Sommets Vol. XVII No 1 - Hiver 2004

 

Dictionnaire général et normatif du français standard en usage au Québec

Le français au Québec, de A à Z

par Héloïse Bernier Leduc

En 2006, les Québécois et Québécoises pourront se référer à un tout nouveau dictionnaire : le Dictionnaire général et normatif du français standard en usage au Québec, un produit inédit dont le contenu sera fort différent de celui des Petit Robert et Petit Larousse.


Les codirecteurs, Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière

Un dictionnaire entièrement informatisé, général et normatif, constitue l'originalité du produit élaboré en ce moment à l'Université de Sherbrooke», précise Hélène Cajolet-Laganière. Le nouveau dictionnaire décrit «le français contemporain d'usage public, représentatif de la réalité sociale, culturelle, économique, politique et scientifique du Québec, sans oublier les mots d'ailleurs pour assurer l'intercommunication avec tous les autres francophones», ajoute Pierre Martel.

Fruit de plusieurs années de travail de ces deux professeurs de l'Université de Sherbrooke et de leur équipe composée d'une trentaine de professionnels et collaborateurs, le Dictionnaire général et normatif du français standard en usage au Québec sera le premier dictionnaire au Québec à être élaboré et conçu, de A à Z, sur support informatique. L'ensemble du projet est entièrement informatisé, à partir du moment où on saisit un texte qui vient s'ajouter à la Banque de données textuelles de Sherbrooke (BDTS) jusqu'au moment où l'on imprimera le dictionnaire. La BDTS est un corpus de plus de 10 000 textes comprenant plus de 40 millions de mots. Elle sert de vaste échantillon représentatif du français au Québec et reflète les différents usages du français d'ici : textes didactiques, journalistiques, techniques, littéraires, oraux, etc. Cette banque constitue la matière première pour la description lexicographique.

L'ABC du dictionnaire

L'équipe de Sherbrooke a travaillé deux ans et demi pour préparer une plateforme lexicographique informatisée et intégrée (une seule interface de consultation pour toutes les sources consultées) et les différents outils nécessaires à la rédaction des articles du dictionnaire, afin que les professionnelles et professionnels aient tout en main pour la rédaction, amorcée il y a quelques mois. Cette plateforme étant à ce jour parfaitement fonctionnelle, «nous pourrons éventuellement transférer cette technologie à d'autres produits dictionnairiques, terminologiques, ou autres», affirme Hélène Cajolet-Laganière.

Le dictionnaire est actuellement dans sa troisième et dernière phase : la rédaction des articles. Il devrait paraître en version électronique et en version imprimée à la fin de l'été 2006. Il deviendra sûrement un outil de référence courant et essentiel pour les élèves et les professeurs à partir du secondaire, les professionnels de la langue, les rédacteurs, les communicateurs, etc. Les codirecteurs du projet affirment qu'il est impérieux de présenter un modèle linguistique positif et constructif aux Québécoises et Québécois. «Au Québec, on a vécu longtemps dans une sorte d'insécurité linguistique par rapport au français de France. Il faut maintenant en sortir. La description du français standard en usage au Québec, le bon usage d'ici, est inexistante à l'heure actuelle; ce français standard en usage ici représente notre modèle linguistique. Nous procéderons à cette description, notamment en montrant les textes de ceux qui écrivent et qui parlent bien le français. Nous ne voulons pas uniquement corriger la langue des usagers, mais plutôt la valoriser, l'enrichir, l'améliorer de manière positive», explique Hélène Cajolet-Laganière.

Pour Pierre Martel, il s'agit d'un éclairage tout à fait nouveau sur la langue française du Québec. «Nous avons de très grands écrivains, gens de lettres, rédacteurs de toutes sortes au Québec : Gilles Vigneault, Marcel Dubé, Gaston Miron, Fernand Dumont, Marcel Trudel, Louis Joseph Papineau, et bien d'autres… Nous intégrons des citations de tous ces auteurs dans notre dictionnaire afin qu'ils servent de modèles linguistiques et constituent nos références culturelles en même temps», renchérit-il. Il s'empresse néanmoins de préciser que le vocabulaire utilisé en France et ailleurs dans la Francophonie, illustré grâce à des citations d'auteurs français et autres, sera aussi inclus dans le futur dictionnaire. Au dire des deux auteurs, cet ouvrage décrira la totalité de la langue française, une langue «inclusive» et non une langue limitée au Québec.

Le dictionnaire est l'outil indispensable pour bien connaître et maîtriser sa langue, selon Hélène Cajolet-Laganière. «Maîtriser sa langue, c'est être capable d'utiliser le français dans toutes ses nuances, de s'en servir judicieusement selon les différents contextes de communication, mais aussi de la pratiquer avec une certaine autonomie, une certaine liberté. Pour ce faire, il faut être capable de passer du registre familier au registre standard et bien utiliser ce dernier quand le contexte l'exige.»

Une complicité de longue date

Les deux linguistes sont complices depuis la période où Pierre Martel a dirigé la thèse de doctorat d'Hélène Cajolet-Laganière. Mais un rapprochement plus intense a lieu quand Hélène Cajolet-Laganière accepte un poste à l'Université de Sherbrooke en 1990, après avoir travaillé une quinzaine d'années à l'Office québécois de la langue française. Cette même année, Pierre Martel revient à l'Université après avoir présidé le Conseil de la langue française durant quelques années. Leurs expériences respectives les poussent vers un même objectif : rédiger un «Petit Robert fait au Québec, à la manière du Québec, adapté aux besoins des Québécois et des Québécoises», confie Pierre Martel.

L'idée d'un dictionnaire général du français à partir de l'usage québécois ne date pas d'hier. Déjà en 1914, Adjutor Rivard avait affirmé la nécessité d'un dictionnaire qui tenait compte de l'usage du français au Québec. Cependant, aucun dictionnaire complet partant d'une documentation originale, comme celui en cours d'élaboration à Sherbrooke, n'a été réalisé auparavant. Il aura fallu la détermination de ces deux professeurs de Sherbrooke pour que ce projet unique, lancé en 2001, devienne enfin réalité.

Pour procéder à cette description originale du français, les deux professeurs de Sherbrooke ont réuni une équipe de collaborateurs aux compétences diversifiées. «Le dictionnaire est un projet interuniversitaire et multidisciplinaire», affirme Pierre Martel. «Nous avons fait appel à des spécialistes de tout le Québec qui partagent notre vision et ont des expertises complémentaires aux nôtres, ajoute sa collègue; c'est un important travail d'équipe.»

Parmi les experts et collaborateurs qui participent au projet, mentionnons, de l'Université de Sherbrooke, Chantal-Édith Masson, responsable du volet informatique, Louis Mercier, responsable notamment du volet faune et flore, et Jean-Claude Boulanger, associé à l'ensemble de la rédaction lexicographique. S'ajoutent à eux Pierre Auger, de l'Université Laval, Denis Dumas et Monique Lebrun, de l'UQAM, Colette Baribeau, de l'UQTR, Louise Peronnet, de l'Université de Moncton, ainsi que Jean-Yves Dugas, Jean-Claude Corbeil et Jean-Denis Gendron. Un comité scientifique, regroupant des experts nationaux et internationaux, a pour mandat de valider la politique éditoriale et d'assurer la qualité des articles.

Œuvrent également une trentaine de professionnelles et professionnels de recherche associés au support informatique ou aux tâches de rédaction. Le travail de rédaction concerne différents domaines (faune et flore, relations de travail, sport, environnement, emprunts critiqués à l'anglais, et autres) ou encore certaines catégories de mots à décrire (verbes, mots-outils). Michel Théoret participe également au projet en demeurant consultant en ce qui a trait au traitement des emprunts critiqués à l'anglais, même si ce professeur a pris sa retraite en 2002. Sans cette belle et grande équipe, le projet de dictionnaire n'aurait pu se concrétiser, affirment les deux auteurs.

De manière à assurer le bon déroulement de cette réalisation, les chercheurs ont obtenu un financement du gouvernement du Québec et du Conseil régional de développement de l'Estrie. L'Université de Sherbrooke, la Faculté des lettres et sciences humaines et la Fondation de l'Université fournissent aussi un appui financier. Jusqu'à présent, ces organismes ont versé près de trois millions de dollars. La Faculté des lettres et sciences humaines ainsi que la direction de l'Université l'ont inclus parmi ses projets prioritaires dans le cadre de la campagne de financement soulignant les 50 ans de l'Université.

 

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