Directrice générale du Centre jeunesse de l'Estrie,
Sylvie Lapointe fait partie de la parade. Très tôt, elle a appris que la
critique doit être jumelée avec le mot implication. Pas étonnant qu'on la
retrouve sur les barricades, cette fois pour éviter la tutelle de son
institution.
Sylvie Lapointe, une battante qui monte sur les barricades
Par Pierre-Yvon Bégin
Première femme nommée directrice générale d'un centre jeunesse au Québec,
Sylvie Lapointe est une battante. Avec une carrière déjà bien remplie, elle s'impose
comme une figure de proue en politique municipale. Conseillère depuis 1994 à
la ville de Sherbrooke, présidente de la Commission municipale de transport
depuis 1998, elle se retrouve à la tête du grand projet mobilisateur, la Cité
des rivières.
Infirmière, Sylvie Lapointe n'a jamais pensé se retrouver à la direction
générale du Centre jeunesse de l'Estrie. Premier transfuge entre la santé
et les services sociaux au Québec, elle occupe le poste depuis un peu plus d'un
an. En fait, elle a laissé passer deux ouvertures successives de la fonction,
croyant qu'elle n'avait pas le profil recherché. D'autres ont remarqué
ses talents de leader.
« Je découvre la jeunesse, affirme-t-elle, et j'aime beaucoup. Les
intervenants font un travail extraordinaire, difficile sur le plan émotif.
Notre clientèle vit des problèmes et les parents ne sont pas toujours heureux
de nous voir débarquer. En santé, on peut valider ses conclusions avec des
appareils. En centre jeunesse, le principal outil, c'est la personne. »
« Parce que je ne connaissais pas le milieu, ajoute-t-elle, je fais aussi
des stages en suivant régulièrement mon personnel, notamment sur les équipes
d'urgence la nuit. J'ai vu de jeunes enfants laissés seuls pendant que la
mère se trouvait au bingo. Le public serait incrédule, ne croirait pas que
cela puisse exister en Estrie. »
Sur les barricades
Femme de tête, Sylvie Lapointe aime se retrouver sur les barricades. Elle se
bat aujourd'hui pour éviter la tutelle de son institution soumise à l'obligation
de respecter l'équilibre budgétaire. Le manque à recevoir pour balancer son
budget se situe à 1,8 million de dollars.
« Les employés et le conseil d'administration sont derrière moi. S'il
y a quelqu'un qui peut faire mieux, qu'il vienne me le montrer »,
affirme celle qui ne connaît pas la langue de bois.
Autre défi, autre scène mais une même attitude. À la ville de Sherbrooke,
Sylvie Lapointe est responsable du mégaprojet de 85 millions de dollars, la
Cité des rivières. L'opposition soulevée renforce en elle le désir de
mener à bien ce projet structurant.
« Je suis quelqu'un qui va jusqu'au bout, dit-elle. Je ne me laisse
pas décourager facilement. Nous allons réaliser ce projet et ça prendra juste
le temps qu'il faut. »
Cette volonté d'atteindre le but fixé n'autorise cependant pas tous les
moyens. Après un baccalauréat en sciences infirmières obtenu en 1983, une
maîtrise en administration des affaires en 1987, Sylvie Lapointe complète un
diplôme en éthique appliquée en 1999, tous à l'Université de Sherbrooke.
Entrée à la Régie de la santé et des services sociaux de l'Estrie en 1993,
elle est plongée au cœur de la réforme de la santé. Si elle y croit
toujours, elle estime que la réforme constitue une catastrophe, puisque les
départs précipités ont laissé un grand vide, avec une relève mal préparée
et insuffisante.
« Je me suis inscrite au diplôme d'éthique, relate-t-elle, parce que
je trouvais qu'à la Régie, on prenait des décisions qui avaient un impact
important. J'ai bien aimé, car avant le papier, j'y allais pour réfléchir
sur les valeurs qui m'animent. Avant d'arrêter une décision, il est
important de mesurer les impacts sur les gens impliqués. Souvent, on réagit
trop rapidement dans les directions. »
Apprendre de ses erreurs
Sylvie Lapointe vient de lancer au sein de son personnel un programme original
de préparation de la relève. Une dizaine de personnes seront libérées une
journée par semaine afin de poursuivre des études. Mieux, une partie des
économies réalisées au cours de l'année est injectée dans le personnel.
« On a affiché des postes, explique-t-elle, cela a sécurisé les gens.
Le personnel a repris espoir. »
Mais où puise-t-elle l'énergie pour mener de front carrière et vie
politique, tout en élevant deux garçons? « La vie me pousse et ce n'est
rien comparé à ma mère, affirme-t-elle. On n'a pas raison de chiâler, me
disait-elle. On s'implique, sinon on se tait. Il y a tellement de monde qui a
besoin d'aide. J'ai une bonne santé, une vie familiale riche mais calme. Le
bon Dieu m'a aimé. Alors… »