Sommets Vol. XVII No 3 - Automne 2004

 

 

Voler au secours des oiseaux

par Héloïse Bernier Leduc

Juchée sur la cime d'un grand érable à sucre, une petite paruline bleue contemple le champ de trèfle qui s'étend devant elle. Quelques centaines de mètres la séparent de son nichoir. hésitante, elle se demande quel chemin prendre pour retourner dans son habitat familier. S'exposer au danger et couper par le champ ou le contourner en restant dans le boisé? Prendre le plus long chemin ou prendre le raccourci?
 


Marc Bélisle
Professeur au Département de biologie
Faculté des
sciences

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette petite paruline peut se tromper sans courir le moindre danger. Dans le monde virtuel où elle se trouve, rien ne peut l'atteindre. Ce monde virtuel est celui conçu par Marc Bélisle, professeur à la Faculté des sciences. Nommé Cyberoiseau, le programme informatique du biologiste simule la trajectoire d'oiseaux forestiers dans un paysage donné. «Cet outil est très utile pour mesurer comment les oiseaux sont capables de répondre aux changements dans la structure du paysage», indique Marc Bélisle.

À vol d'oiseau

Grâce au cyberoiseau, les scientifiques peuvent prévoir la connectivité fonctionnelle des paysages pour les oiseaux forestiers. Autrement dit, ils peuvent évaluer la facilité avec laquelle un oiseau qui vit habituellement dans la forêt se déplace dans un paysage où se succèdent boisés et milieux ouverts. 

«Le développement de modèles comme le cyberoiseau est urgent. Dans le sud du Québec, l'expansion des activités agricoles et forestières force la coupe d'arbres. Au nord, la forêt boréale est aussi la proie des industriels. Pour les oiseaux habitant ces milieux forestiers, la coupe d'arbres entraîne une foule de problèmes, dont la perte de territoires, la pénurie de victuailles, l'exposition aux prédateurs», s'insurge le défenseur des bêtes à plumes.

Le fonctionnement du programme est simple. Par exemple, pour mesurer la facilité d'un oiseau à se déplacer entre deux points, on n'a qu'à fixer un point de départ A et un point d'arrivée B sur une carte numérisée d'un paysage donné. Puis, on place un cyberoiseau sur le point A et on attend qu'il parvienne au point B. Ensuite, on répète l'opération avec un millier de cyberoiseaux, qui empruntent le plumage canari du célèbre Tweety Bird. Le programme tracera alors la trajectoire de chacun des cyberoiseaux et donnera le temps nécessaire pour parcourir ces trajets. Quelles que soient la composition et la configuration du paysage, les trajectoires virtuelles reflètent, à quelques exceptions près, ce qui se déroulerait dans la réalité avec de vraies mésanges, de vraies parulines…

Sur le terrain

Moins simples toutefois les recherches sur le terrain et les calculs réalisés par le biologiste pour arriver aux résultats actuels du cyberoiseau. Le chercheur s'est posé ces questions : Les oiseaux, qu'ils soient pics, mésanges ou parulines, préfèrent-ils les raccourcis ou les plus longs détours? Comment choisissent-ils de se déplacer? Pour trouver des réponses, Marc Bélisle a dû mener de longues recherches. En fait, il a consacré son doctorat et ses deux postdoctorats à l'étude du mouvement des oiseaux en fonction de la structure du paysage. Dans le cadre de ses recherches, Marc Bélisle a souvent fait ce qu'il appelle avec humour du baywatch intensif. «Cela consiste à inciter les oiseaux à se déplacer à travers ou sur le pourtour d'une trouée, en les attirant à l'aide d'un enregistrement de cris de houspillage de mésanges à tête noire. L'astuce : forcer les oiseaux à venir voir ce qui se passe tout en les confrontant au dilemme de prendre un raccourci en milieu ouvert ou de faire un détour en milieu forestier pour se rendre au lieu d'émission des cris.» Ce baywatch, ainsi que ses autres observations effectuées en nature, lui a entre autres permis de construire son programme à partir de données réelles, rigoureusement collectées et analysées. Pour se faciliter la tâche, le spécialiste a utilisé les plus sophistiqués GPS.

Quand Marc Bélisle a une hypothèse en tête, rien ne peut l'empêcher de la vérifier, doit-il prendre des détours et aller en terre inconnue… Ses recherches l'ont d'ailleurs mené dans la vallée de la rivière Bow, près de Banff en Alberta, et à helsinki, en Finlande.

La méthodologie du chercheur, ses études très «terrain», le distingue des autres chercheurs du domaine et constitue l'une de ses plus grandes forces. Il dit lui-même tenter de «trouver des méthodes expérimentales, voire un peu loufoques, pour mesurer la réponse des oiseaux par rapport à la structure du paysage». Rien d'étonnant de le voir s'adonner au baywatch... «Mes bons coups sont le fruit des idées un peu insolites que j'ai décidé d'appliquer sur le terrain», avoue le chercheur.

Drôle de moineau

«J'apprécie la qualité de vie ici, tout comme j'apprécie l'esprit d'équipe qui règne au Département de biologie de l'Université.» Il dit que les chercheurs ont facilement accès à une foule de ressources à la fine pointe de la technologie. Il ajoute que, grâce à la communauté scientifique de Sherbrooke et à des ressources telles que le Centre d'applications et de recherches en télédétection (CARTEL), le créneau d'écologie terrestre et de géomatique est particulièrement bien développé à l'Université.

Reconnu comme un chef de file dans son domaine à l'échelle internationale, Marc Bélisle a été invité à donner des conférences aux quatre coins du globe et à rédiger un article pour le numéro spécial «Landscape Ecology – Coming of Age» du journal scientifique Ecology, publication des plus crédibles dans le domaine.

Dans le milieu professionnel, il est très recherché pour ses aptitudes en analyse statistique. En témoignent d'ailleurs ses postes de consultant pour plusieurs organisations, telles que le Service canadien de la faune, Études d'oiseaux Canada et l'Observatoire d'oiseaux de Tadoussac. De plus, Marc Bélisle a été mandaté par le gouvernement provincial comme responsable d'une étude sur le dindon sauvage et il participe à l'organisation de rencontres scientifiques internationales. S'ajoute à la liste de ses tâches l'enseignement de la biostatistique.

Rigueur, synthèse et innovation, voilà ce qui a guidé Marc Bélisle dans ses réalisations scientifiques. «J'aime ce que je fais, je m'amuse. La journée où je n'aimerai plus mon travail, je ferai autre chose», révèle le créateur des Tweety Birds virtuels. Mais avec tout l'enthousiasme qui l'anime quand il parle de ses travaux, fort à parier que Marc Bélisle poussera encore plus loin les limites de la science avant d'aller nicher ailleurs.

 

Tout en finalisant le cyberoiseau, Marc Bélisle a lancé une vaste recherche visant à étudier l'influence de l'intensification des pratiques agricoles sur la structure et la dynamique des populations d'hirondelles bicolores. Un travail de longue haleine, qui durera de cinq à dix ans. Tous les jours d'avril à juillet, Marc Bélisle et son équipe observent les activités de 400 nichoirs répartis sur 10 000 kilomètres carrés, de Sherbrooke à Sorel en passant par Mont-Saint-Hilaire. Assidûment, ils vérifient entre autres si le nichoir est occupé par une hirondelle ou par un merle bleu de l'Est, s'il y a un nid et des œufs. Ils observent combien de ces œufs parviennent à éclore et combien d'oisillons se rendent à l'envol.

 

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