François Michaud tente de repousser les frontières de l'intelligence
artificielle. Un jour, qui n'est peut-être pas si loin, ses robots
travailleront en équipe et prendront même des décisions. Entre-temps, le
professeur-chercheur rêve de créer des emplois, à Sherbrooke si possible.
L'homme qui programmait des robots
par Sophie Vincent
Dès ses études universitaires, François Michaud rêvait d'appliquer ses
connaissances en robotique. Maintenant professeur-chercheur au Département de
génie électrique et de génie informatique, ce jeune docteur en ingénierie
est responsable de LABORIUS, un laboratoire de robotique mobile et de systèmes
intelligents dont l'objectif est de fabriquer des robots autonomes
susceptibles d'améliorer la qualité de vie des êtres humains.
Robus, Roball, Franz, Al et Hercules font partie de la grande famille des robots
sur lesquels travaillent François Michaud et son équipe. Ces prototypes
servent à développer simultanément plusieurs nouvelles composantes
intelligentes.
Créer des robots-humanoïdes qui sourient et qui pleurent? Très peu pour
François Michaud. « L'objectif des recherches au sein de LABORIUS n'est
pas de donner des émotions aux machines, mais de comprendre le rôle de ces
mécanismes dans la prise de décisions, afin de mettre au point des robots
autonomes qui assisteront les humains ou les remplaceront dans des tâches
périlleuses comme la conquête de l'espace, l'étude des fonds marins ou l'inspection
de canalisations », précise le chercheur.
De l'entretien et des jeux
S'il n'existe pas encore de véritables robots autonomes sur le marché,
il y a bien eu quelques percées au cours des dernières années, comme la
tondeuse à gazon qui se guide elle-même en trouvant ses repères sur un fil de
fer qui délimite la surface à tondre. Son mouvement est toutefois aléatoire,
ce qui peut décevoir les personnes qui aiment que leur gazon soit tondu de
façon géométrique. Même chose pour le robot-aspirateur, qui risque de faire
les coins ronds…
« Du côté des appareils ménagers, il est très difficile de construire
des robots satisfaisants qui accomplissent la tâche aussi bien qu'un humain, ce
qui limite leur potentiel commercial. Par contre, du côté des jouets, les
attentes sont bien différentes », explique François Michaud.
La compagnie Sony a d'ailleurs innové en mettant récemment sur le marché
AIBO, un robot-chien autonome capable de se coucher, de s'asseoir, de se
lever, de jouer au soccer et de reconnaître les personnes et certains objets. L'interaction
avec l'usager est alors au centre de l'intelligence requise par le robot
afin de créer l'illusion qu'il est bien vivant, c'est-à-dire qu'il est
programmé pour être plus qu'un simple automate.
L'un des défis du marché des jouets consiste à mettre au point à un
prix raisonnable un jouet hautement technologique qui soit à la fois résistant
aux chocs. François Michaud l'a compris et a mis au point un robot-boule qui
réunit ces qualités. Son côté robuste tout terrain intéresse
particulièrement l'industrie ludique, qui y voit un potentiel commercial. Des
négociations sont actuellement en cours en ce sens. « Ce même
robot-boule pourrait aussi être utile dans des opérations dangereuses. Comme
il est peu coûteux à produire, les pertes financières sont limitées dans une
situation où il risque d'être détruit. »
D'autres applications utiles
Un autre des nombreux projets de recherche menés par François Michaud
consiste à faire naviguer des robots autonomes capables de lire des
inscriptions et d'interagir avec les êtres humains, dans divers
environnements de la vie de tous les jours. De telles fonctions pourraient être
utiles pour acheminer les repas aux patients dans les hôpitaux, pour assister
les personnes âgées à leur domicile, ou encore pour transporter du matériel
dans les entrepôts. L'équipe de LABORIUS a également développé un
système de détection de dangers pour les véhicules routiers. Ce système
pourrait prévenir les accidents malheureux en avertissant le conducteur d'une
fourgonnette ou d'un autobus lorsqu'un enfant se trouve dans un angle mort
ou à proximité du véhicule.
Devant l'utilité de ces applications, les industries devraient
vraisemblablement se montrer intéressées, ce qui semble tarder au Canada,
selon François Michaud. « Les industries canadiennes présentent un
certain retard dans l'exploitation de systèmes intelligents tels que les
robots mobiles. On semble attendre les résultats des expériences menées aux
États-Unis et au Japon. Ce marché est actuellement dans une phase d'émergence
extraordinaire, et les industries se doivent de réagir pour y prendre une place
de choix pendant qu'il est encore temps. »
Comme professeur-chercheur, François Michaud s'est fixé l'objectif de
stimuler la création d'emploi dans le domaine de la recherche et du
développement de la robotique mobile. « Si je réussissais à créer des
emplois dans ce domaine, à Sherbrooke en plus, là je serais vraiment
satisfait », affirme-t-il.
Stimuler l'apprentissage
L'autre défi professionnel de François Michaud est de stimuler l'apprentissage
de ses étudiantes et étudiants au baccalauréat en génie électrique et de
les encourager à poursuivre leurs recherches à la maîtrise et au doctorat,
une tâche qui demande beaucoup de persuasion, puisque les finissantes et les
finissants de ce domaine sont rapidement recrutés par l'industrie.
C'est un peu pourquoi, en collaboration avec des collègues, François Michaud
a créé Robus, un robot utilisé dans plusieurs cours de génie électrique et
de génie informatique. Cette plate-forme permet d'expérimenter concrètement
différentes notions vues en classe, tant la programmation que le fonctionnement
des composantes électriques et électroniques.
Dans cette même perspective, depuis deux ans, François Michaud organise un
concours de robots-jouets, avec toute une équipe de collègues, d'étudiantes
et d'étudiants en génie électrique et en génie informatique. Travaillant
en équipes, les étudiantes et étudiants sont appelés à rivaliser de
créativité, d'ingéniosité et d'innovation pour créer un robot mobile
stimulant et éducatif, à l'intention des enfants qui souffrent d'autisme.
Une fois fabriqués, les robots des différentes équipes sont présentés
devant un jury scientifique qui distribue des prix . Le jury et les spectateurs
assistent donc à un véritable spectacle scientifique où des robots dansent,
chantent, distribuent des bonbons et jouent de la guitare.
« Une telle activité est riche et stimulante, tant pour l'enseignement,
la recherche ou l'innovation technologique. Tout le monde y
gagne ! », commente François Michaud.
Apprendre de ses erreurs
Avec l'automatisation de l'industrie, les robots sont entrés peu à peu
dans nos vies. Ils ont remplacé l'être humain sur les chaînes de montage et
dans des tâches périlleuses, épuisantes ou simplement monotones. Contrôlés
jusqu'à tout récemment par la seule volonté humaine, ces automates seront
bientôt autonomes et capables de travailler en équipe.
« Notre plus grand défi dans le domaine de la robotique mobile, c'est
que les robots prennent des décisions en fonction de différents facteurs et qu'ils
apprennent de leurs erreurs », explique François Michaud.
Dans le développement de la robotique, il ne suffit plus d'exercer en vase
clos une seule tâche à la fois. Les robots doivent apprendre à travailler les
uns avec les autres. «Un des projets de mon laboratoire est de travailler à
développer une intelligence dite sociale pour rendre nos robots capables de
travailler en groupe, de partager des ressources communes, de gérer les
priorités et de prendre des décisions cohérentes», indique le chercheur.
Pour nourrir leurs recherches, les ingénieurs en robotique mobile s'inspirent
notamment de l'éthologie, la science qui étudie le comportement animal.
« L'un des problèmes auxquels nous nous heurtons, c'est que les
robots ne se reconnaissent pas entre eux. Qu'ils soient devant un mur ou
devant un autre robot, ils ne font pas la différence.» D'où l'intérêt
de comprendre les mécanismes de communication des animaux, des insectes en
particulier. «Les fourmis travaillent en groupe, sur la base d'une
communication très simple. Quand une fourmi trouve de la nourriture, elle
sécrète de la phéromone, et les autres en suivent la trace, ce qui génère
des trajets », raconte-t-il. Le principe de la communication entre les
insectes consiste à utiliser des repères dans l'environnement, sans qu'un
chef commande les opérations. De la même façon, les robots peuvent répondre
à des repères qui leur permettent de travailler en groupe, grâce à
différents outils comme des détecteurs infrarouges.
Mais il faut faire encore plus pour doter les robots d'une intelligence
sociale leur permettant de collaborer et d'interagir avec l'homme. Le
cerveau humain sert également de modèle pour construire les mécanismes de
décision des robots. En comprenant comment l'humain élabore des jugements de
valeurs et comment il s'adapte à de nouvelles situations, la science peut
utiliser ces concepts pour mettre au point des robots qui apprennent et qui sont
capables d'évaluer les situations avant d'agir.