TÊTES CHERCHEUSES
Il est plutôt rare qu'une maladie puisse aider à en soigner une autre.
C'est pourtant le cas de l'hépatite D dont le virus, grâce aux travaux de
Jean-Pierre Perreault, professeur au Département de biochimie de la Faculté de
médecine, pourra contribuer au traitement de l'hépatite C.
Un coup de main de la part d'un virus bien spécial!
par Stéphanie Charland
Il y a déjà quelques années, le scandale du sang contaminé éclatait !
Certaines personnes ayant reçu des transfusions sanguines avant 1990 étaient
atteintes d'une maladie sévère du foie : l'hépatite C. Cette maladie
est causée par un virus, le VHC. Aujourd'hui, la liste des gens contaminés
continue de s'allonger, car la maladie peut prendre plusieurs années avant de
se développer. Malheureusement, aucun traitement efficace contre l'hépatite
C n'est disponible. Devant l'ampleur de la tragédie, le Gouvernement du
Canada a récemment versé plusieurs millions de dollars à divers chercheurs et
chercheuses pour que s'intensifie la recherche d'un moyen de guérir ces
gens. Jean-Pierre Perreault fait partie des chercheurs qui ont reçu une
subvention dans le cadre de ce programme spécial. Lui et son équipe
travaillent sur un virus bien particulier qui pourrait, croit-il, devenir un
allié dans la lutte contre l'hépatite C : le virus delta de l'hépatite
humaine ou VHD.
C'est lors de ses études doctorales que Jean-Pierre Perreault s'est
intéressé pour la toute première fois à une classe de molécules bien
particulières dont fait partie le VHD; les ARN catalytiques. Ceux-ci sont
capables de catalyser certaines réactions biochimiques, c'est-à-dire de les
accélérer, ce qui est un rôle normalement tenu par les protéines. Passionné
par ces molécules, il les a étudiées plus en détail lors d'un stage
post-doctoral à l'Université Yale dans le laboratoire de Sidney Altman, qui
fut le premier à découvrir l'existence des ARN catalytiques en 1982, ce qui
lui valu un prix Nobel. Depuis son arrivé à Sherbrooke en 1993, Jean-Pierre
Perreault poursuit toujours ses recherches sur les ARN catalytiques, mais deux d'entres
eux retiennent plus particulièrement son attention : les viroïdes et le
virus delta de l'hépatite humaine (VHD) avec lesquels il compte développer
une nouvelle approche thérapeutique anti-virale.
Grâce au virus delta de l'hépatite humaine (VHD)
Les formes les plus connues d'hépatites sont certes l'hépatite B et l'hépatite
C. Cependant, il existe une forme D de cette maladie, toute aussi nuisible pour
le foie. On la retrouve principalement sur les continents sud-américain,
africain et asiatique. En Amérique du Nord et en Europe, elle n'a été
signalée que dans certains groupes à risque comme les toxicomanes. L'agent
causal de cette forme d'hépatite transmise principalement par l'intermédiaire
du sang est le virus delta de l'hépatite humaine ou VHD. Celui-ci possède
une portion catalytique appelé ribozyme delta, qui coupe le virus pour lui
permettre de se multiplier et de se propager dans les cellules de foie,
provoquant ainsi les symptômes de la maladie.
Jean-Pierre Perreault et son équipe s'intéressent au ribozyme D, non pas
pour le mal qu'il peut causer, mais pour le bien qu'il pourrait apporter…
Par manipulations en laboratoire, il est possible d'utiliser et de modifier ce
bout de virus de façon à ce qu'il coupe des molécules d'ARN retrouvées
dans une cellule. Ainsi transformé, le ribozyme D ne participe donc plus à la
multiplication d'un virus, mais sert à inactiver des ARN potentiellement
néfastes pour une cellule. Cette technologie s'avère très utile pour le
développement de nouvelles approches thérapeutiques ayant entre autres pour
objectif l'inhibition des ARN viraux comme le virus du SIDA, VIH, ou encore
VHC.
Un espoir pour les personnes atteintes de l'hépatite C
Dernièrement, Jean-Pierre Perreault a reçu d'importantes subventions
pour développer un ribozyme D contre le VHC. En effet, par expérimentations
biochimiques, le chercheur tentera de développer un ribozyme D très performant
capable d'aller reconnaître et de couper toutes les molécules de virus
contenues dans le foie d'une personne contaminée, de façon à ce qu'elles
ne puissent plus causer de symptômes à la victime.
Pour l'instant, Jean-Pierre Perreault et son équipe n'en sont qu'à la
toute première étape qui consiste à analyser, par ordinateur, toutes les
régions du virus de l'hépatite C susceptibles d'être coupées par le
ribozyme D. Par la suite, en laboratoire, ils devront synthétiser plusieurs
ribozymes D qu'ils amélioreront de façon à ce qu'ils coupent le plus
possible de virus à la minute. Les plus efficaces seront étudiés in vitro,
dans un tube expérimental, puis in vivo, sur des cultures de cellules de foie
humaines ainsi que sur des animaux de laboratoire. Un défi de taille à relever
pour ces scientifiques !
Malgré tout le travail que cette recherche implique, Jean-Pierre Perreault
reste optimiste, car des résultats préliminaires avec d'autres virus comme
le virus de l'hépatite B (VHB) et VHD ont été obtenus. Eh oui! Le ribozyme
D a déjà commencé à faire ses preuves!
Les gens atteints d'infections virales de toutes sortes ont de bonnes raisons
d'être encouragés, car une fois la constitution et le fonctionnement du
ribozyme delta bien compris, il sera possible de le modeler chimiquement de
façon à ce qu'il cible et coupe non seulement le VHC, mais aussi les virus
causant d'autres maladies.
L'ancêtre du virus delta de l'hépatite humaine (VHD)
Jean-Pierre Perreault et son équipe se concentrent aussi sur un autre type
d'ARN catalytique retrouvé chez les plantes : les viroïdes. Ces
petits ARN infectent beaucoup de végétaux, notamment la pomme de terre, le
citron, l'orange et la pêche. Une fois les cellules végétales infectées,
les viroïdes se multiplient et se propagent, occasionnant ainsi de graves
dommages aux plantes et menant même parfois jusqu'à la mort de celles-ci.
Cependant, les mécanismes moléculaires orchestrant l'infection et la
réplication de ces ARN infectieux sont assez mal connus jusqu'à présent.
Une meilleure compréhension des viroïdes permettrait entre autres de mettre au
point une stratégie visant à améliorer l'économie agricole sérieusement
menacée par ces petits ARN.
De plus, il semblerait que les viroïdes et VHD aient évolués à partir d'une
origine ancestrale commune. Quoi de mieux qu'un retour aux sources pour
arriver à mieux comprendre une situation ! Caractériser les mécanismes
moléculaires associés aux viroïdes à activités catalytiques pourrait s'avérer
fort utile pour la compréhension du ribozyme delta du VHD, et ainsi contribuer
à l'amélioration de l'approche thérapeutique.
Des projets plein la tête
Avec plus de projets que de temps pour les réaliser, Jean-Pierre Perreault
se distingue par son dynamisme. Son équipe de recherche, constituée de dix
étudiants et étudiantes boursiers à la maîtrise, au doctorat et au
post-doctorat, est tout aussi énergique. La régularité et la qualité de
leurs publications scientifiques confirme que tous les membres de cette équipe
travaillent assidûment afin de mieux comprendre les mécanismes moléculaires
de ces petits ARN qui pourraient être si bénéfiques pour notre société.