la recherche relative à l’ordinateur quantique, la production d’une telle machine n’est pour lui qu’un prétexte. «Ce qui m’intéresse, c’est le processus et non l’aboutissement. L’ordinateur quantique, ce n’est qu’une raison pour mieux comprendre la mécanique quantique… et donc la nature.» Et même si cet ordinateur ne voyait jamais le jour, Alexandre Blais se sait déjà gagnant et ravi du voyage.

Pour en savoir plus sur les travaux d’Alexandre Blais : www.physique.usherbrooke.ca/blais


Le champ électromagnétique est utilisé
pour contrôler et mesurer les qubits supraconducteurs en mécanique quantique.

 

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