Pour rejoindre l'ancienne capitale de France, j'opte pour le trajet de 2 heures en train au lieu des 45 minutes en TGV. Ville d'art et d'histoire, au sud-ouest de Paris, en région Centre, Tours se montre encore plus accueillante que dans les belles images dont j'ai le souvenir. Réconfortée, je suis impatiente de voir mon appartement. À l'extrémité de la pittoresque rue Colbert, je croise mon petit bout de rue qui mène aux quais du pont Mirabeau, le long de la Loire. Tout en haut, je repère ma lucarne et ses volets. Vers l'ouest, la rue Colbert mène à la place Plumereau, dans le quartier le plus fréquenté de la ville universitaire. Celui-ci sera dorénavant mon petit nid. J'y serai bien.
Mon amoureux repart au Québec. Je suis seule sur les quais à six heures du matin. La gare de Tours, si charmante tout à l'heure, est à présent plus sombre. Une douce pluie tombe dehors comme dans mes yeux. De nature matinale, je n'ai aucune envie de retourner à mon appart. Je rêve d'un café. J'arpente la ville sous ma casquette et mon imper. Ici, le jour se lève tard sur les maisons. Et les magasins se réveillent encore plus tard que lui. Je flâne vers le centre-ville. La spacieuse place Jean-Jaurès est majestueuse, même dans le noir. S'y rencontrent les grands commerces et les autobus du réseau Fil Bleu. Ses lampadaires témoignent de l'immobilité du petit matin. Même le grand marché des Halles, un peu plus loin, haut lieu des gastronomies tourangelles, est triste. Cherchant âme qui vive, je bifurque rue Nationale. Des commerçants préparent leur journée sur la grande rue; ils n'ouvriront pas avant une heure ou deux. Je trouve enfin une boulangerie où entrer.
Des monuments d'eau de toutes les tailles décorent les paysages tourangeaux. Scintillantes ça et là, les fontaines sont si nombreuses que l'air ambiant en prend presque des teintes brumeuses. Puis il y a la parade des mini-épiceries. Visibles à tous les coins de rue, elles ressemblent, en plus jolies, à nos petits dépanneurs québécois si ce n'est qu'on y trouve quelques fruits et légumes (sans OGM merci). Elles se partagent courtoisement les heures d'ouverture : si l'une est ouverte, la voisine est fermée, et vice-versa. Une danse harmonieuse, et ô combien utile, quand on a mal planifié ses emplettes! Car ici, le soir après 19 h et le dimanche, tout est fermé.
La ville se découvre petit à petit. Bien qu'agréable à pied, on s'y amuse tellement à vélo! En petite fée bien futée, Tours a eu la bonne idée d'offrir de jolis vélos jaunes à louer pour préserver l'environnement. Ainsi, à dos de mon Velociti, le panier rempli de fruits, et sans pouvoir m'empêcher de sourire, j'ai pu apprécier davantage la Touraine. Un jour, j'ai roulé pendant des heures le long de la Loire. Deux fiers pêcheurs, près du pont Napoléon, m'ont tout expliqué de la parade nuptiale de la carpe.
Je ne suis pas étonnée d'apprendre que Tours est sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO. Architecturalement, la richesse et la majesté de ses immeubles et de ses pavés de pierre, créent une atmosphère à laquelle on ne peut demeurer insensible. Mon voisinage à lui seul regorge d'endroits impressionnants où je passe quotidiennement. Un jour un peu plus gris que les autres, j'ai pris mon temps. Ainsi, j'ai appris que la basilique Saint-Martin a accueilli le pape Jean Paul II en 1996. Il est venu prier devant la tombe du très saint Martin, évêque peu banal qui a exorcisé le comte de Tours en 387. J'ai adoré lire son histoire. Tout à côté, la cathédrale gothique Saint-Gatien est l'une des plus belles que j'ai jamais vues. À couper le souffle le jour comme la nuit, les verrières de son chœur et ses rosaces sont inoubliables. C'est là qu'une fois par an les prêtres se rassemblent pour renouveler leur engagement.
Depuis deux mois, tous les soirs, dans mon petit royaume, j'entends des cloches carillonner. L'air embaume des douces odeurs de vieilles pierres sous la pluie et sent bon le pain sous le soleil. À la boulangerie d'à côté, avec la dame ronde et souriante, le pain bio et les petits gâteaux deviennent un sujet passionnant. Tours évoque les beaux films d'époque sans manquer de confort. Capitale des châteaux, elle a, bien entendu, le sien. Innombrables dans la région, il paraît que certains ont inspiré des contes célèbres tels que La belle au bois dormant. Celui de Villandry aurait des jardins uniques en Europe et le pont-levis de la forteresse de Langeais serait encore en état de marche...
Être étudiante étrangère, ça comporte des défis comme des avantages. Loin du confort et de la sécurité de la maison, on est aussi dépouillée du poids de quelques responsabilités. En communauté, parfois en colocation, on concilie laveries et transports collectifs. Presque à l'abri de la solitude, même quand le manque de la famille, du copain ou du pays s'en mêle, on a le loisir de partager ses émotions et de vivre intensément plein de choses nouvelles et d'amitiés. Notre esprit est libre de s'ouvrir sans les restrictions du travail. En plus d'en apprendre sur soi, on en apprend aussi sur ceux qu'on a laissés derrière. On redécouvre des façons de se parler, on est forcé de prendre le temps de se lire sur MSN ou de planifier des épisodes Webcam. On s'attarde davantage à l'importance des choses et on relativise : la terre n'a pas cessé de tourner parce que je suis partie, mais comme quelqu'un l'a dit : «Le bonheur n'est réel que lorsqu'il est partagé.»