TÊTES CHERCHEUSES

Pour Nicole Saint-Martin, directrice de l'Institut de recherche et d'enseignement pour les coopératives de l'Université de Sherbrooke (IRECUS), les activités liées à l'enseignement, à la recherche et aux services à la collectivité forment un écheveau dont les fils sont difficiles à distinguer. Une constante se dégage cependant de toutes ces activités : amener les gens à prendre en main leur destinée collective en les aidant à se doter des outils nécessaires pour assurer ce développement.

Nicole Saint-Martin
Avec le vrai monde face aux vrais problèmes

par Bruno Levesque

Les gens qui croient encore au préjugé selon lequel les chercheurs universitaires ne sont que de froids intellectuels peu soucieux des applications concrètes des résultats de leurs recherches et de leurs réflexions n'ont jamais vu Nicole Saint-Martin travailler. Bien sûr, comme chercheuse universitaire, elle lit beaucoup et s'appuie sur des cadres théoriques rigoureux tirés des sciences de la gestion, de la sociologie et de l'économique pour tenter de mieux comprendre les phénomènes complexes qu'elle aborde. Mais Nicole Saint-Martin travaille avant tout avec les personnes concernées, les soutenant dans leurs efforts pour améliorer leur sort et celui de leurs concitoyennes et concitoyens.

Résumés rapidement, les travaux de recherche de Nicole Saint-Martin portent sur le développement local, avec un parti pris favorable envers le modèle coopératif comme outil de ce développement. « Le développement local, explique la professeure, est une démarche entreprise avec la communauté et qui vise, à partir d'idées et de projets issus de la communauté elle-même, à en augmenter la richesse et le patrimoine collectifs. » Les travaux de Nicole Saint-Martin sont en partie subventionnés par les partenaires qui font appel à ses services, mais aussi par la Chaire J.W. McConnell de développement local, la Chaire Desjardins de coopération et développement du milieu ainsi que par le Programme d'assistance technique au développement économique des communautés, un programme géré par l'Université Carleton.

La recherche-action : l'exemple de Scotstown

Petite municipalité d'à peine 700 habitants située à 50 km à l'est de Sherbrooke sur les rives de la Rivière au saumon, Scotstown connaît depuis quelques années de graves problèmes économiques qui ne sont pas sans se répercuter sur d'autres plans : chômage, décrochage scolaire, problèmes de santé, violence familiale, délinquance, isolement, etc.

Malgré les efforts d'un groupe d'entraide composé de la directrice de l'école, du prêtre qui s'occupait de la pastorale, d'un animateur du CLSC et de quelques autres citoyens qui faisaient du dépannage et tentaient d'organiser des activités à caractère social, la participation et l'enthousiasme de la population étaient de plus en plus difficiles à susciter. « Les membres du groupe d'entraide m'ont dit que ça faisait des années qu'ils essayaient sans succès de mobiliser la population et qu'ils ne savaient plus au juste quels moyens prendre pour y arriver », se rappelle Nicole Saint-Martin.

Le chercheuse a donc accepté de collaborer à un projet de recherche-action visant l'élaboration d'un plan d'intervention auprès de la population scotstownoise. Faisant office de projet pilote, l'étude vise, entre autres, à élaborer un programme de formation sur la citoyenneté qui aide les individus à mieux comprendre leur place et leur rôle dans la communauté. Le projet, mené par Nicole Saint-Martin, avec la collaboration du Centre local de développement du Haut-Saint-François et de la Société d'aide au développement de la collectivité, comprend également une formation en démarrage d'entreprises et la constitution d'une équipe locale de formateurs et d'animateurs qui pourraient faire office d'agents multiplicateurs.

Des recherches antérieures ont démontré à Nicole Saint-Martin que chaque communauté comptait ses leaders. C'est donc sur ceux-ci qu'elle a voulu fonder son action. Pour les recruter, des annonces publiques ont été faites à l'église, des lettres envoyées aux parents d'élèves, des avis affichés dans les lieux publics : un groupe de personnes entreprendrait bientôt des actions pour améliorer la situation de Scotstown et recherchait des gens qui ont à cœur les intérêts de leur communauté et qui sont prêts à bouger.

« En plus des organisateurs, 17 citoyennes et citoyens se sont présentés à notre première rencontre et à toutes celles qui ont suivi », lance Nicole Saint-Martin, visiblement fière de son coup. Le groupe s'est d'abord réuni pour discuter de Scotstown, de ses forces et de ses atouts, de ses problèmes. Les participants posaient des questions sur leur rôle comme citoyen, leurs droits, leurs responsabilités, les droits de la municipalité, etc. La chercheuse fournissait l'information au fur et à mesure qu'ils la demandaient. « À travers ça, nous faisions notre recherche, nous élaborions des modèles pour cerner les problématiques et aider le groupe à mieux les comprendre », ajoute la chercheuse.

Après quelques semaines, les participantes et participants ont été invités à proposer chacun un projet qu'ils voudraient voir se concrétiser à Scotstown. Comme prévu, 17 projets individuels complètement différents se sont retrouvés sur la table. « Notre défi a été d'intégrer ces projets dans une perspective de développement local, d'en faire des outils pour augmenter le patrimoine collectif de Scotstown », lance la professeure-chercheuse. Défi relevé avec brio, puisque les 17 projets ont été fondus au sein de quelques grands projets : des cours d'éducation à la citoyenneté, des cours d'informatique pour le personnel de l'usine Shermag et pour la population en général, l'ouverture prochaine d'une maison pouvant offrir le gîte à des touristes ainsi qu'à une clientèle locale et la création d'une coopérative offrant des services de secrétariat et de comptabilité. La deuxième étape du projet de recherche-action à Scotstown, l'implantion de ces projets, est lancée ces jours-ci.

La MRC de Drummond et la recherche évaluative

Les travaux menés par Nicole Saint-Martin prennent parfois une autre forme : la recherche évaluative. Toujours dans une perspective de développement local, et toujours en collaboration étroite avec les principaux intéressés, ce type de recherche a pour but d'évaluer l'impact d'actions entreprises précédemment par un groupe, de comprendre pourquoi certaines de ces mesures ont eu un peu, beaucoup, énormément ou pas du tout d'impact, et de proposer de nouvelles stratégies pour améliorer l'efficacité des interventions.

Nicole Saint-Martin collabore actuellement à une recherche de ce type dans la municipalité régionale de comté (MRC) de Drummond. Il y a quelques années, la MRC et des municipalités ont décidé d'entreprendre des actions en embauchant des animateurs locaux et en formant le Service d'aide au développement local (SADL) pour travailler, avec une planification assez suivie, au développement local dans une dizaine de municipalités.

L'objectif de la recherche conduite par Nicole Saint-Martin est d'indiquer au SADL et aux municipalités qui avaient collaboré au projet si le modèle qu'ils avaient adopté pour l'implantation d'une démarche de développement local a fonctionné. Y a-t-il lieu de le revoir en tout ou en partie à la lumière des résultats obtenus ? « Ce genre de recherche ne se fait pas par sondage que nous compilons dans nos bureaux, indique Nicole Saint-Martin. Elle se fait à travers des rencontres de travail, des entrevues individuelles ou en petits groupes. Nous avons toujours remis aux acteurs les résultats de notre réflexion au fur et à mesure du processus. Les participants, les principaux acteurs du phénomène évalué sont très actifs dans leur propre évaluation. »

Un cercle… vertueux

Les deux exemples qui précèdent illustrent bien comment la recherche-action et la recherche évaluative telles que pratiquées par Nicole Saint-Martin et les chercheuses et chercheurs associés à l'IRECUS constituent un heureux mélange dans lequel recherche et service à la collectivité sont intimement liés. Comme la chercheuse et son équipe travaillent directement avec les citoyennes et citoyens concernés, en leur fournissant des outils, des connaissances et en guidant leur démarche, on pourrait penser qu'il s'agit d'abord de services rendus à la communauté, mais ce serait oublier toute la démarche intellectuelle d'analyse des processus et des interactions et la construction de modèles théoriques qui en découle.

En fait, en acceptant de soutenir des actions de développement local, Nicole Saint-Martin et les chercheuses et chercheurs de l'IRECUS ont du même coup accès à un véritable laboratoire humain pour réaliser leurs recherches et acquérir de nouvelles connaissances. « Nos recherches et nos connaissances viennent aider les acteurs à faire avancer leur cause et, en même temps, les observations et le questionnement générés par cette action viennent enrichir les connaissances pour des recherches subséquentes, fait observer Nicole Saint-Martin. Il existe une sorte de mouvement perpétuel entre l'action et la réflexion, et l'un et l'autre sont sources de connaissances. »

« Et, que ce soit en classe ou dans leurs propres recherches, nos étudiantes et étudiants à la maîtrise en gestion et développement des coopératives sont les premiers à bénéficier de ces nouvelles connaissances », renchérit Nicole Saint-Martin.

D'abord diplômée en sciences de l'éducation, Nicole Saint-Martin a toujours conservé de cette formation initiale la conviction que l'éducation est la base de tout développement économique et social. Pour cette professeure rattachée au programme de maîtrise en gestion et développement des coopératives de la Faculté d'administration, l'éducation demeure au centre de toutes ses interventions, même dans ses activités de recherche.

Aux quatre coins du globe

Les citoyennes et citoyens de Scotstown et de la MRC de Drummond ne sont pas les seuls à pouvoir bénéficier de l'expertise de Nicole Saint-Martin et des gens de l'IRECUS.

L'Institut mène actuellement trois projets ayant les coopératives comme principal point commun. Au Chili et à Cuba, l' IRECUS collabore avec les universités locales pour développer un programme de deuxième cycle spécialisé en gestion des coopératives. Au Costa Rica, où l'IRECUS a déjà permis l'implantation d'un tel programme entre 1991 et 1996, l'Institut vient appuyer les autorités et le corps professoral de l'Université du Costa Rica afin de créer des programmes de formation similaires dans trois universités d'Amérique centrale.

L'IRECUS a aussi reçu un prix d'excellence décerné par l'Agence canadienne de développement international (ACDI) pour la qualité et les excellents résultats obtenus lors de la réalisation d'un programme de coopération internationale avec l'Université fédérale rurale de Pernambuco, à Recife, au Brésil, au cours des années 90.

C'est donc dire que, de Scotstown à Recife, mais aussi à Verdun, Sherbrooke, Cotonou et dans bien d'autres villes aux quatre points du globe, des gens font appel à Nicole Saint-Martin et aux chercheuses et chercheurs de l'IRECUS pour l'amélioration de leur qualité de vie.