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La grande corvée du décrochage scolaire

Josée Labrie

Le Québec affiche un taux de décrochage parmi les plus élevés au pays. Voici quelques pistes de réflexion pour changer la donne.

Philippe, un jeune gaillard de 25 ans, est un survivant. Entre deux cours, installé à une table à pique-nique, au soleil, un peu à l'écart des autres étudiants, il raconte son parcours scolaire difficile.

«Au primaire, j'avais un déficit d'attention. J'étais hyperactif. En plus, on me bourrait de Ritalin; ça me rendait amorphe. J'ai été classé très vite comme un élève ayant des troubles de comportement et d'apprentissage. J'ai redoublé ma première année et j'ai eu des difficultés pendant tout le primaire. J'ai fini par décrocher en quatrième secondaire.»

Aujourd'hui, quelque 15 années plus tard, Philippe savoure pleinement son bonheur. Il vient de terminer sa première semaine au Cégep de Sherbrooke, où il étudie en éducation spécialisée. Doit-on y voir une coïncidence? Les choses vont tellement bien pour lui que l'idée de fréquenter un jour l'université lui effleure même l'esprit.

Anne Lessard est professeure en éducation, adaptation scolaire et sociale.
Anne Lessard est professeure en éducation, adaptation scolaire et sociale.

En tant qu'ex-décrocheur, Philippe a collaboré à une étude effectuée par un groupe de chercheurs de l'Université de Sherbrooke, dont faisait partie Anne Lessard. La professeure en éducation a rencontré Philippe à plusieurs reprises pendant sept ans. En fait, Anne Lessard a suivi 90 élèves qui, comme Philippe, avaient le profil de décrocheurs.

Philippe a décroché en quatrième secondaire, après des années de misère marquées par une dépression et des idées suicidaires. «Dans son cas, explique l'enseignante, le profil était celui d'un élève qui avait constamment des conflits avec ses professeurs. De plus, comme beaucoup d'élèves en difficulté, Philippe a dû changer fréquemment d'établissement. Aujourd'hui, les règles ont changé. Heureusement, car les études montrent clairement que le changement d'école exige une adaptation qui contribue à augmenter les risques de décrochage.»

L'enseignante explique les nombreux conflits de Philippe avec ses professeurs par une incapacité à s'adapter. Pas tant de sa part que de celle des enseignants. «Je demandais simplement qu'on m'explique les choses de façon à ce que je les comprenne, mais ça exigeait plus de temps et une volonté nette de s'adapter à moi de la part de l'enseignant. C'était impossible dans plusieurs cas», estime l'étudiant.

Anne Lessard, elle, ne veut pas jeter la pierre aux professeurs : «On sait qu'ils sont favorables à l'intégration des élèves en difficulté dans leurs classes, mais ils doivent être davantage soutenus. On doit leur offrir de la formation pour les aider à mieux comprendre comment gérer ces cas qui exigent une méthode d'enseignement différente. Leur réalité est devenue trop complexe.»