SUR INVITATION

Marché boursier
L'année 1997 sera-t-elle la répétition de 1987?

par Jean Desrochers*

Depuis quelques semaines, certains analystes et journalistes financiers évoquent la possibilité que les marchés boursiers suivent la même tendance qu'en 1987, année où, en octobre, les bourses nord-américaines ont été victimes d'un krach. Rappelons-nous le lundi noir du 19 octobre. L'indice du TSE 300 a chuté de plus de 400 points, soit une variation d'environ 20 fois plus importante que la normale. Les jours suivants, des hausses et des baisses d'une centaine de points par jour se sont succédé.

Les spécialistes ont émis toutes sortes d'hypothèses pour expliquer ce krash : hausse de l'inflation anticipée à cause d'une baisse des devises américaine et canadienne par rapport aux devises européennes, transactions électroniques très rapides, systèmes experts défaillants, etc. Peu importe les causes, les pertes sur papier furent énormes. L'investisseur qui désirait retirer ses économies du marché boursier vers la fin de l'année 1987, afin de pouvoir en jouir, a soit encaissé les pertes, soit reporté ses projets en attendant que le marché remonte.

Revenons un peu sur l'histoire1 de ce lundi noir. Au début des années 80, le taux d'inflation était d'environ 15 p. 100. Pour contrer celle-ci, la Banque du Canada a augmenté son taux d'escompte jusqu'à 17 p. 100. Cette décision a entraîné l'économie canadienne dans une récession qui s'est terminée vers la fin de l'année 1983. À partir de ce moment, le marché boursier a connu une période haussière d'environ quatre ans. Le 15 août 1987, la bourse de Toronto a atteint un sommet, soit une valeur de 4118,94.

Au mois d'août 1987, les taux d'intérêt se situaient à 10 p. 100 pour les placements de cinq ans et le taux d'inflation était de 4,7 p. 100. À partir de cette date, la bourse a amorcé sa descente. Pendant ce temps, les taux d'intérêt montaient, les gouvernements craignant une reprise de l'inflation. À la mi-octobre, le gouvernement américain a annoncé que la balance commerciale américaine était déficitaire et ce, de beaucoup plus que les investisseurs l'avaient anticipé. Rendue publique alors que le marché était particulièrement nerveux, cette annonce a aussitôt eu des répercussions dans les bourses nord-américaines. Ainsi pendant le jeudi 15 et le vendredi 16 octobre 1987, la bourse de Toronto a connu une baisse de 120 points de son indice. Le lundi 19 octobre, les titres nord-américains ont subi une baisse sur les marchés asiatiques et européens. À l'ouverture des marchés américains, les investisseurs institutionnels ont commencé à vendre massivement leurs titres boursiers. L'offre de titres étant maintenant supérieure à la demande, les prix ont baissé. Réagissant à cette baisse, les systèmes informatiques d'analyse ont multiplié les ordres automatiques de ventes, ce qui a eu pour effet d'augmenter encore le volume de transactions. C'était la panique.

Dix ans plus tard, la situation est-elle la même? Nous dirigeons-nous vers un autre krach? Évidemment, si nous possédions une vraie boule de cristal, nous pourrions nous prémunir contre n'importe quel soubresaut boursier. Comme nous ne possédons pas de tels outils, tentons de comprendre ce qui se passe aujourd'hui et de déterminer ce qui, outre le 10e anniversaire, a conduit certains journalistes à reparler du lundi noir d'octobre 1987.

Quelques notions de finance

En comprenant quelques notions de base, nous saisirons mieux le fonctionnement des marchés financiers et comment peuvent survenir des événements comme celui du 19 octobre 1987. Quelle est la valeur d'une entreprise? Que signifie un indice boursier? La valeur marchande d'une entreprise est déterminée par sa capacité à générer des revenus. De la même manière, la valeur marchande d'un titre boursier sera égale à la somme, en valeur actuelle, des revenus que les investisseurs croient que cette action générera dans le futur. Pour ce qui est de l'indice boursier, il correspond à la valeur pondérée des firmes qui composent ledit indice. Il est nécessaire de dire que le marché boursier incorpore toutes ces informations concernant les anticipations des investisseurs dans le prix des titres (c'est la notion d'efficience des marchés).

Les variations de prix des actions en bourse sont donc liées a des modifications des anticipations des investisseurs. Ces anticipations portent tant sur la capacité d'une firme à produire des bénéfices que sur la santé de l'économie en général. Prenons deux exemples récents. La firme Bombardier a annoncé récemment une diminution de la production des motos marines. Cette baisse de production entraînera une baisse des ventes réelles pour l'année, ce qui diminuera les flux financiers. Compte tenu de ces nouvelles informations, les investisseurs ont révisé à la baisse la valeur boursière des actions de Bombardier. Dans le même ordre d'idées, la possibilité de plus en plus grande qu'il y ait une augmentation des taux d'intérêt aux États-Unis, ce qui entraînerait une augmentation des taux au Canada afin de protéger la devise canadienne sur les marchés internationaux, a modifié à la hausse les futurs taux de rendement du marché. Encore là, les investisseurs ont modifié à la baisse l'ensemble des titres et la valeur de l'indice a baissé.

Ces deux exemples nous indiquent qu'il y a des informations qui affectent une firme en particulier et des informations qui affectent l'ensemble des entreprises. En effet, pendant que Bombardier annonçait une baisse de production, la Banque Royale annonçait des profits records. Ainsi, le prix des actions de la Banque Royale augmentait pendant que celui des actions de Bombardier fléchissait. À l'inverse, lorsque les taux d'intérêt augmentent ou que la croissance économique diminue, c'est l'ensemble des titres qui diminue. Si de nouvelles informations concernant l'économie affectent les anticipations des investisseurs, il y aura forcément réajustement des prix. Si ces informations sont pessimistes, alors les prix seront révisés à la baisse.

Le même scénario?

La similitude qui existe entre 1987 et 1997 consiste en ce que l'indice de la bourse de Toronto a atteint un sommet le 7 août 1997 soit 6945,07 et ce après une période haussière de plus de trois ans. Cependant, les taux d'intérêt pour un placement de cinq ans sont actuellement de 4,75 p. 100 et le taux d'inflation avoisine les 2 p. 100, ce qui ne ressemble en rien à la situation de 1987. D'autre part, les prévisions concernant le produit national brut (PNB) sont à la hausse et il en est de même pour les anticipations de profits des entreprises.

Mais plusieurs analystes financiers prévoient que les américains devront augmenter leurs taux d'intérêt afin de contrer une reprise de l'inflation. Cette éventualité, qui entraînerait inévitablement un ralentissement de l'économie, a rendu les investisseurs plus prudents. Le mardi 2 septembre 1997, l'indice du marché de Toronto a commencé à baisser, après trois semaines de stabilité autour de la valeur de 6675.

Pas de panique avec la cote

La situation actuelle diffère de celle de 1987. Les taux d'intérêt et l'inflation sont nettement plus bas, tandis que les prédictions concernant le PNB sont plutôt réconfortantes. Cependant, les investisseurs sont nerveux. Il y a surchauffe de l'économie américaine et des taux d'intérêt bas ne peuvent logiquement qu'augmenter un jour ou l'autre. Alors, il est difficile de prévoir comment les investisseurs peuvent réagir, à moins d'avoir vous-savez-quoi!

Malgré cela, une chose demeure certaine : même si les marchés boursiers connaissent des soubresauts plus ou moins périodiques, les investisseurs sont toujours gagnants à long terme. Bien sûr, la valeur d'un portefeuille de titres sera plus faible lorsque la bourse sera dans une phase descendante. Cependant, si l'on ne vend pas nos titres, leur valeur remontera inévitablement et notre rendement sur une longue période sera supérieur à celui obtenu en investissant dans les titres obligataires ou en déposant son argent à la banque. À long terme, nos épargnes seront supérieures. Comme le disait le personnage incarné par Michael Douglas dans le film Wall Street : <<Il ne faut pas paniquer sur la cote.>>

1 Cette chronologie est simplifiée afin de ne pas inonder le lecteur de détails complexes et inutiles pour la démonstration que nous voulons faire.

* Professeur au Département de finance de la Faculté d'administration, Jean Desrochers axe actuellement ses recherches sur l'évaluation des paramètres de risque, sur l'efficience des marchés ainsi que sur le financement des PME.