Sommets Vol. XVIII No 3 - Automne 2005


Je me fais ma télé!

Par Reno Fortin

Voici le portrait de jeunes créateurs qui travaillent dans le domaine du documentaire, de la fiction et de la télévision communautaire.

 

Photo de Stéphanie Lanthier
Stéphanie Lanthier
31 ans, Sherbrooke
Histoire 1998

Photo de Myriam Pelletier-Gilbert
Myriam Pelletier-Gilbert
31 ans, Saint-Adrien
Histoire 2002

 

Deux mille fois par jour

Deux mille fois par jour, il était une fois dans le nord les reboiseurs, c'est le titre d'un documentaire percutant sur la vie d'un groupe de jeunes de 18 à 25 ans qui, le temps d'un été ou parfois plus, s'isolent en Abitibi pour planter des arbres dans les forêts décimées par la coupe à blanc des grandes sociétés. Les réalisatrices, Stéphanie Lanthier et Myriam Pelletier-Gilbert, racontent une démarche éminemment personnelle.

Ce documentaire produit par Jacques Turgeon, de l'Office national du film, et par Alain Corneau, des Productions de la Chasse Galerie, veut pallier «l'absence de représentation cinématographique des reboiseurs dans les documentaires», témoigne Myriam Pelletier-Gilbert. Ce film de 85 minutes «se veut dans l'esprit de l'œuvre du documentariste Pierre Perreault, c'est-à-dire la rencontre d'une catégorie de gens que l'on ne voit jamais, pour construire la mémoire collective», renchérit-elle. Le film met l'accent sur la liberté d'action, mais aussi sur les paradoxes de la vie. «Pour moi, affirme Stéphanie Lanthier, c'est une action politique que de donner la parole aux gens de notre génération en région.»

Stéphanie et Myriam se sont rencontrées à l'Université de Sherbrooke. La coréalisation du court-métrage Amérisques et périls sur les arrestations arbitraires au Sommet des Amériques à Québec a cimenté leur relation amicale et professionnelle. Leur premier long-métrage, Deux mille fois par jour, a nécessité deux ans de travail. «C'est un documentaire fait par deux jeunes femmes qui sont profondément influencées par la télévision, par les dramatiques. Notre film est scénarisé comme une fiction avec un début, un milieu et une fin, sans narration», précise Stéphanie. «On a suivi des leçons de scénarisation avec Janette Bertrand. Elle nous a appris à questionner de jeunes individus», ajoute-t-elle. Le tandem a aussi reçu une aide précieuse : «Le réalisateur Robert Favreau nous a aidées énormément avec des petits trucs du métier et beaucoup d'encouragement», confirme Myriam. La coréalisation fut, selon Stéphanie, un échange égalitaire d'idées et de points de vue, nécessitant tout de même une certaine adaptation. «On se partageait le travail de réalisation selon les affinités développées avec l'un ou l'autre des personnages», indique Myriam.

La force de ce documentaire, c'est avant tout le propos. Les jeunes hommes et les jeunes femmes du Camp 105 dans le nord de l'Abitibi ne font pas que reboiser. Face à eux-mêmes, certains pour la première fois de leur vie, les reboiseurs trouvent autre chose que ces forêts dévastées.

Dans ce monde éloigné, qui tranche sur notre réalité, on mise aussi sur l'entraide. «Les jeunes dans notre film ne sont pas des individualistes, ils ont une forte individualité, nuance Stéphanie. Ils sont hypercollaborateurs.» Myriam Pelletier-Gilbert, qui fut elle-même reboiseuse, ajoute «qu'il existe une tension entre la compétition et l'entraide. Dans le planting, tu es toujours confronté à ça. Tu rencontres du monde de partout».

Il ne faut pas oublier que le reboisement est un travail difficile mais payant, comme le rapporte Myriam. «Le rapport à l'argent est quotidien. Chaque fois que tu plantes ton arbre, tu te dis «six cents et demi». Le travail à la pièce en forêt fait que tu oublies que tu te fais exploiter. Puis, tu finis par te rendre compte que tu nourris l'industrie quand tu plantes un arbre.» Le film aborde sans complaisance ni jugement la question de l'exploitation forestière. «Les reboiseurs sont-ils des victimes de l'industrie? Sont-ils des participants à ce massacre forestier? On peut en parler longtemps. Moi, j'adore ce boulot», affirme Myriam Pelletier-Gilbert.

Deux mille fois par jour se veut aussi le portrait musical d'une génération. Le menu oscille entre Jean Leloup et DJ Ram, en plus d'une musique originale qui vient ponctuer l'action. «On voulait faire un film musical, mentionne Stéphanie Lanthier. La musique composée pour le film est l'œuvre de deux amis, Michel Demers et Benoît Daoust, tous deux diplômés de l'Université de Sherbrooke.» Variée et bien dosée, la bande sonore donne au film un rythme et une énergie bien ancrés dans la réalité.

Stéphanie Lanthier et Myriam Pelletier-Gilbert ont filmé la vie. Elles ont également tiré de précieuses leçons au contact de cette jeunesse lucide. «J'ai beaucoup appris sur moi-même, affirme Stéphanie. Au lieu du pic et du harnais, j'avais une caméra et un sac à dos. Je me suis dépassée physiquement et intellectuellement. Mon discours politique prorégion est plus engagé. Je suis sortie de ce tournage avec des convictions plus fortes.» Pour sa part, Myriam constate que l'expérience lui a donné confiance. «J'ai pris le temps d'écouter les gens et d'avoir accès à une certaine vérité», résume-t-elle.

www.onf.ca/deuxmillefoisparjour

 

Photo de Mary Claude Savoie
Mary Claude Savoie
32 ans, Plessisville
Études françaises 1996

 

Contrepoids à la convergence

Avec la multiplication des chaînes spécialisées, le téléspectateur oublie parfois que la télévision communautaire au Québec poursuit sa route depuis plus de 30 ans. Mary Claude Savoie occupe depuis sept ans le poste de coordonnatrice à la Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec. La jeune femme est un bel exemple de ténacité. «Les télévisions communautaires autonomes sont des remparts offerts aux citoyens en matière de communication et d'information qui font contrepoids à la convergence», explique-t-elle.

La Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec, dont le siège social est à Plessisville, représente 46 télés et fonctionne avec un budget de 100 000 $ annuellement. «La recherche continuelle de financement est épuisante! La Fédération aurait besoin de 150 000 $, mais les acquis financiers n'existent pas dans le milieu communautaire», soutient Mary Claude.

La petite équipe de permanents répond tout de même à la mission de l'organisme : renseigner ses membres, les représenter et défendre leurs intérêts auprès des instances qui interviennent dans des dossiers qui les concernent. «Nous offrons également du soutien, de la formation et des outils de développement», précise-t-elle. Afin de solidifier la base, la Fédération possède un site Web et publie six fois par année le Bulletin de liaison, «un outil d'information, de promotion et de concertation qui est devenu un service incontournable», avoue la coordonnatrice. Chaque parution suscite de nombreux commentaires chez les membres.

Mary Claude Savoie demeure convaincue de l'importance de la télévision communautaire comme enjeu de société. « Si elle est bien ancrée dans son milieu, le public lui tendra la main naturellement», assure-t-elle. C'est pourquoi la Fédération revendique auprès des gouvernements une reconnaissance, un financement stable et récurrent, ainsi que l'accès aux ondes par les différentes technologies de diffusion.

Même si la télé communautaire ne joue pas dans les plates-bandes des grands réseaux, les médias privés sont souvent surpris de la place qu'elle occupe en région. «Certains ont même avoué ne jamais pouvoir réaliser autant avec si peu», indique Mary Claude.

Pour la jeune mère, ce travail correspond à ses valeurs : «Le respect et l'entraide sont très présents. Les gens qui oeuvrent dans le milieu communautaire et qui écoutent la télévision communautaire connaissent sa rentabilité sociale.»

www.fedetvc.qc.ca

 

L'après-Cannes

Le Festival de Cannes, vous connaissez? Le jeune réalisateur Anh Minh Truong n'y a jamais mis les pieds, mais il est bel et bien lauréat 2005 du prestigieux festival. Son court-métrage Mon oeil a été primé lors de la compétition en ligne Silence, on court!

Ce prix lui a permis d'obtenir une reconnaissance certaine et une première percée dans le grand marché montréalais. Déjà, la maison de production Cyclope l'a mis sous contrat pour réaliser des vidéoclips d'artistes québécois. «Je suis très chanceux, car normalement à mon âge, on transporte les bouteilles d'eau», raconte le jeune homme qui n'a pas peur des défis.

Anh Minh demeure toutefois modeste quant aux honneurs. «Ce qui m'attire en cinéma, c'est la difficulté du médium; j'aime être audacieux tout en restant accessible «, confie-t-il. Cet été, le lauréat a connu ses premières expériences professionnelles en télévision en réalisant des publicités pour le compte de l'Université de Sherbrooke et de la troupe des Turcs gobeurs d'opium. De plus, il planche sur une proposition torontoise de télésérie en anglais qui met en vedette des marionnettes et qui est destinée aux 18-25 ans. «On souhaite entrer en production à l'été 2006, le démo sera envoyé cet automne au MIPCOM à Cannes», assure-t-il.

Entre-temps, le jeune Vietnamien termine un baccalauréat en cinéma à l'Université Concordia à Montréal : «J'étudie à Montréal et je crée à Sherbrooke, mon réseau de contacts est ici.» Pour Anh Minh, le travail de création est toujours un acte de passion et d'instinct. Il réalise des films depuis qu'il a 17 ans.

On lui doit notamment C'est la faute à Darwin et La vie est bonne, une première carte de visite parue en 2002 et pour laquelle il garde une affection toute particulière : «C'est le film qui m'a mis sur la carte, le tout tourné en deux jours et monté en un mois.» Cette production lui a valu plusieurs marques de reconnaissance, dont le prix du jury et le prix du public au concours Vidéaste recherché, incluant une bourse de 7 000 $ et une diffusion à Télé-Québec et dans Internet.

Son nouveau film Black out fut présenté au plus récent Festival des films du monde de Montréal. Il s'agit d'une production de sa «troupe de cinéma» Cri/Art, soit une quinzaine de personnes qui offrent des «produits créatifs tournés en région».

www.criart.org


Anh Minh Truong
22 ans, Sherbrooke
Lettres et langue françaises 2003

     

 

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