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Regards sur l'actualité

Quand Price et Koivu s'invitent en classe

Johanne Lebrun
Johanne Lebrun

19 février 2009

Robin Renaud

La nouvelle a surpris plus d'un parent. La Presse rapportait le 10 février que des milliers d'écoliers du primaire avaient eu droit à des exercices en classe par le biais de fascicules produits par le club de hockey Canadien, et subventionnés en partie par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport. Si certains y voient une initiative louable pour intéresser les garçons à l'école, plusieurs autres se questionnent sur les visées publicitaires du projet. Nous avons recueilli les observations de Johanne Lebrun, professeure à la Faculté d'éducation.

Journal UdeS : Est-il étonnant que du matériel pédagogique promu par des équipes de sport professionnel se retrouve dans des classes du primaire?

Johanne Lebrun : Oui, car au Québec des dispositions légales interdisent la publicité à l'école. Toutefois, le plus étonnant demeure les subventions ministérielles accordées pour la production du matériel pédagogique du Canadien. À bien des égards, les caractéristiques de ce matériel semblent entrer en contradiction avec les normes édictées par le bureau d'approbation du matériel didactique, l'organisme ministériel chargé d'évaluer et d'approuver les manuels scolaires.

Dans un document datant de 2004 et qui s'intitule Évaluation des aspects publicitaires du matériel didactique pour l'enseignement primaire et secondaire, le bureau offre une définition claire de la publicité et identifie trois formes de publicité à bannir des manuels scolaires, soit celles à caractère commercial, sociétal ou éditorial. On ajoute que la publicité est interdite dans les manuels scolaires en toutes circonstances à moins que l'élément publicitaire ne satisfasse aux trois exigences suivantes, à savoir : «[que …] l'élément publicitaire constitue en lui-même un objet d'apprentissage […]; qu'aucune signature-image, aucun slogan ni aucun commanditaire n'est associé à l'élément publicitaire et que l'élément publicitaire ne contient aucun message ni aucune illustration à connotation incitative ou persuasive [pouvant promouvoir] un produit qui y est lié». Or, un simple coup d'œil au matériel produit par le Canadien suffit pour constater qu'il ne respecte pas ces trois éléments (voir le site Internet).

Il semble donc que ce qui est considéré comme néfaste dans les manuels scolaires ne le soit pas dans le cas de matériel pédagogique provenant d'un club de hockey. À ce sujet, les arguments de l'attaché de presse de la ministre Courchesne rapportés dans La Presse du 10 février laissent perplexe. Ils sous-entendent que l'effet potentiellement insidieux de la publicité dans les écoles serait dans ce cas-ci, contrebalancé, voire annulé, par le fait que le Canadien fait partie de notre histoire et que l'utilisation du matériel soit facultative.

Que doit-on en comprendre? Que la porte des écoles est désormais ouverte aux entreprises telles Bombardier, Molson ou La Baie dont le développement est intimement lié à l'histoire du Québec et du Canada? Que la présence de publicité est acceptable lorsqu'elle est insérée dans un matériel dont l'utilisation est facultative?

Journal UdeS : Croyez-vous que de tels fascicules contribuent à rehausser l'intérêt de certains élèves pour les matières enseignées en classe?

J. Lebrun : Éventuellement, car ils exploitent des thématiques en lien avec la vie des écoliers que les manuels scolaires ne peuvent pas traiter librement en raison des contraintes imposées par le processus évaluatif ministériel. Toutefois, le potentiel d'intéressement d'un matériel pédagogique ne conduit pas nécessairement à assurer de meilleurs apprentissages. Résoudre des problèmes en lien avec le nombre de pointes de pizza que Guillaume Latendresse doit servir à ses invités pour qu'ils mangent à leur faim – un sujet plutôt étonnant dans le contexte actuel qui vilipende la malbouffe dans les écoles – représente-t-il vraiment un contexte d'apprentissage signifiant pour les élèves?

Plus sérieusement, est-il acceptable et justifié que l'utilisation à des fins pédagogiques et didactiques d'éléments composant l'environnement de l'élève repose sur l'exploitation de matériel promotionnel provenant d'une entreprise privée? Au-delà de l'exemple du Canadien, c'est le principe qu'il faut questionner, car la réponse à cette question serait-elle la même s'il s'agissait d'un matériel promotionnel de Visa Desjardins?

Journal UdeS : Pourtant, plusieurs organismes, comme des musées ou des institutions financières par exemple, proposent des outils ou des trousses pédagogiques pour rejoindre les jeunes.

J. Lebrun : De nombreuses recherches menées au Centre de recherche sur l'intervention éducative et au Centre de recherche sur l'enseignement et l'apprentissage des sciences révèlent qu'une proportion importante des enseignants et des étudiants en enseignement primaire considèrent, d'une part, que les manuels scolaires sont des outils rigides et peu motivants pour les élèves et, d'autre part, que la rareté des ressources didactiques représentent l'une des difficulté associées à l'exercice de leur profession. En conséquence, les trousses pédagogiques offertes par différents organismes représentent des ressources appréciables.

Toutefois, contrairement aux manuels scolaires, ces trousses ne font pas l'objet d'une évaluation destinée à assurer leur adéquation aux programmes d'études et aux valeurs que la société souhaite promouvoir. En ce sens, les contenus ou les approches pédagogiques qu'ils véhiculent peuvent fort bien ne pas correspondre aux orientations et aux contenus prescrits par le Programme de formation de l'école québécoise. L'adéquation de leur utilisation dépend de la capacité de l'enseignant à l'utiliser en fonction des orientations éducatives et des apprentissages prescrits par le programme de formation. On doit également scruter le matériel afin d'en détecter les valeurs implicites ou les visées réelles.

La vigilance des enseignants risque toutefois d'être moins vive dans le cas d'un matériel subventionné par le Ministère, l'imprimatur du Ministère étant généralement considéré comme un gage d'adéquation et de qualité.

Journal UdeS : Est-ce que les ressources financières limitées dans le réseau scolaire favorisent les tentatives d'incursion de l'entreprise privée dans les matières enseignées à l'école?

J. Lebrun : La production, la diffusion et l'utilisation de matériel pédagogique complémentaire ne datent pas d'aujourd'hui. Les enseignants cherchent depuis longtemps à diversifier les ressources utilisées en classe afin de ne pas s'appuyer continuellement sur les manuels scolaires. Par ailleurs, l'élargissement de la publicité à des clientèles et à des espaces jusqu'à tout récemment épargnés est un phénomène qui dépasse largement la sphère éducative. Néanmoins, les rayons dégarnis des bibliothèques scolaires, la nécessité d'accrocher l'attention d'écoliers vivant dans un monde hautement médiatique ainsi que le caractère édulcoré des manuels scolaires sont autant d'éléments qui peuvent inciter les enseignants à exploiter plus fréquemment ce type de matériel.

On ne peut certes reprocher aux enseignants de prendre tous les moyens nécessaires à leur disposition pour motiver les élèves. On peut par contre questionner fortement la pertinence et le bien-fondé de cette initiative de la ministre Courchesne qui va à l'encontre des normes de son ministère et plus largement de celles qui régissent la publicité dans la société québécoise.