Grâce à un programme d'intervention initié par Laurier Fortin, professeur à la Faculté d'éducation, en collaboration avec Marcel Robidas, directeur du Centre le Goéland, et Jean Verlez, directeur général adjoint aux affaires éducatives à la Commission scolaire de la région de Sherbrooke, les élèves des écoles secondaires de l'Estrie vont bientôt bénéficier d'un programme visant la réduction du décrochage scolaire.

L'Estrie innove dans la lutte contre le décrochage scolaire

par Bruno Levesque

Le taux de décrochage scolaire au Québec tourne bon an mal an autour des 30 p. 100. Selon les économistes, le coût de ce décrochage se traduit en milliards de dollars, sans compter le coût social, lui aussi très élevé. Toutes sortes de mesures ont été prises pour diminuer ce taux désolant. Laurier Fortin se souvient par exemple qu'en 1992, le ministre de l'Éducation Michel Pagé a investi 42 millions de dollars pour lutter contre le décrochage scolaire sans le moindre effet sur le taux de décrochage.

Alors pourquoi le programme de Laurier Fortin et de ses collaborateurs réussirait-il là où tous ont échoué ? La réponse ne tarde pas. « Nous sommes partis d'une recherche fondamentale, réalisée entre 1995 et 2000, pour déboucher sur des programmes concrets de prévention, explique le chercheur. Chaque partie de ces programmes s'appuiera sur des données issues de notre recherche. »

Cette recherche fondamentale sur les difficultés d'adaptation scolaire, Laurier Fortin l'a effectuée avec Égide Royer de l'Université Laval, ainsi que Diane Marcotte et Pierre Potvin de l'Université du Québec à Trois-Rivières. Ces trois chercheurs participeront aussi activement à la mise en place du programme d'intervention.

Des sous-groupes qui se distinguent

Résultat de l'analyse de plusieurs questionnaires remplis par les élèves, leurs parents et leurs profs sur une période de cinq ans, la recherche sur les difficultés d'adaptation scolaire de Laurier Fortin et de ses collègues a révélé l'existence de quatre sous-groupes d'élèves à risque de décrochage au secondaire.

Il y a d'abord les élèves du type peu intéressé, qui constitue près de 40 p. 100 des élèves à risque. Leur performance scolaire est correcte, leurs professeurs les apprécient, mais ils sont peu motivés et s'ennuient à l'école.

Formant 30 p. 100 des élèves à risque de décrochage, les élèves présentant des troubles de comportement sont sans doute les plus facilement identifiables. Leurs résultats scolaires sont très faibles et ils ont des problèmes de délinquance qui fait qu'ils sont vite repérés par leurs enseignants.

Les élèves qui font de la délinquance cachée présentent eux aussi un risque de décrochage. Ils forment en fait 20 p. 100 des décrocheurs potentiels. Ils ont des résultats scolaires à peine inférieurs à la moyenne et leur comportement n'attire pas sur eux l'attention des professeurs.

Dernier groupe quant au nombre (10 p. 100), les élèves de type dépressif ont de bons résultats scolaires et sont bien perçus par le corps enseignant.

Groupes distincts = approches différentes

Jusqu'à maintenant les programmes de prévention du décrochage scolaire s'en tenaient essentiellement aux élèves présentant des troubles d'apprentissage ou des problèmes de comportement, ce qui constitue à peu près 40 p. 100 des élèves à risque. Le reste des élèves présentant des risques de décrochage n'est jamais touché par les mesures.

L'étude de Laurier Fortin permet de planifier des programmes de prévention différents selon les types. Le programme qui va s'adresser au groupe des dépressifs sera très différent de celui conçu pour les élèves qui ont des troubles de comportement. « Ceux-ci ont tendance à être offensifs, il faut donc les contrôler, explique Laurier Fortin à titre d'exemple. À l'inverse, les élèves dépressifs se sentent écrasés et il faut les amener à s'exprimer. L'approche privilégiée sera donc fort différente. »

Ça commence maintenant

« Quand on a commencé la recherche en 1995, un de nos postulats était que les connaissances qu'on avait du décrochage et des décrocheurs ne suffisaient pas pour améliorer les programmes de prévention, relate Laurier Fortin. Notre objectif était d'améliorer ces connaissances afin de mieux prévenir et intervenir. Après cinq ans de développement des connaissances, nous en arrivons à une autre phase de cinq ans sur les programmes de prévention. »

Cette deuxième phase débutera dès cet automne alors que tous les élèves de secondaire I de l'Estrie auront à répondre à des questionnaires visant à détecter les décrocheurs potentiels et à déterminer à quel type ils appartiennent. Parallèlement, il faudra concevoir les programmes, en étroite collaboration avec le personnel des écoles. Chaque programme sera par la suite mis en application et fera l'objet d'une recherche évaluative, de façon à vérifier son efficacité et à l'améliorer le cas échéant.

L'objectif est de diminuer de façon significative le taux de décrochage d'ici cinq ans. Un objectif ambitieux, compte tenu des expériences passées. Pour l'atteindre, Laurier Fortin compte sur la contribution de tous : chercheurs universitaires, directions d'écoles, corps enseignant, spécialistes et, bien sûr, les élèves et leurs parents.