Plusieurs cours universitaires permettent aux étudiants de réaliser des apprentissages pratiques ou de mettre en application des apprentissages théoriques. Il existe une multitude de formules : exercices, laboratoires, stages, simulations, travaux pratiques, etc. Sous quelles conditions ces moments d’apprentissage pratique sont-ils les plus efficaces?
Des chercheurs spécialisés dans l’étude de l’expertise, notamment le professeur K. Anders Ericsson, ont découvert que toute forme de pratique ne mène pas à l’amélioration. Généralement, la réalisation d’une activité (par exemple, jouer d’un instrument de musique) atteint un plateau de performance après un certain temps. L’explication est simple : une personne qui atteint un niveau de performance jugé satisfaisant cesse de chercher à s’améliorer et réalise ensuite l’activité de façon routinière. Les pratiques suivantes ne permettent que de maintenir le seuil de performance actuel.
Pour continuer à s’améliorer, on doit adopter une stratégie dite de pratique délibérée, une approche où la pratique est conçue dans l’unique but d’améliorer des aspects spécifiques de la performance d’un individu. Par exemple, un musicien pourrait improviser sur une gamme avec la spécificité de suivre un tempo imposé.
[Tout au long du présent texte, nous allons conserver l’exemple de la musique, mais la pratique délibérée s’applique à tout type de connaissances pratiques ou appliquées (communication scientifique disciplinaire, analyse, intervention psycho-sociale, etc). Ses principes s’appliquent autant aux savoir-faire cognitifs qu’aux savoir-faire psychomoteurs et aux savoir-être, de même qu'aux savoirs pratiques complexes qui combinent les types précédents.]
Dans la pratique délibérée, une personne s’engage avec pleine concentration dans un exercice d’entraînement répété (habituellement planifié) séquentiel et progressif, portant sur un but spécifique déterminé par des critères explicites, représentant l’atteinte d’un niveau juste au-delà du niveau actuel de performance. Le but visé est accessible en quelques heures de pratique. Des exemples et des contre-exemples peuvent aider à communiquer plus clairement l’objectif à atteindre. Après chaque répétition, la personne reçoit une rétroaction issue de l’analyse de sa performance sur les aspects critiques à travailler, qui permettra de raffiner la prochaine répétition. La personne peut se passer de la rétroaction d’autrui si elle peut faire elle-même l’analyse de sa performance. (Ambrose, S. A. et al., 2010; Ericsson, 2006; Ericsson & Ward, 2007)
Susan A. Ambrose et ses collègues ont représenté ce cycle de la façon suivante :
Les buts sont au centre de la démarche, car ils sont déterminants pour chaque étape du cycle. On entre dans le cycle avec une première pratique. Il faut avoir l’occasion de pratiquer plus d’une fois pour que la rétroaction ait son effet Le cycle se poursuit tant que le but n’a pas été atteint.
Pourquoi viser une pratique balisée de la sorte? Parce que la performance plafonne lorsque la pratique ne suit pas ces principes. Bref, il ne suffit pas d’accumuler de l’expérience pour se développer : la manière fait toute la différence.
Plus précisément, selon Ericsson (2006) la concentration requise pour s’ajuster lors des répétitions qui suivent chaque rétroaction départage la pratique délibérée de la performance routinière (jouer machinalement une pièce de musique connue, sans trop y porter attention) ou de l’engagement ludique (jouer une pièce de musique pour le plaisir). Ces deux façons routinières de mener une activité ne font, au mieux, que renforcer les mécanismes cognitifs du niveau de performance actuel, sans les modifier pour permettre l’amélioration.
Considérant ces caractéristiques, on comprend bien qu’un programme de pratique délibérée est souvent personnalisé, plus particulièrement au niveau de la rétroaction. Ce type de démarche est donc tout à fait approprié dans les situations de développement de savoir-faire où le suivi individuel est courant, comme les stages ou l’encadrement aux études supérieures (pour ne donner que ces exemples).
Et pourtant, il est possible d’appliquer ce principe avec succès même dans un contexte d’enseignement de groupe. Ce sera l’objet du prochain article sur les données probantes en éducation.
Ambrose, S. A., M. W. Bridges, et al. (2010). How Learning Works : 7 Research-Based Principles for Smart Teaching, Jossey-Bass. 301 pages.
Clark, R. C. (2008). Building Expertise : Cognitive Methods for Training and Performance Improvement, Pfeiffer. 495 pages.
Ericsson, K. Anders. (2000). Expert Performance and Deliberate Practice : An updated excerpt from Ericsson (2000) Consulté le 2013-03-14, à www.psy.fsu.edu/faculty/ericsson/ericsson.exp.perf.html
Ericsson, K. Anders. (2006). The Influence of Experience and Deliberate Practice on the Development of Superior Expert Performance. In K. Anders Ericsson, Neil Charness, Paul J. Feltovich & Robert R. Hoffman (Eds.), The Cambridge Handbook of Expertise and Expert Performance (1 ed., pp. 683-703): Cambridge University Press.
Ericsson, K. Anders, & Ward, Paul. (2007). Capturing the Naturally Occurring Superior Performance of Experts in the Laboratory: Toward a Science of Expert and Exceptional Performance. Current directions in psychological science, 16(6), 346-350. doi: 10.1111/j.1467-8721.2007.00533.x
Willingham, Daniel T. (2009). Why don't students like school? A cognitive scientist answers questions about how the mind works and what it means for the classroom (1 ed.): Jossey-Bass.
Zimmerman, Barry, J. (2006). Development and Adaptation of Expertise: The Role of Self-Regulatory Processes and Beliefs. In K. Anders Ericsson, Neil Charness, Paul J. Feltovich & Robert R. Hoffman (Eds.), The Cambridge Handbook of Expertise and Expert Performance (1 ed., pp. 705-722): Cambridge University Press.