Sommets Vol. XVIII No 3 - Automne 2005


La télévision comme 10e art

Par Stéphane Baillargeon, collaboration spéciale

La philosophie mène à tout, à condition qu'on en sorte, c'est bien connu. Mario Clément a biberonné du Kant et du Platon à l'Université de Sherbrooke dans les années 1970. Après un passage remarqué à Télé-Québec, il occupe maintenant le poste très convoité de directeur des programmes de la télé de Radio-Canada.

 


Mario Clément
Directeur des programmes Télévision de Radio-Canada
Philosophie 1977

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À vrai dire, je ne suis jamais très loin de la philosophie, encore aujourd'hui, souligne Mario Clément. La philosophie permet de se familiariser avec le discours sur l'être humain et de développer un sens critique par rapport à tous les aspects de la vie en société. Évidemment, Hegel, Marx ou Feuerbach sont très loin de ma réalité quotidienne. Reste que ma formation intellectuelle me sert quotidiennement au travail comme dans la vie courante. L'abstraction ne me fait pas peur et je le dois à la philosophie.»

Le goût pour le divertissement et le monde du spectacle lui a aussi été transmis à l'Université. Il a notamment assumé la programmation du cinéma FEUS et a produit des spectacles. Il a tâté de la création en tournant quelques bandes, comme caméraman, dans les studios de l'Université et a travaillé comme disc-jockey au Bahut. «La formation comme les expériences faites pendant les études ne me semblent importantes que dans la mesure où on les utilise par la suite pour agir sur le monde. Je ne juge pas les gens à leur diplôme mais à leurs réalisations», précise Mario Clément.

Maître à bord

Lui-même a concrètement bouleversé le paysage télévisuel au cours des dernières années. «La télé n'a jamais cessé de progresser. Nous vivons une époque formidable pour le petit écran. La télévision est devenue un médium en soi. Ce n'est pas seulement un relais du monde ambiant : c'est un monde en soi, à part entière, un art comme le cinéma ou la littérature, avec ses règles et ses contraintes.»

Cette assurance lui permet d'ailleurs de prophétiser que cet art (le dixième?) va connaître des années toujours plus fastes, avec des retombées surprenantes, notamment du côté du grand écran. «Si les gens croient que le cinéma québécois va bien, ils n'ont encore rien vu. Nous travaillons avec tous les cinéastes de demain, et leur créativité est très impressionnante. La télévision est en quelque sorte l'antichambre du cinéma.»

Pour lui, le bouleversement commence à la fin des années 1980, par exemple avec la création de la première série Lance et compte, révolutionnaire et dynamique à souhait, révolutionnaire parce que dynamique. «Tout était dans le rythme avec Lance et compte. Pour la première fois, la télévision assumait sa propre vitesse. L'audace n'a jamais fléchi et le financement a suivi. Les télévisions québécoises — et il y a de plus en plus de chaînes — programment de moins en moins de séries étrangères et de plus en plus de productions nationales de très haut niveau. Je suis même frustré de ne pas pouvoir en programmer davantage. On vit un âge d'or.»

Abonné aux marchés internationaux par la force des choses, le directeur observe que le même vent de qualité souffle partout. À ses yeux, les Européens s'avèrent particulièrement intéressants en studios. «Les Français ou les Italiens multiplient les formules. Peuples bavards, ils aiment se retrouver pour discuter et jouer.» Nommé à la tête des programmes en avril 2003, il est responsable de l'adaptation québécoise de l'émission française Tout le monde en parle, le grand succès de Radio-Canada depuis 2004. «Le format était bon et je l'ai acheté. C'est simplement une mécanique que nous avons adaptée.»

Il a eu moins de succès avec d'autres talk-shows, par exemple En attendant Ben Laden, victime d'un tir critique au vitriol pendant ses premières semaines à l'écran. «Il faut comprendre que certaines émissions ciblent certains publics. En attendant Ben Laden plaît à quelques centaines de milliers de téléspectateurs. Ce n'est pas un échec, loin de là. Cela dit, le ton peut déplaire aux critiques, on fait de la télé pour les téléspectateurs, c'est eux qui choisissent. Là encore, il faut comprendre qu'on ne doit pas demander à une émission de variétés d'être autre chose que ce pourquoi elle est conçue. Le divertissement appelle l'amusement, un style fantaisiste. Je ne crois pas à l'appauvrissement de la culture par l'humour.»

Les téléséries, l'autre grand créneau sous sa gouverne, font moins sourciller. Cette fois, Mario Clément note l'influence anglo-saxonne sur la production nationale, mais aussi son originalité fondamentale. «Les Britanniques et les Américains, particulièrement avec les nouvelles chaînes, développent des dramatiques exceptionnelles qui repoussent constamment les limites du genre, avec des produits exceptionnels comme 24 heures chrono ou Perdus. Le Québec aussi devient un centre mondial de création en fiction. Les écoles ont formé d'excellents scénaristes. Les jeunes cinéastes osent et modifient constamment le secteur. La volonté de faire émerger de nouvelles formes n'a jamais été aussi forte.»

Et la téléréalité?

Radio-Canada n'a pas encore succombé à la mode de la téléréalité, et Mario Clément, bien ficelé à son fauteuil de pilote, n'entend pas répondre à l'appel des sirènes. «Je n'ai pas besoin de ce genre pour développer l'intérêt du public. C'est un genre très commercial. Je crois qu'on peut faire mieux avec des artistes, des scénaristes ou des comédiens. La recherche et développement en cours à Radio-Canada avec Cover Girl, Les Bougon ou Temps dur, vise à développer des créations près du vécu, une sorte de télémiroir opposée à la téléréalité qui, elle, travestit la réalité.»

Le directeur philosophe promet d'autres émissions semblables d'autant plus que, pour lui, le principal défi de la télévision en tant qu'art demeure celui posé par l'adéquation au réel – la capacité de traduire l'air du temps — ce que ses chers penseurs allemands du XIXe siècle appelaient le Zeitgeist. «Il faut que le médium transmette les préoccupations des citoyens. Il faut que les scénaristes, les premiers artistes de cet art, continuent d'agir comme des antennes sensibles à ces préoccupations.»

 

VOX POP

Quelles seraient vos priorités dans une programmation télévisuelle?

Je prendrais les réponses de ce vox pop, je sortirais les dénominateurs communs par priorité et je les classerais en fonction des exigences du CRTC. Nul doute que le résultat obtenu serait la programmation de Radio-Canada.

M. Clément

 

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