Sommets Vol. XVIII No 3 - Automne 2005

 

 

Partir… revenir

Par Stéphane Baillargeon, collaboration spéciale

Paul Toutant quitte son poste de journaliste culturel non pas la tristesse dans l'âme, bien au contraire, puisque ce métier l'a comblé pendant plusieurs décennies. Par contre, il tire à boulets rouges sur ceux qui pratiquent «l'échovedettisation» de son métier. Par chance, cela ne l'empêchera pas de continuer à pratiquer le journalisme culturel…

 

Photo de Paul Toutant
Paul Toutant
Journaliste
Arts 1970

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après plus d'un quart de siècle passé à la télé de Radio-Canada à couvrir les arts et la culture, le vieux routier Paul Toutant prend sa retraite. Étonnamment, il ne souhaite à personne de prendre le relais. «Aux jeunes talentueux qui rêvent de me remplacer, je dis tout simplement de choisir une autre carrière ou de devenir reporters politiques, lance-t-il sans aucune amertume. Le secteur demeure passionnant parce que les artistes sont les gens les plus passionnants de la planète. Mais pour que ce métier tienne ses promesses, il faudrait que la manière de le pratiquer change du tout au tout. Je le sais, parce que je me suis battu pendant 25 ans dans l'espoir de modifier les habitudes de plogues et la superficialité ambiante, sans jamais vraiment y arriver, ou avec bien peu de résultats...»

L'intégrité

Avec son visage lunaire et sa belle voix grave, Paul Toutant s'est imposé comme un des reporters les plus compétents et les plus sympathiques des dernières décennies. Son style limpide, empreint de poésie, sa passion communicative indéniable et son amour des artistes ont défini une mécanique télévisuelle reconnaissable entre toutes. Seulement, il le pense et le soulève, la télévision québécoise aime peu ou mal les arts et la culture. D'abord parce que les journalistes eux-mêmes regardent toujours ce secteur comme une pratique mineure, une sorte de version diète du beau métier passionné par le présent.

«Si tu bosses au culturel, tu ne peux pas penser devenir correspondant à Paris ou à Washington, alors que franchement les journalistes culturels pourraient y produire des reportages moins ennuyants que ceux qu'on nous sert maintenant. Les correspondants à l'étranger ne font que de la politique et lèvent le nez sur les succès en art. Même la Fédération professionnelle des journalistes du Québec tombe dans le panneau en s'interrogeant toujours, dans ses congrès, sur les rapports entre les journalistes et les relationnistes, par exemple, alors qu'on ne réduit pas le boulot d'un journaliste politique à sa relation avec les attachés de presse des ministères.»

Le diplômé ès lettres de l'Université de Sherbrooke se désole aussi de l'inculture jugée abyssale des patrons de presse. Pour lui, leur peu d'intérêt pour les arts comme leur absence de contacts dans le secteur culturel les laissent généralement désemparés devant les sujets proposés par les reporters. «Ils ne savent pas juger les sujets. Et comme ils ne peuvent pas contrôler une réalité qu'ils ne maîtrisent pas, ils préfèrent la nier ou alors la traiter de manière stupide et désolante. C'est la politique du pire, de l'ignorance et de la paresse.» Dans ce système structurellement sclérosé, les individus peuvent tout de même faire la différence. Paul Toutant a appris à faire confiance aux passions bien ancrées chez autrui comme chez lui. «Céline Galipeau parle de culture. Stéphan Bureau en parlait beaucoup, mais Bernard Derome n'a aucune sensibilité pour ce secteur.»

N'empêche, la tendance serait plutôt à la «petite niaiseuse avec des grosses boules» (sic), selon une formule assassine et misogyne que le reporter emprunte à la pièce En circuit fermé (1994) de Michel Tremblay, une charge féroce contre le milieu de la télévision. «Elle passe de la météo à la culture en une saison et si elle est encore plus jolie, elle finit par épouser le patron, dit Paul Toutant en rigolant lui-même de son portrait caricatural. La tangente, c'est maintenant l'entertainment. Il n'y a plus que ça, ou presque, à toutes les chaînes. On veut savoir avec qui couche telle vedette, ce qu'a fumé tel rockeur, combien coûte la robe de telle comédienne. La notion de critique fout le camp.»

L'«échovedettisation» est maintenant le lot de tous les médias, y compris les plus sérieux. Une enquête menée à la fin de la dernière décennie par le prestigieux Columbia Journalism Review a montré que les articles people occupent maintenant jusqu'au sixième de la place des cahiers des arts des journaux comme le New York Times ou le Washington Post, qui ne leur accordaient que des entrefilets deux ou trois décennies plus tôt. Les procès de stars comme Michael Jackson trônent maintenant en manchette des publications. «On a aussi suivi au Téléjournal le procès de cet has been musical accusé de pédophilie, commente Paul Toutant. Je comprends l'intérêt national pour l'affaire Nathalie Simard, mais d'un point de vue judiciaire. Ce n'est pas du culturel. Ça fait longtemps que je n'ai pas vu de reportage sur l'avenir de Télé-Québec. On préfère des extraits de 12 secondes du dernier show d'un humoriste à la mode après que le reporter a raconté qu'il s'y était bien bidonné. Ça reste du potinage, de la couverture extrêmement superficielle.»

Un cas d'exception

Pendant sa carrière, Paul Toutant était le seul de la salle des nouvelles à pouvoir déroger au code déontologique de la Grande Maison interdisant aux journalistes radio-canadiens de donner leur opinion. «Les patrons m'ont accordé ce droit parce que les spectateurs voulaient savoir si telle pièce ou tel film était un navet ou un chef-d'œuvre. Mon opinion est devenue une sorte de service aux consommateurs.»

Cette possibilité ne va pas et n'allait pas sans responsabilités. En parlant d'un «échec monumental», un reportage vidait le TNM ou donnait le coup de grâce à l'Espace Go. «Le critique manie une bombe atomique. Il doit avoir conscience des effets potentiellement dévastateurs de ses opinions.»

Paul Toutant ne sort pas pour autant aigri de ce quart de siècle à fréquenter les artistes. Il parle encore avec émotion de ses rencontres avec Yves Montant, Philippe Noiret ou Diane Dufresne. «Je me souviens encore de plein de jeunes premiers découverts pendant des soirées magiques : la première mise en scène de René Richard Cyr ou de Claude Poissant, le premier spectacle de Rock & Belles oreilles ou de Richard Desjardins. L'entrevue avec Jordi Bonnet a marqué ma vie. Il me parlait de la lumière et de l'âme. Je ne savais pas qu'il était malade, et il est décédé une dizaine de jours plus tard.»

Et puis, il y a toujours un peu d'espoir. Il proposait depuis des années de parler de livres pendant les journaux télévisés. Il y arrivera finalement cet automne, en revenant à la télé d'État, mais comme pigiste, empruntant ainsi un sentier qu'il ne recommande pas aux jeunes ambitieux, amoureux des arts et des lettres, comme lui. «Je vais présenter trois coups de cœur par semaine, en quelques minutes, lance-t-il. C'est un petit pas, mais c'est encourageant, non, alors que le livre est presque inexistant à la télé?» 

 

Vox pop

Quelles seraient vos priorités dans une programmation télévisuelle?

Moi, je cesserais de prendre les téléspectateurs pour des valises, je cesserais de niveler les émissions par le bas, et je me ferais virer!

P. Toutant

 

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